CRITIQUE, opĂ©ra. BORDEAUX, le 25 sept 2021. Meyerbeer : Robert le Diable. M. Minkowski / Luc Birraux. Heureux public bordelais ! Il est finalement bien rare de ressortir dâun concert avec des Ă©toiles plein les yeux, de celles qui laissent un sentiment dâeuphorie bien aprĂšs lâĂ©vĂ©nement passĂ© : câest pourtant ce quâa rĂ©ussi lâOpĂ©ra national de Bordeaux pour son ouverture de saison, en proposant un plateau vocal de classe internationale au service de la rĂ©habilitation de Robert Le Diable. Créé Ă Paris avec un immense succĂšs en 1831, le 10Ăš opĂ©ra de Meyerbeer est rarement donnĂ© de nos jours, du fait dâune action statique et dâun livret trop littĂ©raire, sans parler de sa durĂ©e (4h30 avec deux entractes) rĂ©barbative pour de nombreux mĂ©lomanes. Câest pourtant lĂ une grave erreur, tant la partition entraĂźnante et colorĂ©e, regorge dâinventivitĂ© (cf les dĂ©tails dâorchestration), mĂ©nageant des scĂšnes de caractĂšre variĂ©es et spectaculaires (voir notre prĂ©sentation : https://www.classiquenews.com/bordeaux-opera-meyerbeer-robert-le-diable-20-25-sept-2021/).
Macabre ballet des nonnes de lâacte III
Souvent qualifiĂ© de grand opĂ©ra, lâouvrage lorgne davantage vers le drame romantique moyenĂągeux (proche du style de Weber), tout en gardant des traces de son Ă©criture initiale en tant quâopĂ©ra comique, avec notamment une scĂšne bouffe irrĂ©sistible de drĂŽlerie au III entre Bertram et Raimbaut. Ce mĂȘme acte, le plus rĂ©ussi des cinq, contient la scĂšne la plus marquante de tout lâopĂ©ra : le macabre ballet des nonnes aux fulgurances piquantes, parfaitement intĂ©grĂ© Ă lâaction. Plusieurs airs montrent aussi tout le talent du compositeur Ă ciseler des bijoux dâexpressivitĂ© et de prĂ©cision rythmique – le tout parfaitement mis en valeur par lâĂ©nergie communicative de Marc Minkowski, maĂźtre en la matiĂšre. LâOrchestre national Bordeaux Aquitaine, qui nâa dĂ©cidĂ©ment rien Ă envier Ă son Ă©quivalent toulousain plus connu, participe Ă la rĂ©ussite de la soirĂ©e, Ă force dâengagement et dâĂ©lectricitĂ© bienvenus.
Robert Ă Bordeaux
Chanteurs, orchestre, mise en espace⊠réjouissants
On aimerait vivement pouvoir bĂ©nĂ©ficier dâune mise en scĂšne du chef dâoeuvre de Meyerbeer, Ă mĂȘme de faire vivre ces diffĂ©rents tableaux : la derniĂšre production parisienne remonte ainsi Ă …1985 dans la production de Petrika Ionesco, avec lĂ aussi un plateau vocal de rĂȘve : June Anderson, Samuel Ramey… En attendant, la mise en espace proposĂ©e Ă Bordeaux par Luc Birraux (nĂ© en 1989) dĂ©joue toutes les attentes en apportant beaucoup de fantaisie et de plaisir. Dâabord discret, le travail du dramaturge se dĂ©ploie au niveau de la variation des Ă©clairages, tout en jouant sur les volumes avec les Ă©lĂ©ments techniques mouvants. Mais câest surtout lâidĂ©e de commenter lâaction en arriĂšre-scĂšne, en sâappuyant sur les nombreuses et prĂ©cises didascalies de Meyerbeer (toujours trĂšs intĂ©ressĂ© par la mise en scĂšne de ses ouvrages) qui apporte une malice inattendue Ă la soirĂ©e. Peu Ă peu, le rĂ©cit gagne en libertĂ© et en humour, gardant toujours beaucoup dâesprit et de finesse. On se surprend Ă imaginer avec le metteur en scĂšne le dĂ©tail de chaque scĂšne et la forme quâelle aurait pu prendre, au grĂ© dâune imagination qui vagabonde joyeusement.
