CD, compte rendu critique. JEAN-SEBASTIAN BACH. Rafal BLECHACZ, piano (1 cd Deutsche Grammophon, 2012-2015). Celui qui sâĂ©tait rĂ©vĂ©lĂ©, origines obligent, chez Chopin, a muri,  - il est nĂ© en juin 1985 en Pologne. Le trentenaire sâimpose actuellement dans un Bach rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©, vif, prĂ©cis, ardent, et dâune sobriĂ©tĂ© exceptionnellement articulĂ©e et naturelle.
LâagilitĂ© facĂ©tieuse et dâune clartĂ© polyphonique du Concerto Italien BWV 971, en sa carrure Ă la fois distanciĂ©e, prĂ©cise, sâimpose dâemblĂ©e Ă lâĂ©coute. Mais le geste dâune nettetĂ© lumineuse, ne sâautorisant aucune surenchĂšre dâaucune sorte, laisse respirer une sobriĂ©tĂ© idĂ©alement retenue. La retenue, la mesure, en toute chose et toute situation produisent leur miraculeuse expressivitĂ©. LâAndante du mĂȘme BWV 971 est dâune grĂące tendre qui coule comme une eau limpide, un sommet de concision naturelle et de mesure sobre. Le Presto final emporte toute rĂ©serve (sâil y en avait) : facĂ©tie, grĂące limpide, Ă©noncĂ© et digitalitĂ© clairs. Lâintelligence technicienne, au service dâun rubato trĂšs fluide, soucieux dâun Ă©quilibre Ă©loquent Ă la main gauche comme Ă la main droite subjugue par son expressivitĂ© mordante dâune attĂ©nuation toujours indĂ©alement nuancĂ©e : quel toucher poli Ă la perfection, douĂ© de surcroĂźt dâune motricitĂ© admirablement rĂ©glĂ©e pour la souveraine intelligibilitĂ© (lâarticulation de certains passages dĂ©liĂ©e, arrondie, – dans la rĂ©alisation de certains ornements, est superlative).
La (premiĂšre) Partita en ses 6 sections enchaĂźnĂ©es fait montre dâune idĂ©ale et semblable caractĂ©risation comme dâune construction globale superlatives : le PrĂ©lude est sobre ; lâAllemande, vĂ©loce, volubile et aĂ©rienne (ne touche pas terre, avec lĂ encore la rĂ©alisation des ornements proche de la perfection : dâune prĂ©cision caressante et fugace) ; la Courante dâune Ă©nergie continue vrai jaillissement Ă©blouit par sa constance scintillante ; lâintrospection ornementĂ©e de la Sarabande, presque nostalgique, contraste habilement : une dĂ©construction du temps jusque lĂ Ă©coulĂ©, redessine un tout autre paysage : bouleversant par sa plĂ©nitude sereine; la mise en mouvement tout en jeu dâĂ©quilibre contrapuntique des deux Menuets I/II Ă©poustoufle par sa prĂ©cision et sa clartĂ© absolue. Enfin la vĂ©locitĂ© de la Gigue conclusive scintille dâun feu liquide, dâune finesse dâintonation confondante : cela coule et rĂ©sonne de tant de nuances intimes et pudiques.
Plus inquiets, dâune forme faussement instable car dâune construction intĂ©rieure parfaite, les Quatre duos investissent des cheminements plus abrupts, moins lumineux que dans une ombre angoissĂ©e : lâintonation et le sytle sont dâun interprĂšte camĂ©lĂ©on capable de saisir la force Ă©motionnelle et la gravitĂ© sous-jacente des partitions; lâĂ©tonnante volubilitĂ© du jeu envisage de pures abstractions, quasi immatĂ©rielles, jeux de formes, constructions mentales (le dernier Duo BWV 805) qui cependant dans lâincarnation quâen rĂ©alisent les mains sur le clavier, se concentrent aussi sur lâĂ©noncĂ© dâune conscience riche en sentiments.
La Fantasia et Fugue BWV 944 traverse un monde entier de sentiments et dâĂ©tats dâesprit, laissant se dĂ©ployer avec une grĂące dâune exceptionnelle intelligence dâintonation, cette libertĂ© du geste. La virtuositĂ© est servante du parcours Ă©motionnel que sait lui imprimer le pianiste, grĂące Ă des passages murmurĂ©s dâune rare puissance dâĂ©vocation : le jeu sây montre miraculeux, tenu dans une suractivitĂ© lĂ aussi idĂ©alement mesurĂ©e. Le format sonore, la richesse des palettes dynamiques subjuguent par leur esthĂ©tique poĂ©tique, leur admirable conception poĂ©tique.
AprĂšs Chopin, Rafal Blechacz Ă©blouit au service de Jean-SĂ©bastienâŠ
BACH magicien, rĂȘvĂ©, accompli
Jouer ensuite la Partita n°3 BWV 827 fait franchir un palier supplĂ©mentaire, dans une agilitĂ© dĂ©cuplĂ©e, toujours servante dâune prĂ©cision expressive dâune absolue retenue allusive : parfaite, riche dâallusions, de climats intĂ©rieurs souvent bouleversants. LâAllemande est une lĂ©vitation tendre, vĂ©ritable retour Ă cette innocence perdue Ă laquelle aspire tous les grands nostalgique. Lâaffirmation presque belliqueuse de la Courante dĂ©chire le temps, en particulier par cette dilatation des paysages intĂ©rieurs dessinĂ©s, lancĂ©s Ă lâinfini ; la retenue de la Sarabande replie le temps, Ă lâĂ©chelle de lâintime prĂ©servĂ©âŠtandis que le naturel qui semble improvisĂ© de Burlesca et Scherzo (rage superbement articulĂ©e) sâinvitent dans ce festival de nuances les plus variĂ©es.
A ce niveau technique, pour une telle intelligence des dynamiques, il nâest que deux pianistes aujourdâhui capables de tels ivresse et enchantement poĂ©tiques : parmi la nouvelle gĂ©nĂ©ration, le Britannique Benjamin Grosvenor et Rafal Blechacz. RepĂ©rez immĂ©diatement leurs prochains concerts : des instants de grĂące absolue sâoffrent Ă vous.
Pour conclusion emblĂ©matique, car le prodige du piano privilĂ©gie lâattĂ©nuation et le repli allusif, rien de mieux que la caresse affectueuse du chorale de la Cantate BWV 147 : « JĂ©sus, que ma joie demeure » (transcription de Myra Hess), tout est pacifiĂ©, accompli, pardonnĂ©. RĂ©cital sublime, et depuis les Bach dâune certaine (et lĂ©gendaire) Rosalyn Tureck que votre serviteur avait eu lâimmense privilĂšge de rencontrer dans sa derniĂšre demeure Ă Oxford, le polonais Rafal Blechacz incarne la vivacitĂ© bouleversante dâune comprĂ©hension de la musique que lâon pensait perdue. CLIC de CLASSIQUENEWS de fĂ©vrier et mars 2017.
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CD, compte rendu critique. JEAN-SEBASTIAN BACH. Rafal BLECHACZ, piano (1 cd Deutsche Grammophon, 2012-2015). Enregistrements rĂ©alisĂ©s en janvier 2012 (BWV 802-805, 825, 944), Ă Berlin en fĂ©vrier 2015 (BWV 147, 827, 971). Toutes les infos sur lâactualitĂ© du pianiste polonais Rafal Blechacz sur son site officiel : www.blechacz.net. Sortie annoncĂ©e : le 24 fĂ©vrier 2017.