mardi 21 janvier 2025

CD. Piotr Beczala : the french collection (1 cd Deutsche Grammophon, août 2014)

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piotr beczala the french collection cd deutsche grammophon critique compte rendu classiquenews mars 2015Piotr Beczala : the french collection (1 cd Deutsche Grammophon, août 2014). Enregistré à Lyon à l’été 2014, ce récital romantique français atteste du métal intense, au medium riche et aux aigus tendus et couverts à souhait (parfois un peu durs cependant dans le Werther du début par exemple) du ténor polonais Piotr Beczala. La musicalité est indiscutable, l’autorité de la voix naturelle, avec une émission et une articulation jamais forcées. L’ardeur enivrée de son Werther d’ouverture (Toute mon âme est là ! Pourquoi me réveiller…), puis le sens du legato de son Massenet (Le Cid : Ô souverain, ô juge,ô père…) s’accordent aussi à un souci du verbe, son articulation et sa couleur, qui s’avère passionnant à suivre. Le phrasé, le soin de l’accentuation révèlent un interprète fin et délicat, vrai amateur de notre langue qui ne sacrifie jamais le sentiment et la nuance intérieure sur l’autel de la puissance. Saluons l’équilibre qu’apporte le raffinement et la concentration du chanteur malgré un orchestre et un chef ampoulés et tonitruants… dans ce Massenet qui reste ciselé grâce à la seule tenue du chanteur (de toute évidence, soliste et orchestre ne sont pas sur le même plan : Beczala paraît souvent trop raffiné face au collectif). Ses Berlioz sont ils de la même eau ? Le sublime Faust, enivré, contemplatif, nostalgique peine cependant à se préciser : intonation moins affirmée car les intervalles et le cheminement harmonique déstabilisent le legato qui reste trop apeuré, timide, incertain. La voix même délicate ici manque de souffle et de vertige : elle n’atteint pas les cimes quasi abstraites de la musique (dont la voie est évoquée / dessinée par des cordes éthérées). Plus narratif moins spatial, l’air de Bénédict : « Je vais l’aimer », plus enraciné dans une prononciation dramatique, rappelle le miracle Gedda, mais sans son feu passionnel sousjacent : Beczala nous paraît là bien timoré.

Les Boieldieu et Donizetti sans défaut de Beczala

En français, son Carlos verdien (Fontainebleau !…), à la fois hymne à la nature impassible et aveu d’amour pour celle que le prince aime, ne parvient pas également à saisir l’enjeu fulgurant des mots. Le timbre beau glisse sur les phrases sans en projeter l’intensité émotionnelle : l’articulation manque de consonnes. Sans relief, ni mordant, le chant se ramollit (avec des aigus serrés). Dommage.
Plus rare, La Dame blanche de Boieldieu et l’air de Georges : Viens, gentille dame… qui ne réclame que la tenue et la hauteur soutenue des aigus rayonnants, sans véritable enjeu dramatique, sinon l’impatience de l’amoureux, convainc résolument (mais là encore, la direction épaisse et démonstrative du chef Altinoglu, aux instruments outrageusement mis en avant, couvrant parfois la voix, agace).
Pour le chanteur, ce Boieldieu délicat est projeté avec naturel et grâce. Même couleur extatique et enivrée pour les deux Donizetti : Ange si pur de Fernand de La Favorite, puis Seul sur la terre … Ange céleste de Dom Sébastien lui vont comme un gant : sans dramatisme intense ni contrastes nuancés, le chanteur enchante par sa ligne souveraine, quitte à sacrifier la précision de l’articulation.

Les deux Gounod montrent les limites d’un travail perfectible encore sur la prononciation, surtout dans Faust : Salut ! demeure chaste et pure… ce n’est pas le violon sirupeux, en veux tu en voilà, trop mis en avant qui couvre l’imprécision de l’articulation ; à croire que le soliste semble ne pas comprendre les enjeux de la scène et les idées du texte…
En revanche, La Fleur que tu m’avais jetée (Don José de Carmen de Bizet) fait valoir les mêmes qualités du timbre raffiné des airs du début, mais étrangement le ténor aime soudain les petites convulsions surrexpressives : abus surstylé hors sujet car l’intensité du timbre devrait tout faire ici ; ce manque de simplicité gâche le début de l’air (d’autant que le son filé d la fin en voix de tête est irréprochable : « et j’étais une chose à toi »). Quand Beczala fait simple, concentré sur la ligne fluide, le miracle se produit : son Don José est indiscutable en dépit de l’affectation superficielle et bien inutile que le chanteur, moins inspiré, nous impose ici et là. N’est pas Gedda qui veut décidément.
Ce devait être une belle cerise sur le gâteau : le duo entre Manon et l’Abbé des Grieux à Saint-Sulpice, scène de passion ultime dont l’exacerbation suscite la reconquête par la jeune courtisane de son ancien amant devenu homme de Dieu ; l’orchestre épais là encore et d’un maniérisme surdaté, n’aident pas les deux solistes Piotr Beczala et… Diana Damrau, d’autant que chacun ne maîtrisent pas toutes les nuances linguistiques de leur partie respective. Le jeu dramatique du ténor est surexpressif et sa partenaire manque singulièrement de sobriété. Un chant contourné, maniéré, et là encore des instruments artificiellement proches gâchent notre plaisir. L’intensité y est certes mais au détriment de la finesse émotionnelle.

Le récital a le mérite de confirmer le tempérament indiscutable du ténor polonais Beczala dans les emplois aériens et presque de pur bel canto, ses Donizetti, Boieldieu et Gounod sont les meilleures réussites de ce récital lyonnais. Notre réserve va à l’orchestre dont le style ampoulé sous la baguette du chef rien que démonstratif et sans nuances, reste continument hors style. Heureusement d’autres directions et parfois sur instruments d’époque ont démontré les qualités de la finesse, de la légèreté qui œuvrent pour un dramatisme autrement plus raffiné.

CD. Piotr Beczala, ténor : The french Collection. Airs d’opéras de Massenet (Le Cid, Werther, Manon), Gounod (Roméo et Juliette, Faust), Boieldieu (La Dame blanche), Donizetti (La Favorite, Dom Sébastien), Verdi (Don Carlos), Berlioz (La Damnation de Faust, Beéatrice et Bénédict), Bizert (Carmen). Enregistrement réalisé à Lyon en août 2014. 1 cd Deutsche Grammophon 00289 479 4101

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