mardi 17 septembre 2024

CD. Gluck : La Clemenza di Tito (Ehrhardt, 2013)

A lire aussi

gluck-clemenza-tito-ehrhardt-werner-arte-del-mundo-dhmCD. Gluck : La Clemenza di Tito (Ehrhardt, 2013). L’ouvrage de Gluck surprend par sa coupe ardente, l’ambition de ses récitatifs (du vrai théâtre lyrique : toute la première scène d’ouverture est du pur théâtre) et ici, une très fine caractérisation des protagonistes (grâce à des airs qui savent développer l’énergie psychologique de chaque profil individuel) : Vitellia, Sesto, Titus, Servillia, c’est à dire le  quatuor embrasé des amours éprouvées, en souffrance dont la couleur spécifique fait passer du classicisme au préromantisme… tous déjà sous sa plume et avant Mozart, impose des tempéraments instrumentalement et vocalement passionnants à suivre du début à la fin.

gluck willibald christoph orfeoMaîtrise exceptionnelle du genre seria. 10 ans avant de réformer l’opéra sedia avec son premier Orfeo (Viennois, créé en 1762), Gluck affirme dans cette Clémence de Titus de 1752, une maîtrise époustouflante de la forme lyrique noble : le seria, ses règles strictes, sa dignité morale, sa nécessité vertueuse inspirée des Lumières, sa conception codifiée dans l’expression cathartique des passions humaines exacerbées y trouvent une illustration qui force l’admiration. Le présent album nous gratifie d’une connaissance régénérée de l’art d’un Gluck révélé en génie du drame. Mai pour autant pas, comme chez Mozart (en 1791), de déroulement dramatique resserré, d’airs solistiques moins longs, de souffle théâtral irrésistible comme l’incendie du Capitole dont le divin Wolfgang, à la fin de sa trop courte carrière, fait le premier tableau romantique de l’histoire lyrique au XVIIIème siècle finissant. Pas encore de duos, d’ensembles ou de chœurs agissant cachés en coulisses pour une action simultanée, mais déjà en 1752, une refonte des airs qui certes longs, savent s’immiscer très subtilement dans la trame même de l’action : le parcours émotionnel de chaque protagoniste fusionne avec l’action proprement dite et les arias da capo paraissent étroitement liés et interdépendant des situations scéniques. Tout cela est remarquablement exprimé et compris par Werner Ehrhardrt et son musiciens d’Arte del mondo.

Dans cet enregistrement réalisé en novembre 2013, l’équipe des chanteurs et des instrumentistes réunie par Werner Ehrhardt défend avec conviction et subtilité l’une des partitions méconnues du chevalier Gluck, constellé de pépites lyriques. Un ouvrage qui remontant à 1752 (créé à Naples) et sur le livret de Métastase incarne les valeurs humanistes et éclairées de l’Europe intellectuelle et savante. Et qui sous la plume du compositeur passionné de vertus comme de passion, saisit par la volonté de caractérisation de chaque profil : voyez le formidable Sesto à l’allure carnassier et martial par exemple… On y relève les ficelles du milieu napolitain dans lequel Gluck évolue, celui des Tratetta et Jommelli. Mais le fiévreux démiurge se distingue déjà, 20 ans avant sa révolution parisienne, par son muscle rebelle, sa tension continue… En somme Gluck avant Gluck.
Vitalité, tempérament et aussi voix caractérisées prêtes à en découdre parfois à la limite de la justesse mais avec quel sens du risque (assumé): écoutez ici l’air CD3 plage 5 où le contre ténor Flavio Ferri-Benedetti (Publio) ose tout … à l’égal de sa consœur, la mezzo Raffaella Milanesi (ardent Sesto de braise et embrasé, aux agilités acrobatiques inouïes révélant des aigus nets dans son air plage 11): ce « nouveau » et méconnu Gluck saisit par son audace, sa musicalité expressive, d’une âpreté qui rappelle les premiers jalons baroques portés par l’engagement des pionniers. De son côté, Valer Sabadus (Annio) n’usurpe pas sa renommée naissante, aux côtés des Franco Fagioli, nouveaux contre ténors d’un nouveau gabarit : percutants, finement caractérisés ; son timbre (d’une fragilité cristalline taillée pour les lamentos introspectifs et les blessures ténues), son style fin apportent également une couleur humaine très aboutie à la ciselure émotionnelle développée et défendue par Gluck (même cd, plage 18).

