CD, compte rendu critique. SCHUMANN : Jean-Philippe Collard, piano (avril 2016 – La Dolce Volta). SCHUMANN réinvesti… Jean-Philippe Collard revient à d’anciennes explorations mais avec aujourd’hui, la richesse renouvelée d’une expérience de plus en plus critique. Son Schumann séduit par sa verve vivement articulée, sa versatilité dont le pianiste démêle avec aisance la complexité qui n’est qu’apparente. D’emblée, la saine fluidité, directe, impétueuse qu’il sait distiller dans la Fantaisie, s’installe dans un tumulte d’une ardeur et en une conviction juvénile très maîtrisée ; autant de sincérité immédiate qui prépare et installe le climat du rêve et de l’instabilité (« Durchaus phantastic… »), de l’émerveillement intime surtout, dans les séquences les plus murmurées et pudiques. Le second volet joue l’ivresse parfois chaotique, espiègle et très affirmée. Enfin le dernier épisode de cette même Fantaisie, véritable paysage intérieur d’un accomplissement supérieur révèle toutes les facettes de l’inspiration introspective du Schumann visionnaire et prophétique, qui élargit les champs de conscience et la géographie sonore : à mesure que s’épaissit le sentiment de la volupté et du renoncement mêlés, se réalise toute l’ambivalence d’un Schumann double, – maître du temps et de l’écoulement musical, véritable apôtre de l’épiphanie de l’instant – sublimateur du présent et déjà dans la perte de ce qui est et ne sera jamais plus- ; le jeu de JP Collard en explore les suaves béatitudes, véritable baumes à l’âme. C’est la section la plus réussie de l’album : ici affleurent toutes les passions meurtries, comme assommées, contraintes, celles de deux coeurs promis et destinés l’un à l’autre, Robert et sa future épouse Clara, malgré la loi sadique du père de la jeune pianiste virtuose. Tout est dit dans cette apothéose des sentiments et de la douleur sublimés. Au feu volcanique de cet amour qui surgit de la partition, s’impose la très haute technicité de la partition qui fut non pas dédiée à Clara, mais au virtuose avant tous, Franz Liszt.
Dans les Kreisleriana, la versatilité, son éloquence faussement disparate, comme la prodigieuse énergie du cycle des 8 stations opus 16, d’un polyptyque époustouflant par sa fluidité de ton, saisit par sa profonde… cohésion. Là encore la formidable agilité du pianiste ne sacrifie rien à l’urgence ni à la clarté de cette architecture du surgissement et de l’irrépressible élan, comme du souvenir le mieux poli par le filtre de la pudeur la plus nostalgique (plage 6 : « Sehr aufgeregt » : d’une rêverie aux équilibres souverains). La succession des miniatures ciselées, incandescentes, s’embrase littéralement en un crépitement extatique voire orgasmique d’une superbe construction dramatique. L’instinct mais la grâce d’un discours, l’ivresse mais l’organisation. Tout cela nous est offert dans un fabuleux voyage aux contrastes intelligents et d’une conception géniale dont le pianiste redessine les contours et le mouvement, – fugace, fébrile, d’un labyrinthe véritablement enchanté (conclu dans une dernière note tout aussi évanescente et murmurée). Du grand art.
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CD, compte rendu critique. SCHUMANN : Jean-Philippe Collard, piano (enregistré à Soissons en avril 2016 – 1 cd La Dolce Volta)