BOURGET DU LAC, 74. Festival des Voix du Prieuré, 20 mai-5 juin 2016… « Donner de multiples rendez-vous à l’art vocal dans ce qu’il peut offrir de plus raffiné, de plus fort ». Le Festival qui se déroule dans des lieux patrimoniaux classés monuments historiques (Eglise, Prieuré, Cloître de Saint-Laurent) se veut, selon les mots de son directeur-fondateur, Bernard Tétu, « lieu de création et dialogues ». Autour d’un compositeur invité et de son œuvre Stabat Mater, Piotr Moss, du groupe hétérodoxe Les Slix’s, de la violoncelliste Ophélie Gaillard, une vaillante et enrichissante édition au cœur du printemps.
Comment le préférez-vous ?
Le Prieuré, vous le préférez en chiffres ? Alors : 2 concerts partagés, 3 ateliers par artistes professionnels, 4 concerts pour le jeune public, 6 concerts-phares de grands ensembles non moins professionnels, 350 enfants et jeunes du bassin chambéryen et aixois, 900 pièces gourmandes sucrées ou salées préparées pour Apéro Vocal, et 5000 spectateurs qui fréquentent le festival chaque année. Ou en phrases qui ne reposent pas seulement sur le plancher d’une langue de bois par ailleurs sympathico-culturelle, mais correspondent au questionnement toujours en éveil du directeur-fondateur, Bernard Tétu, ;l’un des chefs les plus cultivés de la galaxie française, et des plus ouverts – dans le domaine d’origine, ici vocal –à des courants fort divers, même si la prédilection, attestée par tant d’enregistrements magistraux (35 disques) demeure la musique française des XIXe et XXe, et la musique romantique allemande. Bernard Tétu est aussi un enseignant émérite,aussi exigeant que chaleureux – il a créé au CNSMD de Lyon la première classe pour chefs de chœur professionnels – , et ce pédagogue qui avait suivi les conseils d’Alfred Deller et de Cathy Berberian a su combien il importe de se lier aux compositeurs d’aujourd’hui pour assumer pleinement savocation : Kagel, Ohana, Dusapin, Evangelista, Hersant, Amy, Fénelon, Jolas, Boulez sont sur sa liste d’interlocuteurs privilégiés …
A en rester sans voix
Donc B.Tétu a bien raison de rappeler que les Voix du Prieuré, fondées il y a treize ans, sont « éveilleurs de curiosité. Car la voix humaine a des possibilités infinies, éclatées : rencontres inattendues et fécondes, improvisations, concerts en miroir (miroirs brisés parfois), réinvention des traditions, nouvelles utilisations de la voix… » Et de vocaliser un Catalogue réjouissant de 1003 modalités entrevues et souhaitées : » voix rocailleuses, séraphiques, voix de velours, cassées,humaines, célestes, d’outre-tombe, voix off, vociférations, hurlements, gueulantes, vagissements, cris de joie, d’effroi : c’est à rester sans voix, à chanter à tue-tête, rire à gorge déployée, avoir voix au chapitre, mais aussi murmures, chuchotements et soupirs de plaisir ! Venez écouter, et complétez la liste…si ça vous chante ! »
Stabat Mater dans la déchirure et la noblesse
Le plus « classique » des rendez-vous sera d’ouverture (22 mai), en l’église Saint-Laurent au Bourget. C’est B.Tétu qui conduira le déjà célèbre Stabat Mater, une partition dirigée à la création en 2003par M.Rostropovitch, du compositeur polonais (en 2016 invité du Prieuré) Piotr Moss. Né en 1949, élève de G.Bacewicz et K.¨Penderecki, ce « Polonais de Paris » (il vit en France depuis 1981) est lauréat de nombreux concours de composition, il a écrit pour l’orchestre symphonique et choral, ainsi que pour la musique de chambre, et son Stabat Mater « nous emmène dans le monde de la douleur, de la déchirure, de la dignité et de la noblesse ». En écho, hommage à la voix profonde du violoncelle : Henri Dutilleux (le concert est dédié à ce créateur qui nous a quitté…exactement trois ans avant le 22 mai 2016 : 3 Strophes sur le nom de Paul Sacher. Et aussi Arvo Pärt (Da Pacem Domine), John Tavener (Svyati), Villa-Lobos (Bacchanas Brasileiras). Et bien sûr au Père Absolu ; Johann Sebastian, avec des extraits des Suites pour violoncelle seul. La grande Ophélie Gaillard, joue Bach, et dirige sa communauté pédagogique violoncelliste de Haute Ecole genèvoise. A côté des Solistes-Bernard-Tétu, l’Ensemble 20.21 de Cyrille Colombier – rassemblement de chefs de chœur, membres de chorales et professeurs d’écoles de musique -, et le chœur de chambre Muances de Jean-Raphael Lavandier.
