Livres, compte rendu critique. Changer des vies par la pratique de l’orchestre, Gustavo Dudamel et l’histoire d’El Sistema par Tricia Tunstall. Traduction de Cécile Roure (Éditions Symétrie). Symétrie édite la traduction française du texte américain « Changing lives » de Tricia Tunstall (publié en 2012 par W. W. Norton, New York). A l’automne 2015, Cécile Roure en assure non seulement une traduction engagée et personnellement investie, mais aussi toutes les notes de bas de page, un texte d’introduction relevant d’un témoignage admiratif et sincère (Prélude : Gustavo et moi) et aussi surtout, lumineuse démonstration d’un modèle musical et social qui s’exporte jusque dans l’ancien monde, une Postface (« des orchestre de jeunes en France »), qui dessine de formidables perspectives précisant la fonction salvatrice de la musique classique sur la scène sociétale européenne. Ce dernier texte, totalement rédigé par la traductrice, s’avère en fait, aussi intéressant que le texte initial américain écrit en 2012 car il dresse en 2015, un premier bilan des initiatives en France, associant pratique de la musique orchestrale et éducation des jeunes en difficulté. Il revient aux particuliers ou musiciens de la société civile de relever le défi d’un vivre ensemble désormais possible grâce à la pratique d’un instrument au sein d’un orchestre : expérience salutaire dans bien des cas, qui refonde l’estime de soi et la confiance des jeunes, leur apprend l’exercice concret du vivre ensemble, impliqués dans un projet collectif où chacun ayant sa place, participe concrètement à la société humaine ainsi organisée.
El Sistema… A quoi tient l’intérêt de ce programme né au Venezuela ? Surtout, d’où vient que la musique classique pratiquée en orchestre améliore considérablement les chances du vivre ensemble quand elle est ainsi vécue, défendue (« jouer, lutter ») par les jeunes « nécessiteux », ceux que la misère, l’exclusion mettent à l’écart de l’opulence sociale et civile ?
A ces questions fondamentales pour l’avenir de nos sociétés, actuellement rongées et dévorées de l’intérieur par l’affrontement des nationalismes, par l’essor du communautarisme, voici des réponses inouïes où le lecteur puisera un vivier de solutions précises, concrètes, éloquentes.
L’expérience orchestrale, une partition pour la paix sociale
Jamais la culture et en particulier la pratique des instruments, et l’expérience de l’orchestre n’auront paru plus indiqués pour éradiquer l’intolérance, la haine collective, la peur de l’autre, l’irrespect général… qui se manifestent par la délinquance et l’insécurité, les gangs, le vol, le racket, la corruption organisés ou même les innombrables signes d’incivilité qui se multiplient ici et là jusque dans les lieux ordinaires de la vie quotidienne. Respecter l’autre, reconnaître ce qu’il peut nous apporter, cultiver un regard fraternel… sont des valeurs fondatrices de notre démocratie républicaine. Fondé sur la cohésion et l’intégration de chacun de ses membres, l’orchestre n’est plus cette partition offerte à chacun instrumentiste pour réussir l’idée d’un accomplissement collectif dans le seul cadre du concert payant : appliqué à la réalité du terrain social, urbain, le cadre et le dispositif ont démontré d’indiscutables vertus, comme celles de la solidarité, l’entre aide, le tout collectif : on ne réussit rien seul ; on gagne ou perd tous ensemble. Il ne s’agit pas de constater la réussite indiscutable d’un projet politique et social. Le texte ainsi traduit appelle à prendre les mesures concrètes qui s’imposent puisque tout y est magistralement expliqué. Le livre devrait donc être lu par tous les responsables politiques, les élus et les décisionnaires de la société civile, futurs porteurs enfin d’un projet pratique aux bénéfices avérés. A tant de promesses déclarées au moment des temps électoraux, et souvent oubliées après l’élection, voici un programme de solutions réelles, à l’efficacité prouvée.
C‘est un texte éblouissant qui parlant d’humanité et de fraternité, offre tous les éléments pour résoudre le problème de la violence et de la haine dans notre société. Le président François Hollande avait inscrit comme priorité de son programme de candidat à l’élection présidentielle, les jeunes et l’éducation : voilà un texte et une expérience décrite qui répondent totalement à sa préoccupation. Force est de constater le silence tenace de la part des politiques car comme partout en Europe, la mise en pratique du Sistema venezuelien, adapté à l’Europe, reste le fruit des initiatives privées, au prix d’un dévouement et d’un engagement qui relèvent du parcours du combattant. Les réalisations pionnières en France dont témoigne dans sa postface Cécile Roure, sont éloquentes : il faut du courage et une audace hors du commun pour faire bouger la société. Et nous payons très cher à l’échelle collective, ce décalage archaïque.
