samedi 20 avril 2024

Symphonies de Scriabine

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skryabin scriabine alexandre scriabine piano orchestre extase, divin6 Symphonies de Scriabine (1899-1915). 150 ans de la naissance de Scriabine. Il ne faut écarter aux côtés de son œuvre – visionnaire et prophétique pour piano -, le legs symphonique de Scriabine. S’il fut russe, Alexandre Scriabine (mort en 1915) n’en abusa pas pour autant du folklore slave. Symphoniste son inspiration, à l’époque où Rachmaninov développe son propre style, demeure classique et surtout occidentale : aucune revendication nationale comme c’est le cas chez Rimsky, Glazounov ou Borodine. En cela, Scriabine se rapproche de Tchaikovski, mais en moins autobiographique. Les visions de Scriabine sont ascensionnelles, visant l’abstraction et la musique pure, même si elles s’appuient sur un plan narratif (aux titres toujours évocateurs) : mais le compositeur y exprime dans le prolongement des poèmes symphoniques de Liszt, après Wagner surtout, les vertiges sensuels nés de l’extase, de la transe, de l’illumination. En mystique, Scriabine y dévoile les fondements de sa croyance spirituelle, des ténèbres vers la lumière finale, où l’artiste est un poète médiateur, sorte de prophète Prométhée parmi les hommes. Evidemment la musique permet de réaliser la quête : elle en serait un rituel accessible à tous. Connaître l’écriture symphonique de Scriabine est d’autant plus intéressant lorsque l’on sait que son aventure pour l’orchestre est strictement contemporaine de celle de Sibelius en Finlande (lequel lui survivant après la première guerre, poursuivra plus loin évidemment sa propre interrogation sur la forme et le sens du développement : LIRE notre dossier spécial, les  7 Symphonies de Sibelius). C’est aussi une époque passionnante et riche puisque Mahler et Strauss s’invitent aussi dans l’arène du questionnement symphonique… sans omettre évidemment les français dont Debussy et Ravel.

 

 

 

Les deux premières Symphonies (1899-1901)
En 1899, Scriabine compose sa Symphonie n°1, à l’effectif important mais aussi spectaculaire qu’une partition Mahlérienne. Les 6 mouvements sont courts, exprimant tous une élévation ardemment désirée. Le 3è est le plus réussi, vertigineux et poétique ; le 4è qui suit, un scherzo noté  » vivace  » d’une élégance instrumentale indéniable. Même si le dernier mouvement, finale (Andante) qui associe mezzo et ténor au choeur d’apothéose, tend à l’expression de la fonction supérieure de l’art et de la musique, Scriabine ne peut s’empêcher un style parfois emphatique.

 

 

Peu à peu l’écriture se condense et se resserre, économe, elle atteint parfois l’épure (comme c’est le cas dans l’œuvre pour piano). La Symphonie n°2 (1901) doit son unité interne au principe cyclique qui unit organiquement les 5 mouvements ; le mouvement lent (Andante, en 3è position) ouvre des perspectives fascinantes, mais le final (Marcia Maestoso) là encore s’enlise dans sa probable citation de la 5ème Symphonie de Tchaikovski.

 

 

Première maturité : Le Divin poème de 1905
scriabine alexandre portrait poeme divinLa 3ème Symphonie (conception : 1902-1904), créé à Paris en 1905 par Arthur Nikisch, affirme une nette maturation du style : son titre  » Le Divin poème  » souligne l’essence divine et spirituelle de la musique. D’une durée équivalente à ses 2 premières symphonies, Le Divin Poème exprime ouvertement et pour la première fois, les aspirations philosophiques et spirituelles de son auteur. Les deux premiers mouvements en particulier sont très wagnériens. La présence des sphères se dessine nettement dans le pupitre étoffé des cors (8) auxquels répondent 5 trompettes. Un réseau subtil de motifs repris de l’un à l’autre des mouvements, innerve la matière des 3 mouvements enchaînés sans pause. Le jaillissement des motifs et des cellules donne l’impression d’une écriture spontanée, particulièrement sensuelle voire flamboyante : mystère tragique du premier mouvement (Luttes), puissance vénéneuse du 2ème mouvement lent intitulé  » Voluptés  » (les chants d’oiseau – dont la mélodie est confié au violon-, évoquent la beauté paradisiaque de la maison d’été où le compositeur se retire en 1903). Contrairement aux Symphonies 1 et 2, le finale de la 3 s’offre un allant irrésistible. Que le final (Jeu divin), architecturé comme une élévation progressive, renforce encore (solo de trompette dès le début, d’un luminisme gorgé de vitalité). Tous les éléments sont présents pour que naisse rapidement le futur grand œuvre suivant : Le Poème de l’extase.

 

 

Extase symphonique (1907)
La 4ème Symphonie ou Poème de l’extase (opus 54, 1905-1908) est crée à New York en 1907. Elle condense tous les sentiments éprouvés, toutes les visions évoquées en un seul flux orchestral : conscience universelle du créateur, héros poète auto proclamé, tension spirituelle, voluptueuse du développement musical. Présence de l’orgue (continuelle), percussions à l’honneur (cors, trompettes, trombones, tuba…), Scriabine emploie toutes les ressources d’un orchestre impressionnant. Désir, extase, ivresse voire délire, … il écrit lui-même le programme et chaque étape de ce parcours spirituel et émotionnel : l’audace artistique permet la libération des forces supérieures… comme Wagner, l’auteur associe à chaque sentiment, une idée musicale (langueur, volonté, envol, affirmation…). Scriabine ne s’impose aucune limite dans ce qui s’affiche tel le dernier poème symphonique postwagnérien, coloré d’accents impressionnistes. C’est aussi un fabuleux parcours chromatique qui s’achève par l’ut majeur, lumineux lui aussi, voire éblouissant final.

