CD, critique. OFFENBACH : Concerto militaire (Edgar Moreau, 1 cd Erato, 2017). il joue de la soie de son foulard Ă©charpe en couverture comme son chant au violoncelle est souple, fin, dâune exceptionnelle Ă©lĂ©gance. Le jeune violoncelliste Edgar Moreau Ă©blouit littĂ©ralement par son naturel et sa musicalitĂ©. Quelle belle rĂ©vĂ©lation que ce Concerto “militaire” pour violoncelle en sol majeur (composĂ© en 1847 par un Offenbach, ĂągĂ© de 28 ans), auquel le jeune concertiste soliste sait prĂ©server lâĂ©loquence en diable et la sensibilitĂ© raffinĂ©e viennoise. Le premier mouvement est portĂ© par une Ă©nergie conquĂ©rante, celle dâune troupe en armes, fiĂšre et gavĂ©e dâun sain panache (nâest il pas militaire, comme son titre lâindique ?). La verve et le brio font toute la valeur de cette Ă©criture dĂ©monstrative et fine ; deux qualitĂ©s qui sâexaltent sous lâarchet et sous les doigts magiciens dâEdgar Moreau dont lâagilitĂ© souple et trĂšs articulĂ©e fait merveille, sachant ⊠et souligner le lyrisme tendre et lâappel au dĂ©lire le plus dĂ©boutonnĂ© ; ses phrasĂ©s sont prĂ©cis et nuancĂ©s, dâune flexibilitĂ© unique, douĂ©e de grande finesse dans le jeu des caractĂ©risations incessantes et contrastĂ©es. Lâinstrument est proche du chant le plus facile, Ă©perdu, Ă©chevelĂ© (premier Allegro maestoso). La carrure des phrases, leur sens dĂ©lurĂ© de la parodie, lâivresse des vocalises annoncent cette joie irrĂ©pressible du gĂ©nie de la pantalonnade.
Le violoncelle nâest pas seulement hyperbavard qui semble jouer toutes les parties et toutes les voix : il exprime la frĂ©nĂ©sie de cet Offenbach hyper sensible, racĂ©, Ă©lĂ©gantissime. Le jeu crĂ©pitant et nuancĂ© du soliste suit mesure Ă mesure, lâĂ©criture opĂ©ratique, oĂč se succĂšde une sĂ©rie de cadences, variations, fantaisies les plus fantasques (« bouffes ») dâun esprit hantĂ© par la grĂące du dĂ©lire. Quel premier mouvement!
Génie foudroyant, survolté mais nuancé
dâOffenbach et du jeune Edgar Moreau
DĂ©voilant toute la maestriĂ dâun dramaturge nĂ©, capable de cette partition dĂ©lurĂ©e, dĂ©lirante, 10 ans avant OrphĂ©e aux enfers. Sây ressuscite et sâincarne idĂ©alement par son insolence magnifique, lâesprit dâOffenbach : cet oiseau moqueur si dĂ©lectable dans ses dĂ©lires et sa fantaisie souveraine. Lâamuseur du Second Empire ose dĂ©jĂ en 1847, une cascade dâidĂ©es dĂ©jantĂ©es, de verve en diable qui se joue de tous les registres : lâart est libre, et avec Offenbach, composant pour son propre instrument, non pas la voix mais le violoncelle, totalement explosif ; car, juvĂ©nile, sincĂšre, quasi instinctif, câest dâabord un bain bouillonnant dâĂ©nergie. Le feu intact du jeune violoncelliste Moreau permet cet acte dâappropriation, naturel et foudroyant.
Dommage que lâorchestre, style grosse caisse, en fasse trop contradictoirement dans ce passage qui est une formidable entrĂ©e, un lever de rideau maestoso et pĂ©taradant. Le violoncelle solo est Ă peu prĂšs aussi volubile et ciselĂ© que lâorchestre, Ă©pais, dĂ©monstratif, et sans guĂšre de nuances. On veut bien comprendre quâil regroupe des individualitĂ©s (collectif de chambristes), certes, mais oĂč sont les nuances ?
