lundi 14 octobre 2024

CD. Il Pianto d’Orfeo (Scherzi Musicali, Achten 2013 – 1 cd DHM)

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orfeo-pianto-scherzi-musicali-nicolas-achten-dhm-deutsche-harmonia-mundi-critique-compte-rendu-cd-classiquenewsCD. Il Pianto d’Orfeo (Scherzi Musicali, Achten 2013 – 1 cd DHM). Structuré comme un drame lyrique, le programme essentiellement dédié au premier baroque (XVIIè italien, Seicento) se compose de quatre épisodes entre un prologue (magnifique sinfonia de Luigi Rossi) et son épilogue (Lasciate Averno du même Rossi, auteur hier révélé par William Christie et décidément superlatif) : souhaitant démontrer que le genre opéra est né par le mythe d’Orphée et précisément dans le chant plaintif du berger thrace (il pianto d’Orfeo), instrumentistes et baryton directeur de Scherzi Musicali s’engagent ici pour l’articulation de la geste orphique illustrée par les intermèdes et premiers ouvrages composés par les premiers baroques : de Merula à Cavalieri, de Caccini à Monteverdi, de Rossi à Peri, se précise ainsi de l’un à l’autre, ce chant mi déclamé mi parlé, parlar cantando qui s’inspirant du souffle naturel de la parole, perfectionne un nouvel art d’explication du texte. En témoigne cet art du chant défendu avec plus de noblesse que de sensualité par le baryton et directeur de l’ensemble Nicolas Achten : la précision linguistique, l’intelligibilité, la justesse de l’intonation permettent concrètement de se plonger dans un bain de vertiges passionnels dont les plus grands champions sont moins les florentins Caccini et Peri que le romain Rossi d’une sensualité flamboyante qui parfois dépasse Monteverdi et annonce de facto Cavalli.

Aux origines de l’opéra : la prière d’Orphée

Hélas le soprano de Deborah York a perdu de sa chair : voix blanche et droite qui contredit l’opulence languissante d’un Rossi par exemple (Mio ben, teco’l tormento…).
On suit ainsi les étapes du drame orphique : amours d’Orphée et d’Eurydice (I), puis mort d’Eurydice (II), lamentation et déploration (III : c’est là que le chant du berger infléchit jusqu’au dieu des enfers : indiscutablement Achten maîtrise les registres de la langueur implorante, même si l’on peut regretter parfois de la dureté et un relâchement dans l’articulation. Les temps forts sont ici, la plainte confiée au seul cornet (la suave melodia) de Andrea Falconieri (scrupuleux, le cornet de Lambert Colosn reste linéaire) et surtout la prière d’Orphée à l’adresse de Pluton : Possente spirto de l’Orfeo de Monteverdi : style resserré et puissant du grand Claudio, véritable fondateur de l’opéra en 1607, avec ses effets d’échos entre violons et cornets, contrepoint lacrymaux du chant pur et agissant d’un Orphée, ardent, désirant et finalement victorieux, aux portes des Enfers. La projection du chanteur reste intense mais son chant aurait infiniment gagné à plus de simplicité et parfois d’atténuation, en servant davantage l’intelligibilité du texte (l’articulation est diluée au profit de la conduite vocale). Les instrumentistes se montrent plus inspirés encore dans l’intermède non vocal de Luigi Rossi « Les pleurs d’Orphée aillant perdu sa femme », sommet déploratif d’un intensité et gravité expressive digne de Monteverdi (plage 24). Rossi composera bientôt son Orfeo de 1647 pour être joué à Paris à la demande de Mazarin.
Manquant là encore de souffle halluciné, d’urgence expressive, de relief mordant, Nicolas Achten semble bien peu inspiré dans le Landi final. Dommage mais on ne peut nier qu’il y manque encore une ferveur première, une impatience suave, surtout dans les couleurs de la voix, une diversité d’intentions qui aurait pu animer et habiter le texte autrement ; qualités ici manquantes qui font les grands Orphées à l’opéra. Pas sûr que le chanteur puisse demain supporter la tension permanente en chantant intégralement Orfeo de Monteverdi : il y faut de la subtilité, de l’imagination, de la profondeur…

Face à un répertoire qui s’affichait prometteur voire passionnant, les musiciens de Scherzi Musicali -pour leur premier cd chez DHM (le label baroque de Sony classical), sont encore un peu verts. Mansue de temps d’approfondissement, manque de vrai travail de compréhension des intentions des textes… le résultat est encore trop superficiel, rendant plus que valable l’approche plus enfiévrée et visionnaire des Harnoncourt, Christie, Stubs d’hier. Nos réserves ici et là n’empêchent pas de reconnaître un programme idéalement conçu, dont les facettes si ténues et nuancées méritaient une approche plus aboutie sur le plan vocal comme instrumental. Autre critique : pourquoi avoir mis sur le visuel de couverture les larmes d’une femme quand c’est bien le poète Orphée qui en s’exprimant a su émouvoir et convaincre : la plainte et la prière salvatrice dont il est question sont bien celles d’un homme, et non des moindres : l’inventeur du chant lyrique. Contresens et source de confusion pour le jeune public et les curieux non connaisseurs  (mais on y reconnait bien les promesses d’un marketing approximatif). En conclusion : voici un ensemble à suivre avec l’espoir, inspiré par un répertoire si exigeant, qu’il se perfectionne encore et encore.

CD; compte rendu critique. Il Pianto d’Orfeo (or the birth of opera). Luigi Rossi, Caccini, Peri, Monteverdi, … Scherzi Musicali. Nicolas Achten, baryton. Deborah York, soprano. 1 cd DHM Deutsche harmonia mundi. Enregistré en novembre 2013 en Belgique.

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