Après avoir été présentée à l’Opéra-Comique et à l’Opéra Nice Côte d’Azur, la saison passée, cette production de Fidelio de Ludwig van Beethoven imaginée par Cyril Teste arrive cette fois à l’Opéra de Dijon, troisième maison coproductrice du spectacle.
L’homme de théâtre français transpose l’unique opéra de Beethoven dans une prison d’aujourd’hui, aseptisée et ultra-sécurisée, saturée de multiples écrans, et dans laquelle Florestan attend l’injection létale qui doit mettre fin à ses jours. Le cri de liberté de Fidelio étant intemporel, ce n’est certainement pas la première fois (ni sans doute la dernière) qu’on assiste à une telle actualisation du livret – de même que l’on voit des vidéos qui montrent les visages en gros plans, et filmés en temps réel… une mode récurrente sur les scènes lyriques ! La production n’en est pas moins d’une parfaite loyauté, respectant à la lettre la narration, ce qui est une qualité qui mérite d’être mentionnée en ces temps de relectures hasardeuses… La grande originalité du spectacle intervient ainsi lors du dénouement du drame, lorsque Leonore fait plier Pizarro en le menaçant avec une caméra plutôt que son revolver, resté à sa ceinture, comme si – à l’heure actuelle -, le pouvoir des images s’avérait plus fort que celui des armes à feu…
La soprano irlandaise Sinead Campbell Wallace a tout d’une grande Léonore, comme on le sait déjà pour l’avoir vue/entendue triompher dans le rôle à La Seine Musicale de Boulogne-Billancourt, et peu après au Gstaad Menuhin Festival (’an passé). De fait, la cantatrice s’avère de bout en bout superbe, avec un profil vocal qui s’affirme de manière péremptoire, net, clair comme une épure : l’émotion qu’elle dégage est aussi vraie que sa présence est forte. Avec sa voix puissante et bien projetée, elle affronte crânement les écarts et les vocalises de son redoutable grand air (« Abscheulicher »), et elle donne plus encore la vraie mesure de ses moyens durant le deuxième acte, où les insensibles transitions du parlando, aux envolées plus ouvertement lyriques, révèlent une prodigieuse maîtrise des ressources vocales. Face à elle, le ténor allemand Maximilian Schmitt ne démérite pas dans le rôle de Florestan, tant son cri désespéré “ Gott ! ” semble surgir du néant, se mêlant insensiblement aux voix de l’orchestre pour gagner en puissance et triompher finalement par son intense rayonnement. La couleur plutôt claire de sa voix s’allie néanmoins idéalement à celle de sa partenaire, et traduit avec une ivresse croissante le long chemin de Florestan vers la lumière libératrice.
La basse russe Mischa Schelomianski campe lui un superbe Rocco, car par delà la beauté du timbre et du chant, il émeut en campant un personnage à la fois faible, humain et banal. Son compatriote Aleksei Isaev offre un Don Pizzaro féroce comme il se doit, avec pour atout une voix noire et bien projetée. Celle du jeune ténor français Léo Vermot-Desroches offre de grandes satisfactions, avec un instrument clair et superbement timbré, tandis que la soprano italienne Martina Russomano, dotée d’un timbre frais et lumineux, impose une Marzelline déterminée. Bien qu’aussi courtes que tardives, les interventions d’Edwin Crossley-Mercer ne passent pas inaperçus, grâce à la noblesse de son chant autant que la vérité de son jeu. Enfin, le Chœur de l’Opéra de Dijon, celui des prisonniers comme celui du dernier tableau – que le chef dirige vraiment dans l’esprit du finale de la Neuvième Symphonie – est digne des plus vifs éloges.
En fosse, l’Orchestre Dijon-Bourgogne épouse avec une étonnante spontanéité la vision tendue et dramatique du jeune et talentueux chef français Adrien Perruchon. Dès l’Ouverture, les attaques sont incisives, les rythmes souples mais énergiques, et son interprétation vise ici à l’universel, en proposant une lecture qui en magnifie le lent cheminement vers la lumière. De fait, l’énergie et l’urgence dans l’expression des passions que le chef parvient à distiller balaient tout sur leur passage, et c’est bien là l’une des plus enthousiasmantes lectures du chef d’œuvre beethovénien qu’il nous aura été données d’entendre !
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CRITIQUE, opéra. DIJON, Auditorium (du 8 au 12 novembre). BEETHOVEN : Fidelio. S. Campbell Wallace, M. Schmitt, M. Schelomianski… Cyril Teste / Adrien Perruchon.
VIDEO : Teaser de “Fidelio” selon Cyril Teste à l’Opéra de Dijon