jeudi 28 mars 2024

CD critique. DEBUSSY par Véronique BONNECAZE, piano (1 cd PARATY 2018)

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bonnecaze véronique cd debussy classiquenews annonce critique cdCD critique. DEBUSSY par Véronique BONNECAZE, piano (1 cd PARATY 2018). Somptueuse leçon de piano, le DEBUSSY de Véronique Bonnecaze captive autant par la réalisation musicale que la justesse poétique. Le choix du Bechstein 1900 est pertinent et très fécond, rappelant combien la sonorité est une question de toucher mais aussi de mécanique, l’équilibre entre les deux, révélant évidemment le tempérament des plus grands. A notre connaissance aucun des plus grands interprètes internationaux ne partage avec Véronique Bonnecaze cette réflexion (et cette audace) sur le choix de l’instrument, en affinité avec le répertoire et l’esthétique concernés. Tous les plus médiatisés, d’Argerich à Pollini et Freire, sans omettre les talents de la nouvelle génération, de Grosvenor à Trifonov (Malofeev a encore du temps pour polir davantage son propre son), et l’on ne parle pas des lolitas people (telles Yuja Wang ou Alice Sara Ott): tous sans exception jouent sur Steinway ou Yamaha voire Fazioli. Notre époque est donc au formatage sonore. Voilà donc dans le choix du piano, une approche qui se distingue… née d’un soin spécifique qui relève d’une approche artisanale. Et elle fonctionne admirablement.
Véronique Bonnecaze a elle-même souligné combien grâce au Bechstein, une marque appréciée par Claude Debussy, les mélanges et superpositions des harmonies sont comme « régénérées » grâce au piano d’époque. Cela profite aussi à cette quête spécifique du timbre qui ouvre de nouveaux espaces, cultive des sensations inédites, réinvente l’expérience de l’auditeur.
La maîtrise technique et la hauteur de vue sur le plan poétique éclatent dès « Clair de lune », extrait de Suite Bergamasque, d’après Verlaine et qui est une pièce de jeunesse (1890) : techniquement assez aisée, la séquence célèbre en très peu de notes, l’évasion vers la sensualité suspendue, porte des imaginaires ; en un jeu intérieur, c’est un nocturne amoureux, ou un souvenir intime dont la caresse produit une extase toujours renouvelée. Le jeu de Véronique Bonnecaze montre tout ce qui compose le génie de Debussy : son sens de la construction, son goût de la couleur, tout inféodés à l’intensité du souvenir qui ressuscite ; c’est comme la madeleine de Proust : une sensation qui s’électrise à mesure qu’elle est réitérée. On y retrouve dans les bémols (5 à la clé), la puissance harmonique des climats de Prélude à l’après-midi d’un faune : autre volupté souveraine. Magnifique entrée en matière pour ce programme idéalement conçu.
Séquence plus lumineuse encore, L’Isle joyeuse (1904) s’inscrit pleinement dans le choix du Bechstein : la mécanique maîtrisée exprime cet élan vers la vie, cet appel fluide et continument ondulant à l’extase… amoureuse elle aussi car Debussy sur l’île de Jersey célèbre alors sa passion pour Emma Bardac, avec laquelle il partage désormais sa vie. La matière sonore s’électrise là aussi, mais en s’allégeant, immatérielle et climatique, fusionnant l’image de l’île et le vent marin qui glisse et s’évade. Véronique Bonnecaze convoque idéalement ce Debussy poète, ivre de la sensation, collectionneur des climats, grand alchimiste des éléments mêlés et sublimés.

Avec Images de 1907 (2è série), nous sommes encore dans l’enivrement des sens, servi par une technique de plus en plus allusive, picturale, et … quasi abstraite. « Poissons d’or » désigne les poissons scintillants dans l’onde (les « Goldfishes » des anglais) dont l’écriture exprime l’immatérialité active, la sensation fugitive des écailles et de l’oeil du poisson, en mouvement permanent, que le jeu de la pianiste embrase littéralement par sa digitalité là encore picturale, essentielle, vibratile. Précise, la palette des nuances ainsi restituée renvoie au panneau laqué chinois que possédait Debussy et qui représentait des poissons de nacre et d’or. Davantage qu’une description, c’est la sensation même su sujet ; l’impressionnisme de Debussy cristallise la forme évanescente du poisson dont le piano exprime la station mobile, le mouvement lui-même.
On relève cette même qualité vibratile du toucher dans « Et la lune descend sur le temple qui fut » dont l’orientalisme égrène sa matière cristalline et presque froide en une évocation qui suscite là aussi la vision poétique et picturale.
La force de l’évocation chez Debussy est de fusionner le temps et l’espace à travers un tissu sonore d’une volupté harmonique à la fois dense et vaporeuse. Véronique Bonnecaze nous fait écouter tout cela ; au compositeur poète et peintre, l’interprète détecte et révèle aussi le visionnaire cinéaste, car Debussy compose en images et en mouvement, avec un sens de la composition qui cite immédiatement des cadrages précis.

