Toulouse, Capitole. Rameau: Castor et Pollux : 22 mars>14 avril 2015. Lors de sa création en 1737, le second opéra tragique de Rameau est d’autant plus attendu qu’il succède à deux ouvrages saisissants : le scandaleux et déjà génial Hyppolite et Aricie de 1733, puis l’opéra-ballet, les Indes Galantes de 1735. Suscitant l’ire des Lullistes, choqués par tant d’audaces inédites, Castor et Pollux n’est joué que 21 fois : c’est pour Rameau un semi échec : il pense aussitôt à réécrire l’opéra dont la seconde version très différente voit le jour en 1754. En 17 ans, le goût du public a sensiblement évolué.
Au centre de l’action le lien fraternel qui unit Pollux fils immortel de Jupiter et Léda, à son demi frère, Castor fils de Tyndare et a contrario simple mortel. S’ils aiment la même femme, Télaïre, Pollux s’efface et désire même après la mort de son frère, prendre sa place aux enfers; Phébé amoureuse de Castor, jalouse de Télaïre, ne cesse d’invoquer les forces maléfiques pour contraindre et faire échouer les projets de Pollux et Télaïre. Finalement, Jupiter ému par l’amour de Pollux pour Castor, lequel sait aussi se sacrifier pour son frère, accepte de ressusciter Castor, l’unir à Télaïre, leur offrir l’immortalité, après avoir foudroyé l’ignoble Phébé.
La version de 1754 prend en compte toutes les évolutions du goût : en plein cœur de la Querelle des Bouffons, le nouveau Castor éblouit et s’impose sur la scène : c’est le plus grand succès lyrique du XVIIIème siècle. Rameau y excelle à renforcer l’impact dramatique de l’action, tout en flattant l’oreille des spectateurs par des airs italiens des plus tendres et sensuels. En 1754, plus de prologue à la gloire du roi, une musique nouvelle qui enchaîne en un tout organique, chœur, air, récitatif, surtout ampleur et souffle « cosmique » de l’orchestre.
La couleur funèbre et lugubre du chœur des Spartiates : » Que tout gémisse « , précédant la fameuse plainte / prière de Télaïre ( » Tristes apprêts, pâles flambeaux… « ), le monologue solitaire de Castor : » Séjour de l’éternelle paix « , la grâce amoureuse de l’ariette du V : » Tendre amour « , la noire haine de Phébé ( » Soulevons tous les dieux « ), le pathétique noble et viril de Pollux tout au long des actes… bouleversent et saisissent par leur justesse poétique et leur profondeur sentimentale. Rameau réussit tout : l’implacable solitude des coeurs amoureux, la grandeur des sentiments partagées, la brûlure et la hideuse noirceur des âmes haineuses… Le compositeur offre un nouveau standard lyrique après Lully, l’égalant voire le dépassant par sa force dramatique, la pureté et la grandeur de son éloquence déclamatoire qui égale aussi le théâtre parlé déclamé de Corneille et Racine. Avec Rameau, l’opéra gagne ses lettre de noblesse et atteint une grandeur et un sublime jamais égalés avant lui ; théâtre d’action et de sublimation, c’est aussi une scène flamboyante qui culmine par la réussite des disciplines associées : où la danse toujours omniprésente avec le chœur et les solistes, chanteurs et danseurs, réalise les plus beaux « divertissements », ballets combinés au drame chanté dont le dernier, l’ultime chaconne après le jugement de Jupiter et qui représente les planètes autour du Soleil (quand Castor nouvel immortel rejoint aux côtés de Pollux, le Zodiaque), demeure un sommet de l’écriture ramélienne.
Castor, modèle du bon goût français
10 ans avant de mourir, Rameau laisse une oeuvre alliant la grandiose et le tendre, le pathétique et le sensuel qui s’exprime par un orchestre suractif et nuancé qui comme un creuset, transfigure chaque élément au contact de l’autre : danse, chant, musique pure se trouvent fusionnés comme jamais. Jusqu’en 1785, sous le règne de Marie-Antoinette et de Louis XVI, Castor et Pollux incarne la grandeur exemplaire de l’opéra français : même en pleine rivalité entre glukistes et piccinnistes, Castor incarne le modèle indépassable. Même Berlioz pourtant ardent gluckiste, savait reconnaître le génie unique de Rameau par la prière de Télaïre : « Tristes apprêts, pâles flambeaux », cet air que Sofia Coppola dans son film Marie-Antoinette, fait paraître à l’opéra, sachant séduire et même enthousiasmer la jeune reine qui ose applaudir contre tout respect de l’étiquette… Au début du XXème siècle, quand les antiwagnériens tels D’Indy, et Bordes jouent Castor, l’emblème du bon goût français, Debussy est ému par la justesse lugubre du chœur des spartiates dont l’humanité le touche particulièrement. En 1991, Wiliam Christie fait retentir les notes magiciennes de Castor à Aix en Provence et l’année Rameau 2014 a vu le retour en force de l’opéra le plus célébré du compositeur.
Castor et Pollux de Rameau au Capitole de Toulouse,
du 24 mars au 2 avril 2015.
Christophe Rousset, direction
Marianne Clément, mise en scène
Les 24,27,29 31 mars puis le 2 avril 2015.
Tragédie lyrique en cinq actes
Livret de Pierre-Joseph Gentil-Bernard
créée le 24 octobre 1737 à l’Opéra de Paris (version révisée : 1754)