Le second mouvement (Andante de presque 10 mn) sonne lâaria dâune diva de bel canto : andante chantant lui aussi mais en demi, ultra teintes, oĂč le dosage et la nuance supplĂ©ent la volontĂ© de bravade brute et de pure virtuositĂ©. Car Edgar Moreau sait aussi colorer et ciseler une sonoritĂ© qui « paraĂźt » certes, et gonfle les muscles, mais sait surtout « ĂȘtre » : intĂ©rieure et introspective. Ce jeu des arriĂšres plans est dĂ©lectable voire superlatif. On trouvera lĂ encore la tenue de lâorchestre bien terre Ă terre en comparaison.
VoilĂ qui rĂ©tablit le gĂ©nie facĂ©tieux dâun Offenbach trĂšs cultivĂ© qui pense par son violoncelle tout lâopĂ©ra de son Ă©poque : Rossini, Bellini et Verdi ; les Italiens Ă©videmment dont il aime parodier toutes les facettes. Mais Offenbach aime moquer surtout lâorgueil et la vanitĂ© du militaire, comme en tĂ©moignent les nombreux Ă©clats comiques du final qui annonce La Grande Duchesse de Gerolstein (Ă©crite 20 ans aprĂšs son Concerto). Une belle offrande discographique pour le bicentenaire de la naissance de Jacques Offenbach, de surcroĂźt dans la version complĂšte reconstituĂ©e par Jean-Christophe Keck en 2004.
Dâune Ă©gale facĂ©tie parodiant les styles les plus divers (jazz et rock dans le premier mouvement), le Concerto du pianiste viennois Friedrich Gulda (dĂ©cĂ©dĂ© en 2000) surprend dans son Concerto pour violoncelle (créé en 1980) lui aussi par sa facilitĂ© parodique ; si le premier mouvement sonne rock (le violoncelle empruntant rĂ©solument la voie de la guitare Ă©lectrique), les second (Idylle) et dernier mouvement, sont dâun lyrisme Ă©clectique impeccable, dâune finesse de ton qui retrouve la grĂące dâinspiration du Concerto dâ Offenbach. La Cadence contraste par sa quĂȘte Ă©perdue, froide, interrogative ; elle semble rentrer dans le mystĂšre en un dĂ©lire que certains trouveront… bavard, autocentrĂ© (avec pastiche alla Chostakovitch : aciditĂ© et vertiges dâun questionnement sans rĂ©ponse). Qu’importe, le soliste captive par la disparitĂ© de sa palette expressive, ; l’Ă©tonnante prĂ©cision de ses nuances les plus tĂ©nues.
Gulda fut ce « poil Ă gratter de la sociĂ©tĂ© bourgeoise conservatrice, le prince du cross over » est-il indiquĂ© dans la notice du livret. Son sens de la provoc demeure bien polissĂ©, jouant sur le choc aimable des styles diffĂ©rents, un Ă©clectisme qui se moquant des frontiĂšres et de la biensĂ©ance « catĂ©gorisante », avait alors (en 1980) valeur de sĂ©dition musicale : il est vrai que Vienne concentre une pensĂ©e bien conformiste et un ordre hiĂ©rarchisĂ© qui ignore tous ceux qui nâont pas le titre ronflant de « doktor ». Le mentor de Marta Argerich cultivait la libertĂ© lui aussi, rĂ©solument provocatrice pour remettre les cerveaux dans le bon sens.
Talentueux dans lâinfini nuancĂ©, comme dans la bravade empanachĂ©e la plus dĂ©bridĂ©e, Edgar Moreau cisĂšle un jeu idĂ©al : Ă la fois introspectif et sincĂšre, comme Ă©loquent, articulĂ©, subtil, virtuose. Magistrale approche. Gulda est revivifiĂ© ; le jeune (violoncelliste) Offenbach illumine par une telle intelligence. MalgrĂ© la faiblesse peu inspirĂ©e de lâorchestre, le cd est « CLIC de CLASSIQUENEWS » de fĂ©vrier 2019.
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CD, critique. OFFENBACH : Concerto militaire – couplĂ© avec le Concerto pour violoncelle de Gulda(1980). EDGAR MOREAU, violoncelle. Les Forces Majeures / RaphaĂ«l Merlin, direction – 1 cd ERATO / Warner classics – durĂ©e 1h13mn – enregistrement rĂ©alisĂ© en aoĂ»t 2017, Limousin).
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