DVD, Blu-ray, critique : Wagner: Tristan et Isolde – Barenboim (Berlin, 2018 – Tcherniakov – 2 dvd Bel Air classiques) - Berlin avril 2018. Daniel Barenboim en dirigeant cette nouvelle production de Tristan offre une leçon de direction subtile, profonde allusive d’une sincérité irrésistible qui enchante dès le début. L’ouverture saisit par l’intelligence des phrasés aux flûtes et aux cordes (tempi étirés, suspendus, énigmatique, qui portent au mystère de l’acte II), à ce que disent les cors orfévrés, d’une incroyable couleur lumineuse et crépusculaire à la fois, pleins et riches d’une ivresse et d’une langueur extatiques, énoncées comme des questionnements sans fin, faisant jaillir le miracle et l’absolu de l’amour (et l’anéantissement des âmes qu’il produit). Avec le recul la pandémie ayant déconstruit tout un monde et un ordre mondial perdu, on se dit que ce son articulé, ciselé par un chef wagnérien de premier plan, en 2018, dit une plénitude à jamais inatteignable.
Fosse et chanteuses somptueuses
Sur scène, la relecture de Tcherniakov tire non sans rupture avec l’excellence orchestrale de la fosse, vers un théâtre réaliste : décors modernes, où le bateau du I se fait salon d’un jeune cadre trader de la classe moyenne supérieur et le jeune matelot, un invité égaré dans une soirée arrosée entre business men ; où Isolde et Brangäne, ambassadrices d’une tragédie émotionnelle explosive, font incursion de façon artificielle dans un contexte trop décalé. Fi du moyen âge, des chevaliers, de cette Irlande des preux et gentes dames. Tcherniakov nous plonge dans une actualisation imposée à coup de forceps car il faut quoi qu’il en coûte, que la grille théâtrale retenue s’accorde au drame musical et aux situations originelles. Limites des mise en scène actualisantes. Ce salon est celui d’un yacht qui vogue vers la cour du roi Mark de Cornouailles. Quel dommage que la scénographie soit aussi peu en phase avec les situations ; que les décors écartent toute poésie de la lyre légendaire et médiévale pourtant inscrite au cÅ“ur de ce sommet romantique de 1865.
Heureusement, les chanteurs suivent le chef et partagent son souci d’articulation précise exprimant du texte toutes les nuances de l’allusion et des connotations coupables, maladives, déprimées. Isolde pleine de ressentiments (convaincante Anja Kampe), victime forcée d’une tractation qui la choque; Brangäne (excellente Ekaterina Gubanova) prête à suivre et servir sa maîtresse ; leur duo est plus que convaincant. Leur complémentarité irradie tout le I ; en phase avec le tapis orchestral, les 2 cantatrices emportent l’adhésion par ce travail de justesse. Et l’on comprend que le I est l’acte qui cimente Isolde dans sa peine incommensurable ; qui expose la loyauté maternelle et protectrice de Brangäne pour la princesse destinée à être reine de Cornouailles.
Côte hommes, s’il a le timbre et la projection d’une constante intensité, le Tristan d’Andreas Schager peine à nuancer à l’égal de ses partenaires féminines ; son vibrato trop présent ici, finit par diluer toute les phrases ; telle affectation dans le style amollit la conception du personnage pourtant clé. A 1h20: l’embrasement des 2 cÅ“urs qui se reconnaissent en dépit de tout [sous l'effet du philtre] au moment où retentit l’hommage au roi mark à l’approche de la Cornouaille, se réalise néanmoins dans une ivresse libératrice, d’une force musicale saisissante.
