CD. Aux couleurs acidulées, le coffret Gluck 2014 par DECCA est un must. Tout en offrant une pluralité heureuse des interprétations, le coffret Gluck du tricentenaire 2014 rend compte de la carrière du Chevalier Christoph Willibald Gluck sur la scène lyrique, entre Vienne et Paris. Qu’on préfère comme nous Gardiner, d’une sensualité poétique superlative à la hargne finalement parfois outrée et caricaturale de Minkowski (le geste est souvent mécanique), qu’importe : les 7 opéras réunis ici y trouvent d’indéniables défenseurs inspirés, convaincants, chacun, ardent gluckiste, capable d’indéniables arguments. 300 ans après, le théâtre de Gluck continue de fasciner et ses œuvres respectives, celles italiennes à Vienne comme leurs reprises françaises à Paris sans compter les nouvelles partitions pour Marie Antoinette, sont loin d’avoir dévoiler tout leurs enseignements. D’une version à l’autre, de Vienne à Paris, se précise l’exigence d’un génie du drame musical, jalon essentiel après Rameau vers le spectacle total de Wagner…
Incroyable jeu des chassés croisés… Alors que le Comte Durazzo, intendant des théâtres impériaux à Vienne appelle et confirme Gluck comme compositeur officiel pour renouveler les opéras viennois – Gluck s’y affirme peu à peu comme un maître du genre exotique de l’opéra comique français (La rencontre imprévue de 1764 marque le sommet de cette veine française à Vienne), c’est à Paris, adaptant ses opéras viennois (Orfeo, Alceste…) que le Chevalier se refait une renommée, important sa conception de la déclamation solennelle remise en forme en un drame resserré, édifiant, d’une redoutable efficacité dramatique. Entre Rameau et Spontini, Gluck réforme l’opéra français à l’époque de Marie-Antoinette.
Réformateur de l’opéra tragique entre Vienne et Paris
Voici récapitulée, sa carrière entre Vienne (années 1760) et Paris (années 1770), qui fait de Gluck, à la veille de la Révolution, le champion de l’opéra seria en Europe. Le coffret Decca est incontournable en ce qu’il offre aussi une synthèse des lectures les plus décisives pour la compréhension de sa manière propre, de l’apport du maître au genre lyrique à la fin du XVIIIè : cette synthèse dont il est le seul à défendre légitimiment les vertus esthétiques ; son art est européen avant la lettre, empruntant à l’Italie (mélodies suaves), au germanisme (le développement orchestral souvent stupéfiant), à la France (choeurs et ballets, sens des contrastes dramatiques). A sa source, Berlioz s’abreuve directement. Forme équilibrée, drame préservé, passions exacerbées… autant de qualités que recueillent tous les auteurs de son vivant et après lui : Vogel, Sacchini, Piccini, Gossec… Voici donc les enregistrements qui ont fait date, en particulier ceux de Gardiner qui en France aura œuvré de façon décisive pour la réévaluation des opéras de Gluck : les deux Iphigénies, -Iphigénie en Tauride d’après Racine de 1779 (Lyon, février 1985), Iphigénie en Aulide de 1774 (Lyon, juillet 1987)-, puis Orfeo ed Euridice (Londres, mai 1991), sans omettre la sublime Alceste de 1767, point d’accomplissement du Britannique (Londres, Paris 1999) au service d’un sommet tragique de l’opéra nouvelle formule, celle gluckiste rompant avec l’idéal des Lumières légué par Métastase : chœurs tragiques, ballets funèbres et poétiques de Noverre. Le chef et ses équipes anglosaxonnes trouvent un ton idéal, dramatique et d’une rare élégance, proposant une lecture du style « bruyant et gémissant » du Chevalier, claire et racée, d’une perfection indéniablement »européenne ». Sa reprise à Paris est un jalon de l’opéra tragique néo grec à Paris. C’est la version parisienne de 1776 que Gardiner enregistre ici, délivrant les bénéfices de sa compréhension très fine et passionnante de Gluck.
Moins abouties et plus brouillonnes que son aîné Gardiner, les lectures de Minkowski (chœurs instables, chanteurs majoritairement français mais comble dommageable, souvent peu intelligibles!) s’imposent néanmoins (grâce à l’engagement de la diva complice mise en avant : Mireille Delunsch) : Armide version parisienne de 1776/1777 d’après l’original viennois de 1767 (Paris, 1996), Orphée et Eurydice (Poissy, 2002)…
Joyau oublié parce qu’il échoua à Vienne, marquant le début de la défaveur de Gluck en 1770, l’excellent Paride ed Elena, magnifiquement ciselé par Paul McCreesh (avec une distribution féminine remarquable : Kozena, Gritton, Sampson) étincelle par sa sensualité féminine, traitée comme un huit clos d’une exquise délicatesse et d’une subtile caractérisation.
Impression générale. La comparaison avec Minkowski s’avère là encore parfois peu favorable pour ce dernier : face à l’élégance et au raffinement naturel de ses compétiteurs, McCreesh et Gardiner soignent la cohérence de leurs plateaux vocaux, l’équilibre orchestre/voix, la sonorité suave et dansante de l’orchestre-, le geste vif du Français bascule souvent dans la caricature sèche et mécanique, un tranchant qui ne manque pas de drame (le duo Armide et son père Hidraot, en l’exhalaison de leur souffle haineux, ensorcelant et fantastique, – contre Renaud par exemple, séduit immanquablement) mais finit par le rendre trop incisif. Néanmoins, l’offre aussi diversifiée et impliquée de part en part, offre un panel d’interprétations d’une irrépressible attractivité.
En plus des 7 opéras majeurs de Gluck, le coffret regroupe plusieurs perles historiques, premières approches d’un Gluck encore « non historique » (pas encore sur instruments d’époque), mais pour les interprètes concernés, d’un style articulé qui parfois convainc tout autant car chez Gluck et son style frénétique (puissant et raffiné, expressif et noble à la fois), il est question aussi d’engagement émotionnel (Bartoli, Horne, Florez, Baker, Ferrier…). Superbe coffret Gluck qui séduit autant par le choix des interprètes convoqués que la sélection des opéras réunis.
Christoph Willibald Gluck : the great operas. Orfeo ed Euridice, Paride ed Elena. Alceste. Orphée et Eurydice, Iphigénie en Aulide, Iphigénie en Tauride, Armide. Gardiner, Minkwoski, McCreesh. 15 cd Decca. Coffret pour le tricentenaire Gluck 2014.