Gluck avant Gluck

Lyre brûlante du Gluck napolitain

CLIC_macaron_2014Voici donc le génie dramatique du compositeur à Naples, déjà maître du seria en 1752, soit 10 ans avant sa sensationnelle réforme de l’opéra opérée à Vienne avec Orfeo en 1762… DHM Deutsch Harmonia Mundi a le mérite de soutenir un tel projet car les productions discographiques d’envergure et ambitieuses comme les révélations lyriques sont de plus en plus rares surtout à ce niveau d’implication. Ici, le premier Gluck, très italien évidemment, contemporain des premiers chefs d’oeuvres mozartiens s’impose à nous par un sens du drame que les interprètes parfaitement menés par le chef de L’arte del mondo, Werner Ehrhardt, servent en se dépassant unanimement.
Le profil des caractères y gagne un surcroît de relief, qui doublé par un continu et un orchestre bondissants eux aussi à l’écoute des vibrations expressives, articule une musicalité constamment développée dans le sens de l’action. Les 4 cd de cette première sur instruments d’époque montrent toute la science du Gluck « napolitain » des années (1752) : efficace, vitaminé, souvent direct dans une langue lyrique qui sert et la tentation virtuose des airs de bravoure et l’allant irrépressible de l’orchestre qui pousse à la résolution du drame.

aikin-laura-soprano-vitellia-gluckNous sommes loin cependant du chef d’oeuvre mozartien – sombre, funèbre mélancolique-, mais Gluck âgé de 38 ans, sur un livret de Metastase sait relever le défi de la dramatisation psychologique et des situations extrêmes révélant les vraies natures. Sans temps morts, tout le CD3 (Acte II) est une série d’airs frénétiques  (de coloration martiale – cor omniprésent) qui déploient les pulsions, les désirs, les aspirations les plus intimes, jusque là demeurées cachées par bienséance, pudeur ou calcul. Le chef gagne par un geste précis, intérieur, expressif certes mais subtilement suggestif (plage 9 : la soprano Laura Aikin campe une Vitellia, voix tragique et lugubre, d’une gravité douloureuse, languissante et nostalgique dont la déchirante impuissance s’exprime dans son dialogue avec le hautbois : je sens geler mon cœur : Sento gelarmi il cor…). C’est l’un des instants les plus prenants de l’action. L’emblème d’un style capable de faire jaillir la pudeur la plus juste.

2014 marque le centenaire de Gluck : anniversaire passé sous silence quand Rameau, son rival dans le coeur de Rousseau, occupe légitimement le devant de l’affiche. Avec ce remarquable enregistrement, Werner Ehrahrdt poursuit un parcours sans fautes semé d’indiscutables accomplissements (dont Medonte de Myslivecek en 2010) première révélation majeure du maestro et de son ensemble, suivi de La Finta Giardiniera d’Anfossi, 1774 (enregistré en 2011) ; et DHM confirme la justesse de son discernement, combinant défrichement et cohérence artistique car ici le plateau vocal et la lecture des instrumentistes se révèlent plus que convaincants. Superbe découverte servie par une réalisation sans défauts.

Gluck :  La Clemenza di Tito (1752). Aikin, Trost, Milanesi, Ezenarro, Sabadus, Ferri-Benedetti, L`arte del mondo. Werner Ehrhardt. 4 cd DHM Deutsche Harmonia Mundi  (3 CD Sony classical). Enregistré à Leverkusen, en novembre 2013.

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

CRITIQUE, opéra. ANVERS, Opera Ballet Vlaanderen, le 14 septembre 2024. PUCCINI : Madama Butterfly. C. Byrne, L. Verstaen, O. Purcel, V. Neri… Mariano...

Pour marquer le centenaire de la disparition de Giacomo Puccini, l’Opéra d’Anvers a choisi de lui rendre hommage avec...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img