CD.Mozart : Les Noces de Figaro, Le Nozze di Figaro (Currentzis, 2013). On s’attendait à une révélation, de celle qui ont fait les grandes avancées musicologiques et philologiques s’agissant de Mozart sur instruments d’époque (Harnoncourt pour Idomeneo, plus récemment Jacobs pour La Clémence), … avec l’option délicate complémentaire des (petites) voix au format « originel », soitdisant agiles, non vibrées, d’une précision exemplaire (plus adaptée à la balance d’époque : voix/instruments)… Mais Mozart reste un mystère et ce nouvel enregistrement malgré son investissement instrumental échoue à cause du choix hasardeux et finalement défavorable de certains solistes. C’est aussi une question de style concernant une direction survitaminée qui oublie de s’alanguir et de creuser les vertiges et ambivalences liés au trouble sensuel d’une partition où pointe la crête du désir. Le chef d’origine grec Teodor Currentzis multiplie les déclarations fracassantes, exacerbe souvent ses propos quant à ses nouvelles lectures (déviations du marketing?)… souvent comme ici, l’effervescence annoncée pour les Nozze tourne court de la part du musicien qui extrémiste, entend souvent jouer jusqu’à l’orgasme.
Certes ici les instruments sont en verve : flûtes, bassons et cors dès l’ouverture avec des cordes et des percussions qui tempêtent sec. Mais cette expressivité mordante, rêche, -âpre souvent-, fait-elle une version convaincante? La fosse rugit (parfois trop), et la plateau vocal reste déséquilibré. Dommage.
Nozze inégales
Si la fosse nous semble au diapason de la vivacité souvent furieuse du chef, les voix sont souvent… contradictoires à cet esthétique de l’exacerbation expressive et de la palpitation souvent frénétique. L’éros qui soustend bien des scènes reste …. saccades et syncopes, et même Cherubino dans son fameux air de panique émotionnelle manque singulièrement de trouble (Non so più cosa son, I)… Pire, mauvais choix : Figaro et le Comte manquent ici de caractérisation : les deux voix sont interchangeables (avec pour le premier des problèmes de justesse) ; notre plus grande déception va cependant à la Comtesse de Simone Kermes, d’une asthénie murmurante, minaudante totalement hors sujet : elle paraît pétrifiée en un repli serré et étroit. Son retrait s’oppose de fait à l’engagement proclamé et effectif du chef et de ses musiciens. Il n’ y a que finalement la Susanna de Fanie Antonelou qui se détache du lot avec des abbellimenti (variations) vraiment assumées et investies, une évolution du personnage qui suit avec plus de nuances et surtout de naturel comme d’humanité, le caractère de la jeune mariée (très bel air au IV : Deh vieni non tardar… serenata mêlée d’inquiétude et d’excitation comme là encore d’ivresse sensuelle…) ; idem pour le Basilio au legato souverain de Krystian Adam, vrai ténor di grazia dont les airs semblent enfin rétablir cette fluidité vocale qui manque tant à ses partenaires : soudain chant et instruments se réconcilient avec bénéfice (très convaincant In quegl’anni à l’acte IV…) . Le pianoforte envahissant dans récitatifs et airs finit par agacer par ses multiples ornementations. L’air de Figaro qui raille Cherubino et dont le chef nous vante un retour au rythme juste reste … mécanique, de surcroît avec la voix courte d’un Figaro qui patine et dont la justesse comme la ligne font défaut. Et souvent, cette précision rythmique empêche un rubato simple et naturel tant tout paraît globalement surinvesti. Les claques de l’acte V sont elles aussi électriques et mauvais trucs de studio, d’un factice artificiel : plus proches des volets qui claquent que d’une main vengeresse…
Nous restons donc mitigés, et quelque peu réservés sur la cohérence du plateau vocal dont la plupart des solistes ne sont pas au format d’un projet dont on nous avaient vanté la ciselure, l’expressivité supérieure. Vif et habile, le chef grec Teodor Currentzis n’a jamais manqué d’énergique audace mais il sacrifie trop souvent la sincérité du sentiment sur l’autel de l’effet pétaradant. Nous lui connaissons des opéras plus introspectifs (écoutez son Din et Enée de Purcell par exemple, plus profond, plus pudique…). Avoir choisi Kermes pour La Comtesse est une erreur regrettable qui ne pourra pas faire oublier les Margaret Price ou Kiri Te Kanawa ni plus récemment les Dorothea Röschmann, infiniment plus nuancées et profondes. Nous attendons néanmoins avec impatience la suite de cette trilogie mozartienne dont le seul mérite reste parfois un travail assez étonnant réalisé sur la texture orchestrale, révélant des associations de timbres souvent passées sous silence, une nette ambition de clarté et d’articulation instrumentale mais qui souvent se développe au mépris de la justesse de l’intonation comme d’une réelle profondeur poétique. A trop vouloir en faire, le chef semble surtout démontrer plutôt qu’exprimer. Qu’en sera-t-il à l’automne prochain pour son Don Giovanni : on lui souhaite des choix de chanteurs plus judicieux.
Mozart : Le Nozze di Figaro, Les Noces de Figaro. Avec Simone Kermes, Fanie Antonelou, Mary-Ellen Nesi, Andrei Bondarenko, Christian Van Horn, Krystian Adam… Musicaeterna. Teodor Currentzis, direction. 3 CD Sony Classical. Enregistrement réalisé à l’Opéra Tchaïkovski de Perm (Oural), 2013. A venir à l’automne, Don Giovanni sous la direction de Teodor Currentzis.
Illustration : on dit oui à la Susanna de Fanie Antonelou, et définitivement non à la Comtesse de Simone Kermes.