jeudi 28 mars 2024

CD, critique. SALIERI : Les Horaces (Les Talens Lyriques, 2 cd Aparté – 2016)

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salieri les horaces talens lyriques rousset critique opera critique cd cd review par classiquenews CLIC de classiquenews AP185-2-3000-1024x1024CD, critique. SALIERI : Les Horaces (Les Talens Lyriques, 2 cd Aparté – 2016). Versailles, 1780… Un certain engouement défendu par le milieu parisien et versaillais, s’est récemment porté (avec plus ou moins de réussites) sur les opéras créés à Versailles sous le règne si court de Louis XVI et Marie-Antoinette ; soit pendant les années 1780 (décennie faste il est vrai, pour les arts du spectacle / comme si avant la révolution à venir, au bord du gouffre, les patriciens et les nantis de l’ancien régime, s’en donnaient à cœur joie dans une ivresse aussi intense qu’insouciante). L’époque est au grand spectacle, avec tableaux spectaculaires voire terrifiants, ballet développé et aussi intrigue sentimentale qui « humanise » tout cela.
Nous avions déjà pu mesurer dans le cadre du même courant de résurrections, les fameuses Danaïdes, opéra antérieur du même Salieri, créé en 1784 à Versailles également mais sur un sujet tiré de l’Antiquité (certes la plus sanglante et tragique : car il y est question d’un massacre en bonne et due forme… LIRE ici notre critique des Danaïdes de Salieri, également restitué par Les Talens lyriques en 2013 et une partie de la distribution des Horaces…).
https://www.classiquenews.com/cd-compte-rendu-critique-salieri-les-danaides-christoyannis-van-wanroij-rousset-2013/

 

 

 

Versailles, 1786
Les Horaces… la tragédie cornélienne selon Salieri

 

 

 

salieri-portrait-classiquenews-les-danaides-1784-antonio-salieriAvant le « grand opéra romantique » (fixé au siècle suivant par Spontini et Meyerbeer, dans la suite de Rossini (on le voit : que des étrangers), le XVIIIè français, sait lui aussi s’ouvrir à la diversité et aux talents extérieurs, puisque après Rameau (le dernier grand génie lyrique hexagonal, après Lully), c’est le Chevalier Gluck qui opère la réforme de l’opéra français au début des années 1770 : pour revitaliser un genre qui se sclérosait, – la tragédie en musique (hérité de Lully), Rameau d’abord, puis Gluck, puis à partir des années 1780, une colonie de compositeurs étrangers paraissent à la Cour et présentent leur conception du drame lyrique. Gossec, Vogel, Johann Christian Bach, mais aussi les Napolitains (Sachini, Piccinni), puis Salieri, autorité européenne, surtout viennoise, apportent chacun leur éclairage à l’édifice lyrique français.
Avant la Révolution et comme les prémices du chaos à venir, la nervosité, une certaine frénésie (gluckiste) se mêlent alors à la ciselure nouvelle des affects, au moment où la notion de sentimentalité s’impose et avec elle, les germes du romantisme.
Après donc Les Danaïdes, opéra sanglant dont le tableau du massacre perpétré par les vierges Danaïdes état un prétexte spectaculaire, voici (avant Tarare, perle lyrique des Lumières, bientôt abordé dans la suite du visionnaire en la matière, Jean-Claude Malgoire), Les Horaces, créé en 1786, au moment où David fixe pour Louis XVI, les règles nouvelles de l’art pictural, ce néoclassicisme à la clarté expressionniste, elle aussi nerveuse et immédiatement intelligible (Le Serment des Horaces, présenté au Salon de 1784). 

 

 

NEOCLASSICISME TRAGIQUE… C’est la période où il n’est pas d’acte héroïque s’il ne produit pas de sacrifice. Du peintre au compositeur, circule une évidente célébration du radicalisme héroïque, à peine tempéré ou adouci par la tendresse de quelque personnage isolé (ainsi sœur d’Horace, Camille dont l’amour sincère infléchit réellement le cœur du Curiace… mais en vain). Ici, la destinée individuelle est broyée par la machine de l’implacable Histoire : les pères (le vieil Horace, obstiné, suicidaire) transmettent aux fils, l’esprit de haine et de vengeance, faisant peser la menace de l’extinction de la race. Meurtre, tuerie, vengeance et jalouse haine, hargne, possession, déraison… sont les ferments des livrets d’alors, prétextes évidemment à de passionnantes mises en musique.
Avec Salieri (sur les traces de Corneille), qu’en est-il ?