debussy-portrait-dossier-centenaire-2018C’est évidemment le cas des Préludes (Premier Livre : 1909-1910), aux titres évocateurs qui sont autant d’épisodes immédiatement caractérisés, de vrais tableaux riches en timbres, couleurs, harmonies rares et changeantes, porteuses de nuances sonores jamais conçues jusque là avec autant de force et de raffinement. Le compositeur stimule notre imaginaire : le vif argenté et foudroyant des Collines d’Anacapri ; le tumulte incisif, puissant et ciselé de Ce qu’a vu le vent d’Ouest (encore un épisode qui fusionne mouvement et image) ; la respiration allusive flattant l’archaïsme feutré de la Fille aux cheveux de lin ; les trois derniers Préludes enchantent par leur identité et leur violence maîtrisées. Debussy fait surgir sa Cathédrale engloutie au lever du soleil (pour ensuite s’enfoncer dans la mer) : en une série d’arches et de portiques qui gagnent à chaque passage l’épaisseur et le poids du mystère ; l’ampleur du monument jaillit, se dessine à mesure qu’il s’enfonce. Il y a ces deux mouvements simultanés qui pourtant se réalisent dans l’immatérialité du secret : l’ampleur sonore comme un jeu d’orgue fusionne aussi ici l’air et l’eau.

Puis Véronique Bonnecaze, synthétisant la fantaisie illimitée et libre de Mendelssohn inspiré par Shakespeare (Songe d’une nuit d’été), exprime l’humeur de Puck, le lutin espiègle et aérien, à la fois capricieux et fantasque qui avec Obéron, manipule, trompe, envoûte les amants perdus, égarés… En un jeu comme fugace et magistralement esquissé, la pianiste convoque ce monde nocturne enchanté et d’une subtilité arachnéenne qui s’accomplit dans la dernière phrase telle une ultime esquive à peine perceptible.

Du chien, du caractère et du panache,  l’esprit taquin de Minstrels résonne dans sa succession quasi heurtée et finalement très jazzy de formules à la Satie. La vitalité rythmique qui souligne aussi le goût du jeu, une facétie quasi enfantine chez Debussy, transparaît clairement dans la lecture de Véronique Bonnecaze.

CLIC_macaron_2014Fluide, ondulante, La plus que lente (1910) déploie ce somptueux abandon mais avec un sens de la retenue et du caprice… digne de Ravel. Là encore le style est élégantissime, et le toucher caressant, amusé. On ne saurait imaginer meilleur récital concluant ainsi l’année Debussy en France. Magistral récital.

 

 

 

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VOIR  le TEASER vidéo du cd DEBUSSY / Bechstein 1900 par Véronique Bonnecaze (1 cd PARATY)

https://www.classiquenews.com/video-teaser-veronique-bonnecaze-joue-debussy-bechstein-1900-1-cd-paraty/

 

 

 

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AGENDA / CONCERT

Dimanche 3 février 2019 // 16h
A la Ferme de Villefavard, Limousin
2, impasse de la Cure de l’Église – 87190 Villefavard

 

 

 

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PROGRAMME DEBUSSY par Véronique Bonnecaze

1. Clair de lune (1890)
2. L’Isle Joyeuse (1903-1904)
Images, 2e série (1907)
3. Cloches à travers les feuilles
4. Et la lune descend sur le temps qui fut
5. Poissons d’or
Préludes, Livre I (1909-1910)
6. I. Danseuses de Delphes
7.II. Voiles
8. III. Le Vent dans la plaine
9. IV. « Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir »
10.V. Les Collines d’Anacapri
11. VI. Des pas sur la neige
12. VII. Ce qu’a vu le vent d’Ouest
13. VIII. La Fille aux cheveux de lin
14. IX. La Sérénade interrompue
15. X. La Cathédrale engloutie
16. XI. La Danse de Puck
17. XII. Minstrels
18. XIII. La plus que lente L.121 (1910)
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Enregistrement réalisé en mars 2018 à la Ferme de Villefavard sur piano C. Bechstein 1900 – Prise de son, montage, mastering : Cyrille Métivier
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LIRE aussi notre présentation du CD DEBUSSY / Bechstein 1900 par Véronique Bonnecaze (1 cd PARATY)

https://www.classiquenews.com/veronique-bonnecaze-joue-debussy/

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