 

 

Prométhée, 1911
scriabine skryabin alexandre piano poeme symphoniqueAprès de nombreux voyages et séjours en Europe occidentale (1904-1908) où il gagne une stature internationale, Scriabine revient en Russie, se fixant dans sa ville natale Moscou dès 1909. A 43 ans, la maturité venue, il est temps de produire un chef d’oeuvre qui fait la synthèse de ce qu’il a composé jusque là, tout en ouvrant de nouvelles pistes associant sons et couleurs. Apparentée comme sa 5ème Symphonie : Prométhée ou le Poème du feu, créé à Moscou en 1911 (sous la direction de Serge Koussevitzky et Scriabine au piano) atteint un sommet poétique dans l’expression de cette érotisme spirituel qui n’hésite pas à varier les effets de timbres (solo de piano et chœur sans paroles) pour enrichir encore la sensualité du spectre sonore.
Après Prométhée, Scriabine s’écarte du tissu orchestral et se passionne presque exclusivement pour le piano seul, édifiant alors l’un des monuments pianistiques les plus difficiles et les plus originaux de son époque.
S’y glissent les facettes de l’impressionnisme debussyste et ravélien. L’écriture musicale est le vecteur d’un accomplissement métaphysique dont Scriabine entend partager les bénéfices. Comme Wagner, le poète compositeur enseigne aux hommes par le génie de son art, les clés de la libération spirituelle (c’est évidemment une relecture et une appropriation par l’auteur du mythe de Prométhée). Ce messiasnisme musical (cette fois encore fusionné en un seul mouvement continu) est au coeur de l’inspiration. La forme s’inscrit dans le sillon des poèmes symphoniques de Franz Liszt ; elle emprunte sa forme exturée d’une réichesse vénéneuse évidemment au Wagner de Trisatn (déjà présent dès la troisième Symphonie « Le Divin Poème »). Adepte de la synesthésie (avant Messiaen), Scriabine conçoit pour l’épisode « Luce », l’apport de lumière colorée pour étendre encore le spectre des sensations pendant l’audition (et donc la vision) du Prométhée. Au terme d’un cheminement musical qui est une expérience sonore inédite (timbres combinés, spacialisation nouvelle, etc…) : le tissu harmonique et chromatique complexe se conclut en un lumineux accord final de fa dièse majeur (l’indice de l’élévation accomplie et de l’accomplissement de l’activité cosmique qui avait débuter). Au commencement, chant de la création, l’accord « mystique » (6 notes sur un sourd trémolo) fait résonner la pulsation du monde… Scriabine y alterne les frémissements et frottements les plus infimes à la limite du perceptible, et les déflagrations lyriques, puissantes et flamboyantes de tout l’orchestre. Si la concentration des effets entend surtout raffiner et complexifier les nuances et les couleurs, le développement reste statique, comme non pas une marche et la croissance d’une entité primordiale, mais plutôt le bourdonnement perpétuel d’un conscience suspendue.

 

 

 

scriabine Aleksandr_Skryabin_280112En scénographe et architecte des nouveaux mondes sonores, Scriabine a l’intuition à la fin de sa (courte) vie d’une expérience orchestrale inédite, où l’orchestre sollicité, le lieu qui le reçoit et le dispositif architectural et spatial forment une totalité esthétique : l’exemple de Wagner et de Bayreuth est présent. Il influence nettement ses derniers grands chantiers. En outre, comme un vidéaste, Scriabine imagine des changements visuels à vue pour chaque mouvement. A partir des esquisses pour L’Acte préalable, le musicologue Alexander Nemtin a reconstitué (1996) ce qui aurait pu être l’ultime offrande orchestrale de Scriabine, conçu comme un triptyque initiatique et testamentaire : Mysterium, dont les trois volets sont « Univers », « Humanité », « Transfiguration ». Voici l’une des fresques les plus sincères de Scriabine, totalisant les contradictions de son écriture : flamboyante et grandiloquente, visionnaire et audacieuse, spirituelle et sensuelle. S’il manque nettement de maîtrise dans l’écriture vocale et chorale (et dans l’art de les combiner à l’orchestre), le tissu orchestral, les couleurs et le raffinement de l’orchestration affirment un réel tempérament de la forme symphonique : un expérimentateur au service de ses visions comme de sa quête d’absolu.

 

 

 

scriabine alexandre portrait SkriabinEn marge des autres auteurs russes, Scriabine exaspérait par son arrogance, sa fierté assumée et sa posture supérieure pourtant soutenues par de réels dons poétiques. Mort en pleine guerre en avril 1915 (à Petrograd), le compositeur russe qui voyait dans le cataclysme européen, ce chant libérateur, annonciateur d’un nouveau monde, meurt à 43 ans, certain des vertus électrisantes et philosophiques de l’art, et de la musique. Son symbolisme teinté ou non de théosophisme incarne évidemment cette autre musique russe, développée hors du folklore et de la nostalgie (comme c’est le cas chez son contemporain Rachmaninov).

 

 

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