vendredi 29 mars 2024

Compte-rendu, opéra. Saint-Quentin en Yveline, 13 janvier 2017, Sacchini, Chimène ou le Cid. Concert de la Loge, Julien Chauvin /Suzanne Anglade, mise en scène

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

Antonio_SacchiniCompte-rendu, opéra. Saint-Quentin en Yveline, 13 janvier 2017, Sacchini, Chimène ou le Cid. Concert de la Loge, Julien Chauvin /Suzanne Anglade, mise en scène. Voilà une découverte passionnante et autrement plus convaincante que le Renaud du même Sacchini pourtant luxueusement exhumé par Christophe Rousset. Cette Chimène ou le Cid fit les délices de la Reine Marie-Antoinette. Représentée à Fontainebleau le 18 novembre 1783, cette tragédie lyrique d’un genre nouveau connaîtra un immense succès, avec ses 57 reprises. Musicalement, il faut dire que Sacchini a su habilement faire la synthèse de la réforme de Gluck, sans dédaigner le pathétisme du mélodrame napolitain. Il en résulte une œuvre d’une grande fluidité, très resserrée (trois actes au lieu des cinq habituels), qui alterne les récitatifs expressifs, les ariosos, les airs da capo pathétiques, souvent tendus, et surtout une richesse de la palette orchestrale d’un raffinement suprême.

 

 

En 1783, le napolitain Sacchini, grand invité de la Cour de France propose une nouvelle mise en musique du théâtre classique français

Corneille enchanté

 

 

Entre la tragédie lyrique et le dramma per musica, entre les chœurs à nouveau intégrés au drame, et les incursions solistes qui portent les affects, Chimène débute après la mort du comte, le père de l’héroïne, plaçant celle-ci devant le célèbre dilemme cornélien : venger la mort de son père en tuant celui qu’elle aime ; elle confiera à Don Sanche, également amoureux de Chimène, le soin de perpétrer le crime. Rodrigue ayant épargné Don Sanche, Chimène épousera Rodrigue, car elle avait promis d’épouser le vainqueur du combat.

 

 

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Le dispositif scénique imaginé par Suzanne Anglade est d’une grande sobriété : tonalités sombres, percées par des éclairages laiteux d’une grande efficacité dramatique. Pour suggérer les épisodes précédents escamotés dans la tragédie de Sacchini, la scène s’agite, avant même l’arrivée des musiciens, indiquant l’idée d’un drame en continu. L’importance de l’orchestre et des chœurs justifie leur présence sur le plateau même. Julien Chauvin, en véritable chef giratoire, tantôt face, tantôt derrière le public, témoigne d’une souplesse remarquable. À la tête de son Concert de la Loge, il insuffle un dynamisme, une vitalité, une précision d’entomologiste qui fait merveille à chaque instant. Côté soliste, on louera la noblesse du chant d’Artavazd Sargsyan, ténor à l’élocution admirable, celle plus convaincante encore de Matthieu Lécroart, Don Diègue idéal, d’une assise et d’une autorité, dans le médium comme dans les (nombreux) aigus, qui forcent l’admiration, tandis que dans le rôle du hérault d’armes, Jérôme Boutillier confirme ses dons, de puissance, de projection et d’élocution. Satisfaction complète également du côté du Don Sanche de François Joron, ténor racé, que l’on avait pu apprécier dans l’Andromaque de Grétry et dans l’Hercule mourant de Dauvergne. Même la brève incursion d’Eugénie Lefèbvre ravit l’auditoire par l’exceptionnelle qualité de son organe. La déception vient en revanche du rôle-titre, Agnieszka Slawinska. Si sa voix est parfaitement idoine (elle est même impressionnante de vérité dans les nombreux récitatifs pathétiques), elle peine cependant lorsqu’elle est sollicitée – et elle l’est souvent – dans les aigus : l’élocution en pâtit, la voix se voile et le contraste ne joue pas en sa faveur. Ces défauts sont encore plus rédhibitoires chez Enrique Sanchez-Ramos qui oblige le spectateur à s’accrocher aux surtitres, malgré un timbre qui est loin d’être déplaisant. La comparaison avec les Chantres du CMBV, à l’articulation exemplaire, n’en est que plus cruelle.
Malgré ces quelques réserves, il s’agit d’une formidable redécouverte qui redonne enfin ses lettres de noblesse à ce compositeur, souvent réduit au seul succès de son Œdipe à Colonne. Chimène ou le Cid fait partie de ces nombreux joyaux de la fin du XVIIIe siècle qui méritaient d’être dépoussiérés et attendent à présent d’être immortalisés au disque.

 

 

 

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Compte-rendu, opéra. Saint-Quentin en Yveline, Antonio Sacchini, Chimène ou le Cid, 13 janvier 2017. Agnieszka Slawinska (Chimène), Artavazd Sargsyan (Rodrigue), Enrique Sánchez-Ramos (Le Roi de Castille), Matthieu Lécroart (Don Diègue), Jérôme Boutiller (Un hérault d’armes), François Joron (Don Sanche), Eugénie Lefèvre (Une coryphée), Concert de la Loge, Julien Chauvin (direction), Suzanne Anglade (mise en scène), Mathias Baudry (décors), Cindy Lombardi (costumes), Caty Olive (lumières), Les Chantres du CMBV, Olivier Schneebeli (chef des chœurs).

 

 

 

APPROFONDIR

LIRE aussi notre présentation de Chimère de Sacchini, nouvelle recréation portée par l’ARCAL : « Le procès de Chimène ».

 

 

Prochaines dates :

MASSY, Opéra
Mardi 14 mars 2017, 20h

HERBLAY, Théâtre Roger Barat
Les 25 et 27 mars 2017, 20h

Opéra chanté en français — durée : 1h45 sans entracte
Informations sur le site de l’ARCAL

 

 

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VOIR le reportage vidéo Renaud de Sacchini recréé par Bruno Procopio à Rio de Janeiro (mars 2015)

 

VOIR aussi notre reportage ATYS de Piccinni (1780), recréé par Julien Chauvin (2012)

 

 

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