Dans ce jeu de déconstruction pseudo creative et de réécriture théâtreuse plutôt creuse, tout n’est pas à jeter pour autant, -chaque production peut révéler ses surprises… ici en fin d’action. Le début du III reste hypnotique grâce à un jeu dépouillé proche du suédois Bergman où dans une chambre close bientôt rendue par Kurwenal à la lumière du jour, attend malade anéanti mais plein d’espoir un Tristan alité, mourant ; c’est moins Kurwenal aux phrasés indécis, aux lignes mal assurées (inconstant Boaz Daniel) que l’excellent jeune matelot de Linard Vrielink déjà écouté dans le même rôle à Aix (retrouver ci dessous lien vers la critique Aix 2021), qui souligne ce travail millimétré développé sous la conduite du chef orfèvre, lequel en fosse poursuit des merveilles d’intentions musicales ; ciselant une étoffe orchestrale pleine de nuances et de connotations finement cousues par des instruments infiniment raffinés [le babil des flûtes et clarinette quand Tristan croit voir Isolde arriver enfin sur les côtes bretonnes] ; où le chant des instruments rappelle à chaque mesure le poids et l’éloquence d’un passé inéluctable [murmures caressants de la clarinette, du cor jaillissant ondulant, scintillant, melliflu...] , qui engage les protagonistes à leur solitude, leur propre destin.
La fosse miraculeuse
sublimée par Daniel Barenboim
Le miracle Barenboim s’accomplit. Musique de la psyché aux phrases puissantes et longues comme suspendues et interrogatives pour lesquelles en un arioso extatique le chant de Tristan (en malade halluciné) gagne une intensité remarquable : le jeu d’acteur, malgré des défaillance liées à longueur du rôle et l’ampleur de son solo tragique, est alors stupéfiant.
Cette blessure tragique qui s’écoule et dilue jusqu’à l’essence du héros, (comme plus tard l’autre maudit fautif Amfortas dans Parsifal), est au cÅ“ur du dernier acte. Comme une psychanalyse qui surgit ; le héros aux portes du trépas, interroge ses origines, ses parents, la nature du désir qui le dévore et le conduit à la mort, – vertige immense et sublime dévoilé par la direction saisissante de Barenboim. La soif d’amour de Tristan dépossédé d’Isolde finit par le tuer, avant qu’Isolde ne meurt elle aussi d’amour mais dans la lumière [ce qui est refusé à Tristan].
La baguette du chef et les chanteurs font la valeur de cette production berlinoise de très haut vol sur le plan artistique. La vision de Tcherniakov reste terre à terre et théâtralement surjouée ; plutôt que d’éclaircir l’action, Tcherniakov la charge d’une lourdeur maladive systématique [surenchère de vidéos au moment clé de l'action] qui finit par dénoter avec le miracle wagnérien. Musicalement, la production est splendide.
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DVD, Blu-ray, critique : WAGNER: Tristan et Isolde – Barenboim (Berlin, 2018 – Tcherniakov – 2 dvd Bel Air classiques). CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2022. Parution annoncée : le 27 mai 2022.
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Wagner : Tristan et Isolde
[DVD & Blu-ray]
Opéra en trois actes, 1865
Musique et livret Richard Wagner (1813-1883)
PLUS D’INFOS sur le site de BEL AIR CLASSIQUES :
https://belairclassiques.com/catalogue/wagner-tristan-und-isolde-daniel-barenboim-dmitri-tcherniakov-anja-kampe-andreas-schager-dvd-blu-ray
Distribution
Tristan : Andreas Schager
Roi Marke : Stephen Milling
Isolde : Anja Kampe
Kurwenal : Boaz Daniel
Melot : Stephan Rügamer
Brangäne : Ekaterina Gubanova
Un timonier : Adam Kutny
Un berger / Un jeune marin : Linard Vrielink
(lire aussi notre critique de TRISTAN UND ISOLDE, Aix en Provence 2021 avec Lianrd Vrielink :
https://www.classiquenews.com/critique-opera-wagner-tristan-und-isolde-le-9-juil-2021-stuart-skelton-tristan-nina-stemme-isolde-mise-en-scene-simon-stone-lso-london-symphony-orchestra-direction-musicale-simon/ )
Cor anglais : Florian Hanspach-Torkildsen (Acte III)
Staatskapelle Berlin | Staatsopernchor Berlin
Daniel Barenboim, direction
Mise en scène et décors : Dmitri Tcherniakov
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