Haute Tension et flirt
Le moins « classique », trois jours après, promet une Haute Tension, et un flirt entre jazz, punk, pop, et…classique revisité. Ce sont six voix allemandes a cappella, les Slix’s, qui mènent à cette fusion stylistique, hautement approuvée par l’autorité de Gabriel Crouch, membre des britanniques et célèbres King’s Singers, et du fondateur des King’s, Ward Swingle. En jaillit « un son formidablement naturel et unifié » pour « une prise de risque permanente pour repousser les frontières artistiques, et une volonté totale d’innover ». Cette intertextualité historique et stylistique s’est notamment traduite par l’invention d’une bande-son pour un film allemand, devenue cd-culte, Quer Bach, et alliant la musique instrumentale du Pater, des extraits shakespeariens et des compositions originales Slix’s. Ici, le Kantor est « transporté slix’sement » pour une Offrande et des Variations Goldberg audacieuses.
Pablo toujours
C’est la frontière du jazz, de la musique contemporaine et des improvisations qu’explore le 3e concert (27 mai) de Pascal Berne et Alain Goudard. Pablodièse1 rend hommage à Picasso, « son art, sa poésie, son engagement politique, sa passion pour les femmes et son inouïe palette de sensibilités et d’expressions », en un spectacle qui se déclare à l’image de son modèle, « profondément humain ». On y retrouve un « cher et vieux » compagnon de route du Prieuré, Résonance Contemporaine et Percussions de Treffort, si généreusement animé par son fondateur (en 1979 !), qui a travaillé pour la rencontre naturelle des musiciens professionnels en situation de handicap mental et des « valides ». RC et Treffort ont travaillé avec les Percussions de Strasbourg, Barre Phillips, Luis Sclavis, Carlo Rizzo, Michèle Bernard ou Jacques Di Donato, pour mieux associer à l’art et la culture les « personnes handicapées, malades, incarcérées ou dans des situations sociales et matérielles difficiles ». Alain Goudard et Pascal Berne agissent ici en intervention auprès des chorales enfants et ados d’avant-pays savoyard (les Vocaloupiots, les Vocalados). La Forge (compositeurs rhône-alpins) délègue à son Quartet Novo instrumental « une musique en marche entre écriture fixée et improvisations.
Hommage à Dutilleux
Tout pourtant n’est pas rose au bord septentrional du Lac, en ce 2016 menacé par le désengagement de la puissance publique. Il a fallu en particulier écourter et modifier la Nuit du Prieuré qui tous les ans conclut le Festival : un Buffet du Terroir remplace le Buffet Italien, et surtout on annule le concert nocturne de Viva La Festa (Enza Pagliara, Undas Maris). La Marelle et ses Têtes de Chien y réveillent cependant « les mots du terroir et de la vieille chanson française », et un bal animé par les Quadrilles d’Elsa fait tournoyer qui vous voudrez… Exeunt aussi les Chants Polyphoniques Corses de A Filetta , et en ouverture, le spectacle jeune public du Thé des Poissons. Subsistent le Doudou vocal (Brin d’air) pour 1 à 3 ans, « voyage musical où glisseront les mélodies portées par le vent », les Apéros vocaux (chorales Ma non troppo, Les Mayanches, Terpsichore), le Cabaret Vocal Express de Mlle Arthur (Jocelyne Tournier, Marc Toillon), la Randonnée vocale en concert partagé (CRR de Lyon,Conservatoire d’Aix les Bains) et bien sûr les Rencontres et/ou Ateliers ( les Slix’s). La librairie chambéryenne Garin propose le 22 mai un hommage à Dutilleux, armaturé par le livre décisif (Actes-Sud : « la forme naturelle d’un roman où tout est vrai ») que vient de consacrer au Maître le critique (Le Monde) et musicologue Pierre Gervasoni.
Les Voix du Prieuré, Eclats de Voix, du 20 mai au 5 juin 2016. Le Bourget du Lac, 74). Renseignements et réservations : T. 04 79 250199 ; www.voixduprieure.fr