CD, compte rendu critique. Rameau : Zaïs. Rousset, 2014 (3 cd Aparté). On ne saurait contester à Christophe Rouset son sens du théâtre, développé, toujours nerveux sur une vaste palette de répertoire comme l’attestent ses dernières réalisations chez Aparté déjà : Amadis, Phaéton et Bellérophon, trilogie méritante de Lully pour le XVIIè, Hercule Mourant de Dauvergne pour le XVIIIè. Ce Rameau s’inscrit très honorablement parmi les meilleures approches du chef dont une sécheresse et parfois une direction certes précise mais mécanique et un peu courte atténue l’approfondissement de certaines lectures. D’autant que dans le cas de Zaïs, ouvrage de la pleine maturité et de l’année – 1748 – miraculeuse pour le Dijonais à Versailles, il s’agit d’un double défi : orchestral comme l’atteste dès le formidable prologue, son ouverture qui avant Haydn et sa Création de 1800, exprime rien de moins que le néant originel et l’organisation du monde (le Chaos et son débrouillement) ; puis autre défi, le profil psychologique de Zélidie et de Zaïs, cette dernière étant par sa couleur tragique sentimentale, préfiguration de la tendre Pamina de La Flûte enchantée de Mozart.
Un entretien vidéo avec le chef pour classiquenews, lors des représentations de Zaïs à l’Opéra royal de Versailles (octobre 2014) avait démontré l’ampleur visionnaire et le souffle poétique de l’écriture d’un Rameau, génie de la fragmentation, et dans les choix instrumentaux, narrateur hors pair des climats et des situations. Hélas, le livret de Cahusac, poète si réformateur et vrai complice pour Rameau, s’enlise souvent au point de développer dans des longueurs parfois difficiles à tenir, certaines situations et de nombreux affrontements qui se répètent.
L’action met à l’épreuve l’amour de la mortelle Zélidie pour le génie des airs Zaïs. D’une distribution cohérente, on eut préféré pourtant diseurs plus habités et nuancés que les voix serrés mais déjà routinières des chanteurs des seconds rôles. Seuls Zachary Wilder, Sylphe pétillant et fluide, et Hasnaa Bennani, Amour charmant et gracile caractérisent sans emphase leurs rôles respectifs. Pour le trio principal, Benoît Arnould fait un Condor un peu contraint et toujours très (trop) poseur dans son costume de faux séducteur, Julian Prégardien déploie en Zaïs, une véritable dentelle linguistique idéalement tendre et de plus en plus affectueuse, mais affecté par quelques aigus déjà tendus ; reviennent à Sandrine Piau (notre photo), toutes les palmes du style et de l’articulation inventive et pourtant stylée, d’une irrésistible autorité et vocale et dramatique : sa Zélidie affirme contre les préjugés tenaces sur l’opéra de Rameau, la profondeur psychologique du personnage féminin qui aurait dû donner son nom à la partition. Retenons l’éloquence de ses récitatifs, au relief, à la caractérisation vivante qui suit chaque inflexion du texte : une démonstration de vitalité palpitante qui ressuscite chaque inflexion du texte avec une diversité expressive remarquable. Rien de tel hélas chez ses partenaires cadets.
Evidemment, tout ballet héroïque comprend de nombreuses entrées, divertissements, séquences purement chorégraphiques où règnent le chatoiement superlatif du toujours excellent choeur de chambre de Namur, idéalement préparé, à la diction amoureuse et engagée, à l’articulation précises et suave : un modèle ici, et pour Rameau, l’autre personnage clé de l’opéra. Malgré les épisodes parfois circonstanciels et réellement conformistes, – qui finissent par appesantir le déroulement du drame, épisodes parfaitement et strictement redevables de l’esthétique Louis XV, Rousset sait colorer et articuler l’un des orchestres les plus raffinés de Rameau.
Cd, compte rendu critique. Rameau : Zaïs. Julian Prégardien, Sandrine Piau, Aimery Lefèvre, Benoît Arnould, Amel B-Djelloul, Hasnaa Bennani, Zachary Wilder. Choeur de chambre de Namur. Les Talens Lyriques. Christophe Rousset, direction. 3 cd Aparte. Enregistrement réalisé à Versailles en novembre 2014.