La perfection sonore Ă lâoeuvre sur scĂšne nous ramĂšne vite Ă lâessentiel : voilĂ un plateau vocal proche de lâidĂ©al, du moins de nos jours. A tout seigneur tout honneur, John Osborn fait valoir toute sa classe vocale dans le rĂŽle-titre, irradiant de souplesse et de naturel dans lâĂ©mission, le tout au service dâune diction française quasi-parfaite. On peut seulement lui reprocher de ne pas avoir suffisamment appris le rĂŽle (ce qui occasionne le recours constant Ă une tablette tactile pour se rappeler son rĂŽle) : dĂšs lors, lâĂ©mission patine quelque peu dans les accĂ©lĂ©rations, au dĂ©triment du texte. Gageons que lâenregistrement rĂ©alisĂ© par les Ă©quipes du Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française (Ă paraĂźtre chez Glossa, comme Ă lâhabitude) saura gommer ces quelques imperfections. A ses cĂŽtĂ©s, Erin Morley (Isabelle) reçoit la plus belle ovation de la soirĂ©e, amplement mĂ©ritĂ©e : mĂ©connue en Europe, lâAmĂ©ricaine a les mĂȘmes qualitĂ©s de diction que son compatriote, tout en proposant des nuances dâune infinitĂ© subtilitĂ© au niveau dramatique. Le timbre de velours bĂ©nĂ©ficie dâune technique sans faille, qui impressionne dans la longueur parfaitement maĂźtrisĂ©e des tenues de note. Erin Morley fait partie de ces chanteuses qui donnent le frisson et que lâon espĂšre entendre au plus vite.
Lâautre grande performance de la soirĂ©e est Ă mettre au crĂ©dit de Nicolas Courjal, dont le rĂŽle diabolique de Bertram lui va comme un gant. On a rarement entendu une telle aisance dans la nĂ©cessaire articulation entre théùtre et chant, tant le Rennais fait un sort Ă chaque note avec une imagination rĂ©jouissante. Sa morgue et ses intonations sont un rĂ©gal constant, vivement applaudi par le public Ă lâissue de la reprĂ©sentation. Amina Edris (Alice) obtient elle aussi une ovation nourrie, parfaitement justifiĂ©e, tant son engagement force lâadmiration. La soprano Ă©gyptienne fait montre de nombreuses qualitĂ©s vocales, de lâaigu aisĂ© aux graves charnus, sans parler des subtilitĂ©s dans les piani. On peut juste lui reprocher un timbre un rien plus mĂ©tallique et dur dans la puissance de lâaigu, mais ça nâest lĂ quâun dĂ©tail Ă ce niveau. Visiblement Ă©mue par lâaccueil chaleureux obtenu, Amina Edris nous a sans doute offert le moment dâĂ©motion partagĂ©e le plus sincĂšre de la soirĂ©e. Tous les seconds rĂŽles montrent un niveau superlatif, tandis que le choeur rĂ©parti spatialement en deux parties bien distinctes fait entendre un dĂ©sĂ©quilibre entre hommes et femmes – ces derniĂšres se montrant supĂ©rieures dans la prĂ©cision des attaques et la diction.
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CRITIQUE, opĂ©ra. BORDEAUX, Auditorium, le 25 septembre 2021. Meyerbeer : Robert le Diable. John Osborn (Robert), Nicolas Courjal (Bertram), Nico Darmanin (Raimbaut, un troubadour), Joel Allison (Alberti, PrĂȘtre), Erin Morley (Isabelle), Amina Edris (Alice), Paco Garcia (HĂ©raut dâarmes, PrĂ©vĂŽt du Palais). ChĆur de lâOpĂ©ra national de Bordeaux, Salvatore Caputo (chef de chĆur), Orchestre national Bordeaux Aquitaine, Marc Minkowski, direction. Luc Birraux, mise en espace. A lâaffiche de lâOpĂ©ra national de Bordeaux du 20 au 25 septembre 2021.