CD. Compte rendu critique. Sibelius : 2ème symphonie, Lemminkaïnen (ONBA, Paul Daniel, 2015, 1 cd ONBA Live, Actes Sud). Suite de la collection initiée par l’Orchestre de Bordeaux et Actes Sud : un cycle de live dévoilant la performance de la phalange bordelaise souvent à l’Auditorium local dans des programmes destinés à rassembler l’audience des mélomanes locaux ou célébrer des anniversaires incontournables. Evidemment pour les 150 ans de la naissance du plus grand symphoniste européen au XIXème avec Mahler s’entend, et pour la première moitié du XXè, l’ONBA et son chef Paul Daniel (depuis septembre 2013) se devaient de lire l’ardente vivacité de Sibelius dans un programme de fait très accessible : les milles séductions de la Symphonie n°2, composé en 1902 au moment où Mahler rédige sa 5ème, amoureuse et si sensuelle- ; la Symphonie n°2 de Sibelius est une vaste fresque panthéiste, d’un souffle irrépressible et irrésistible, ont été auparavant compris et magnifiquement servis par Bernstein le bacchique, ou Karajan l’Olympien. Ce dernier servi lui-même par une prise de son exemplaire (voir chez ses enregistrements chez DG récemment réédités dans le coffret Edition Sibelius 2015, CLIC de classiquenews d’octobre 2015), écrase la discographie d’autant qu’ici l’ingénieur du son préfère lisser et fusionner toutes les aspérités de la partition, propre à la recherche de couleurs d’un Sibélius en communion étroite avec les moindres frémissements de la nature, nature matricielle, nature irréductible à toute expression qui la caricaturerait : entre l’organique débridé de Bernstein, et le contrôle hédoniste et si détaillé, -palpitant- d’un Karajan, Paul Daniel s’appuie sur l’équilibre et la grande cohérence d’une sonorité solaire, avec un souci permanent des équilibres au point de gommer (comme la prise de son) les étagements sonores, la vitalité des contrastes entres les séquences et malgré la très grande caractérisation de chaque pupitre.
Pourtant en verve et détaillé, le chef Paul Daniel n’est pas un sibélien
Sibelius solennel, clinquant, dénaturé
Cependant, son Sibelius sonne solennel et pafois grandiose, quant les plus grands chefs sibéliens sont restés organiques et frémissants. C’est un Sibelius plus wagnérisé que proche de Tchaikovski (référence très présente dans cette seconde symphonie). Le Sibelius de Daniel est ressenti et restituée comme une ascèse nettoyée de ses doutes, vertiges, gouffres pourtant inscrits et présents dans la partition. Classique dans ses développements et sa compréhension, Daniel s’entend à gommer les écarts qui contredise son souci d’équilibre, or la Symphonie n°2 (Allegretto) est un condensé de toute la démarche esthétique de Sibelius, tiraillé dans la croissance organique de la forme, entre organisation et déstructuration, implosion et reconstruction : tout l’édifice se nourrit de ses deux forces antinomiques mais indissociables et complémentaires. Le second mouvement tempo andante soufre d’une asthénie foncière, atténuation qui finit par lisser tous les plans et réduire les séquences pourtant nettement contrastées en une continuité dévitalisée : c’est le mouvement le plus contestable de cette approche certes originale mais qui frôle le contresens. L’aspiration finale de ce 2è mouvement est comme dévitalisée, son effet irrépressible et viscéral d’aspiration (11’34), totalement gommé, quel dommage. Trop lisse, trop conforme, trop rond dans son approche, nous voulons citer le désir de rugosité et de force primitive d’un Sibelius qui s’adressant à son élève Bengt von Törne, et désignant comme illustration de sa démonstration des rochers de granit : « Quand nous les voyons, nous savons pourquoi nous capables de traiter l’orchestre comme nous le faisons ». Déclaration qui vaut intention esthétique pour toutes ses symphonies et qui est justement cité dans la notice du livre cd. Epars, éclaté, fractionné, dilué, la chef ne parvient pas à maintenir un fil centralisateur dans le déroulement confus et pour le coup désorganisé du 3ème mouvement vivacissimo, pour le coup totalement décousu. Ici le chef hors sujet semble assembler les épisodes sans en comprendre l’enchaînement ni la structure inhérente et souterraine : la logique sibélienne, organique, à la fois éclatée mais unitaire, lui échappe définitivement. Le cycle est réduit à une succession polie, plutôt terne, où le sens profond qui naît des contrastes enchaînés est absent. La formidable continuité avec le dernier mouvement et sa fanfare incandescente sont tout autant amollis, sans nerf, atténué, et sur un tempo dépressif : quel manque de passion (au sens où l’entendait Benrstein : écoutez en urgence ce que le chef américain, éperdu, ivre, échevelé fait autrement entendre). Que ce Sibelius sonne mesuré, assagi, dévitalisé. Paul Daniel n’est pas sibélien. Le geste est clair, articulé, équilibré mais tellement timoré : l’assemblage ne prend pas. Manque de vision globale de souffle prenant, incandescent, fulgurant. Le chef passe manifestement à côté, dans un finale rien que démonstratif et grandiloquent, en définitive lourd et presque racoleur, sans aucune fièvre. Quelle déception et quelle incompréhension profonde de l’écriture sibélienne.
Bon couplage que d’associer ici à la Symphonie n°2, Le retour de Lemminkaïnen (1896) opus 22 de plus de 7mn, lui-même épisode final de son cycle Lemminkaïnen, qui est une partition passionnante en ce qu’elle permet d’entendre l’assemblage progressif en une totalité organique à partir d’éléments épars exposés au préalable comme présupposés. La construction du drame et son déroulement évitent toute redite, le point culminant sur le plan de l’expression correspond au final : ici doit se réaliser la reconstruction salvatrice du héros qui a échappé à la mort et la réunification de son propre corps dit sa résurrection et sa victoire finale (à la manière du mythe égyptien d’Osiris, dieu des morts qui ayant ressuscité comme le Christ est aussi dieu de la Résurrection). Saisi comme le chant d’une chevauchée, ou comme l’éveil d’un printemps, frémissant grâce à l’acuité des instrumentistes, Daniel semble trouver une plus juste vision ici, mais hélas, l’enchaînement des épisodes confine à la fraction : tout est magnifiquement détaillé et caractérisé comme une mosaïque de séquences éparses. Mais la vision unitaire et fédératrice qui fusionne les éléments en une totalité mouvante et indivisible… ? Dans l’énoncé détaillé, le geste est séducteur.Mais dans la continuité, la vision ne laisse pas de nous laisser dubitatif, dans une prise de son qui noie les étagements des pupitres. Etrange vision où Sibelius sort plus dénaturé que grandi. Et ces tutti conclusifs rien que ronflants et démonstratifs. A bannir malheureusement. Préférez nettement les approches autrement plus captivantes et justes de Bernstein et Karajan, toutes rééditées à prix compétitif pour l’anniversaire Sibelius 2015.
CD. Compte rendu critique. Sibelius : 2ème symphonie, Le retour de Lemminkaïnen. Orchestre national de Bordeaux. Paul Daniel, direction. Live enregsitrement réalisé à Bordeaux en avril 2015. Collection ONBA Live, Musicales Actes Sud, parution : octobre, 2015 / 13,0 x 18,0 / 56 pages. ISBN 314-9-02807-012-5. Prix indicatif : 18, 62€