On ne saurait trop louer l’effort qui produit cette résurrection salutaire, indice d’une époque lyrique qui pourrait pas sa diversité et les profils invités, être présenté comme un véritable âge d’or du spectacle lyrique en France. 10 ans avant la Révolution, la Cour de France produit quantité d’ouvrages les uns plus passionnants et saisissants que les autres. Ce n’est pas ces Horaces qui contredisent la tendance. La grandeur morale de chaque figure, et dans chaque clan opposé, incarne un idéal louable.
A l’heure où l’opéra français tente de se réinventer, en particulier comme dans le cas des Horaces, en revisitant les textes classiques du siècle précédent, ici, celui de Corneille, Salieri s’attèle à une tragédie romaine au français le plus noble, porteur de sentiments exacerbés.
Las, la tension essentielle et sa forme expressive première : la langue est malheureusement bien mal défendue dans cette interprétation qui recherche surtout la nervosité et l’expressivité : rares sont les chanteurs, malgré la qualité de leur timbre et une certaine élégance de style, à savoir maitriser totalement la courbe tendue du verbe cornélien : une seule chanteuse suffit à démontrer ce qui fait les limites et une certaine séduction : Judith van Wanroij, qui a fait des héroïnes altières ou princières, sa spécialité, mais si discutable quand on l’écoute yeux fermés, tentant – vainement de deviner ce qu’elle dit : c’est tout le relief sémantique d’un Corneille plutôt inspiré alors (Les Horaces, 1640) qui disparaît de façon dommageable. Clarté, déclamation tendue et naturelle, ferme et tendre, héroïque et tragique doivent évidemment inféodé tout l’édifice à l’orchestre comme de la part de chaque soliste. Quel plaisir alors d’écouter la fine fleur des ténors français actuels : Cyrille Dubois (Curiace), Julien Dran (Horace) : leur intelligibilité rend encore plus exaltant le relief d’un texte nerveux, musclé qui les affronte sans ménagement, jusqu’à la mort. Pour les deux voix masculines, le présent album mérite tous les suffrages. Quel nerf et quel style ! D’autant que l’orchestre sert cette frénésie postgluckistes avec une tension permanente. Même engagé articulé et bien déclamé de la part de Jean-Sébastien Bou qui fait un vieil Horace, animé par la vengeance.
C’est du David sur scène, une peinture vivante et palpitante du mot déclamé, la claire et noble expression des passions les plus rivales et les plus extrémistes.
Salieri a le sens du rythme : scènes de foule et bataille, attendrissement tendre (duo Camille / Curiace), cas de conscience de Curiace, entre loi et devoir, sentiment et désir, le théâtre lyrique s’exalte, s’embrase même. Il reste incompréhensible qu’au moment de la création, une partie du public ait ri plutôt qu’il ait été touché par cette lyre abrupte et acerbe où coule un sang facile, et se dressent des orgueils pourtant sincères et chacun légitime… les interprètes à la création furent-ils en dessous des défis conçus par Salieri ?Après 3 représentations en décembre 1786, le second opéra de Salieri en France disparut totalement. Belle recréation.

 

 

 

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Antonio Salieri (1750-1825) : Les Horaces

Judith Van Wanroij, Camille
Cyrille Dubois, Curiace
Julien Dran, le jeune Horace
Jean-Sébastien Bou, le vieil Horace
Philippe-Nicolas Martin, L’Oracle, un Albain, Valère, un Romain
Andrew Foster-Williams, Le Grand-Prêtre, le Grand-Sacrificateur
Eugénie Lefebvre, Une suivante de Camille
Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles
Olivier Schneebeli, direction
Les Talens Lyriques / Christophe Rousset, direction

2 cd APARTE AP185 – enregistrement réalisé en 2016. CD1 : 55’33
/ CD2 : 30’10

 

 

 

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