vendredi 29 mars 2024

Compte rendu, opéra. Paris. Opéra National de Paris, le 7 juin 2014. Monteverdi : L’Incoronazione di Poppea. Karine Deshayes, Jeremy Ovenden, Gaëlle Arquez, Varduhi Abrahamyan… Concerto Italiano. Rinaldo Alessandrini, direction. Robert Wilson et Giuseppe Frigeni, mise en scène.

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monteverdi-460-strozzi-portraitMonteverdi chic à l’Opéra National de Paris! Le Palais Garnier présente la nouvelle production maison, L’Incoronazione di Poppea signée Robert Wilson et Giuseppe Frigeni.  A la distribution des chanteurs aux profils éclectiques se joint l’ensemble baroque Concerto Italiano dirigée par Rinaldo Alessandrini, responsable également de la révision musicale et de la compilation non critique des partitions disponibles. Claudio Monteverdi, véritable père de l’opéra, compose son dernier opus lyrique, L’Incoronazione di Poppea (1642), à la fin de sa vie, âgé de 75 ans! Il fait pourtant preuve d’une jeunesse étonnante en mettant en musique la vie ardente de Venise, avec ses scènes d’amour, de volupté, de crime. Il renonce au récitatif florentin et adopte une sorte d’arioso qui épouse la parole. Il utilise aussi toutes les formes d’airs, y compris la chanson populaire, renonce aux chœurs et restreint l’orchestre, tout en privilégiant les voix. L’excellent livret de Gian Francesco Busenello est emprunte à l’Histoire romaine (encore une nouveauté à l’époque); il raconte l’histoire de l’ascension de Poppée au trône grâce à son mariage avec Néron. Son traitement est néanmoins caractéristique du siècle et reste un véritable produit de la culture libre, artistique, intellectuelle de la République Vénitienne.

Une Poppée plus sophistiquée que populaire

monteverdi_le-couronnement-de-poppeeCette nouvelle Poppée parisienne est séduisante. L’engagement des chanteurs, corrects au pire des cas, est souvent impressionnante. Le couple de Nerone et Poppea est exemplaire, même si nous pensons qu’il ne plaira peut-être pas à tous les « baroqueux ». Dans le rôle-titre, Karine Deshayes se révèle surprenante. Elle s’accorde magistralement à la conception du duo Wilson/Frigeni, mais aussi, et surtout, aux intentions musicales voulues par le chef. Elle offre donc une performance noble et distinguée, sa Poppea n’est pas une maîtresse vulgaire, au contraire, elle est une future Impératrice déjà altière, sans pour autant tomber dans le piège de la sévérité. Musicalement, elle fait preuve d’agilité, comme on l’attendait, mais aussi d’une sensibilité particulière, notamment dans duos et ensembles. Son duo avec Nerone à la fin de l’œuvre : « Ne più s’interporrà noia o dimora », est un véritable sommet et d’agilité et d’expression.

Nerone est interprété par le ténor Jeremy Ovenden. Mozartien reconnu et apprécié, il fait ce soir ses débuts à l’Opéra National de Paris avec Monteverdi et Wilson. Il s’est très bien sorti de ce que aurait pu paraître un défi angoissant ! Musicalement il est à l’aise avec la coloratura et la dynamique du rôle probablement créé par un castrat. Mais plus qu’à l’aise, il offre une performance virtuose et élégante, tout à fait … impériale. Si nous sommes moins convaincus par l’affectation de Monica Bacelli en Ottavia, curieusement dramatique tout en paraissant absente, sauf peut-être lors de ses adieux ; celle de Varduhi Abrahamyan en Ottone est une réelle caresse à l’ouïe, mais aussi pour les yeux. Son chant chaleureux comme toujours ravit les cœurs et sa transformation en amant répudié est étonnante et plus que crédible.

Gaëlle Arquez dans les rôles de Fortuna et Drusilla est une révélation. Son chant n’est pas seulement impeccable mais aussi voluptueux, et par sa ravissante présence sur scène, elle maîtrise la gestuelle Wilson de façon alléchante. En Fortuna, la soprano rayonne par la richesse propre à l’allégorie ; en Drusilla, elle émeut par sa constance. Sa performance est inoubliable. Remarquons également La Virtù, pétillante de Jaël Azzaretti, ou encore l’Amore aussi pétillant et si doux d’Amel Brahim-Djelloul. Marie-Adeline Henry dans le rôle de Valletto est de même très convaincante, mouvements très réussis, chant très beau. Nous ne dirons pas la même chose d’Andrea Concetti en Seneca, qui nous touche uniquement au moment de sa mort. Manuel Nunez Camelino dans le rôle travesti d’Arnalta, nourrice et confidente de Poppea, réussit quant à lui, un véritable tour de force comique.

La mise en scène de Robert Wilson et Giuseppe Frigeni est d’une efficacité théâtrale impressionnante. C’est une conception bien pensée et, surtout, très bien réalisée. L’équipe artistique est sans doute à la hauteur du chef-d’oeuvre musical et du lieu. Beaux décors économes efficaces et quelque peu ésotériques de Wilson, beaux costumes inspirés de la Renaissance, sobres mais aussi somptueux par la richesse évidente des matières, signés Jacques Reynaud ; lumières sentimentales et théâtrales de Wilson et Weissbard. Ensuite, que dire du travail d’acteurs ? Wilson développe son langage personnel qu’il « apprend » aux chanteurs/acteurs dans chacune de ses productions. Ceux qui ont du mal à l’accepter dans Pelléas et Mélisande ou dans Madama Butterfly, seront peut-être surpris de sa pertinence dans une œuvre comme l’Incoronazione di Poppea. C’est probablement grâce à l’influence de Giuseppe Frigeni, co-réalisateur, que la mise en scène est beaucoup moins statique que prévu. Au final, le travail du duo de metteurs en scène est fabuleux, un songe vénitien si raffiné qu’on n’a pas envie de se réveiller. Attention, l’effet est enchanteur, pas somnifère. Pas de temps mort ni de lacunes, pas d’insistance sur les didascalies. Uniquement du théâtre lyrique très personnel, et du bon. Même commentaire pour la performance immaculée du Concerto Italiano sous la direction de Rinaldo Alessandrini. Elle peut paraître un peu trop sobre pour une musique (vocale) si incarnée, mais se marie superbement avec la conception globale, d’une dignité sans doute plus sophistiqué que populaire.

A l’affiche du Palais Garnier à Paris les 11, 14, 17, 20, 22, 24, 26, 28 et 30 juin 2014.

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