La valeur du texte originel de Tricia Tunstall montre précisément et très concrètement grâce à une immersion dans les nucleos vénézuéliens (centres éducatifs installés dans les quartiers des jeunes qui participent au Sistema), l’organisation, le fonctionnement, le profil des participants, jeunes délinquants ou défavorisés marqués par la fatalité de l’échec…, formateurs et enseignants, création des orchestres de jeunes, formation, perfectionnement, jeu et pratique collective… Le but n’étant pas de transformer les jeunes en instrumentistes virtuoses mais de vivre la musique ensemble, régulièrement, passionnément pour retrouver une estime de soi, partager, fraterniser, accomplir, (se)réaliser… Plus qu’un programme musical et éducatif, l’exemple du Sistema est une leçon de vie pratique qui permet de retrouver des valeurs humanistes pour les partager concrètement. Or il apparaît que seule la musique et la pratique d’un instrument dans un orchestre permet de réaliser ce cheminement exemplaire et salvateur pour chacun.
Au départ, le Sistema (programme d’éducation musicale pour les jeunes des quartiers défavorisés du Venezuela) a été fondé en 1975 par le musicien et économiste visionnaire José Antonio Abreu.
40 ans plus tard, le million de jeunes instrumentistes formés par le Sistema a été atteint, leur apportant une estime de soi et une identité renforcée, particulièrement positive qui les tiennent éloignés de la fatalité de la délinquance et de l’échec. L’un des disciples d’Abreu les plus célèbres, demeure le jeune maestro Gustavo Dudamel, actuel directeur musical du Los Angeles Philharmonic, soutenu dès ses débuts par Simon Rattle ou Claudio Abbado. Dudamel a lui-même développé un programme encourageant les jeunes chefs comme lui : aujourd’hui Diego Matheuz ou Christian Vasquez, lauréat de ce dispositif particulier, se sont affirmé avec la séduction que l’on sait : le premier est directeur musical de La Fenice de Venise….
Le Sistema a prouvé que la culture et la musique en particulier pouvait concrètement améliorer la paix sociale offrant aux jeunes tentés par la délinquance, un avenir, une vision, une identité positive et des valeurs humaines, exemplaires. On ne peut que souscrire à un tel programme qui ne cesse de démontrer ses vertus et l’on s’étonne que les systèmes éducatifs de la vieille Europe ne s’en inspirent pas sans délai. En France, l’Education nationale peine toujours à trouver son modèle, et l’essor de la délinquance urbaine comme l’abandon par les politiques des banlieues font craindre le pire dans les années à venir. Le texte que publie en octobre l’éditeur lyonnais Symétrie se révèle donc plus qu’opportun, nécessaire. D’autant qu’ici la culture que tout un chacun continue de considérer comme un divertissement accessoire, fait valoir des vertus concrètes, philosophiques, spirituelles, humanistes… que nous ne pouvons plus ignorer. A lire sans tarder. Lecture révélation, donc CLIC de classiquenews de novembre 2015.
Sommaire
Prélude. Gustavo et moi
Chapitre 1. Bienvenido Gustavo ! L’étrange nouvelle star d’Hollywood
Chapitre 2. Mambo !, un premier aperçu du Sistema
Chapitre 3. Jouer et lutter : l’évolution du Sistema
Chapitre 4. Danse de violoncelles : l’orchestre de jeunes Simón Bolívar du Venezuela
Chapitre 5. Une idée pour changer le monde
Chapitre 6. Etre ou ne pas être. Le Sistema en action
Chapitre 7. Vues du Sistema U.S.A.
Chapitre 8. Merci Gustavo. Guérir les communautés à Los Angeles
Coda. Chérir les enfants nécessiteux
Remerciements
Postface. Des orchestres de jeunes en France
Livres, compte rendu critique. Changer des vies par la pratique de l’orchestre, Gustavo Dudamel et l’histoire d’El Sistema par Tricia Tunstall. Traduction de Cécile Roure (Éditions Symétrie). ISBN 978-2-36485-036-1, 304 pages. Parution ; octobre 2015. Prix indicatif : 19 €. CLIC de classiquenews de novembre 2015.