Stravinsky par lui-même
Alors qu’en 2013 tous les orchestres et les salles sans omettre les chefs se passionnent pour reconnaître la modernité jamais éteinte de ce chef-d’oeuvre absolu (dont une nouvelle lecture par Simon Rattle et le Berliner Philharmoniker édité par Emi classics en avril 2013), voici le coffret légendaire du compositeur devenu chef, qui à partir de 1928 et remaniant plusieurs fois son ouvrage (épreuve de la direction et des reprises obligent) dirige ici son manuscrit en 1940 puis 1960.
Le timing est surprenant : sa direction est nettement plus rapide voire hallucinée que bien des directions après lui ; outre la propension des baguettes récentes à diriger plutôt vite, Stravinsky fait entendre surtout en janvier 1960 avec le Columbia Symphony Orchestra, une coupe nette, incisive, à la motricité électrique et si subtilement féline, qui ne renonce en rien au relief détaillé des timbres ni au jeu particulier des frottements multiples comme la tenue d’archet et les nuances infimes pourtant essentielles dans la révélation expressive et poétique de la partition.
Cette attention aux détails, aux effets et accents ténus produisent une irisation et une fragmentation sonore où les timbres idéalement caractérisés et individualisés chantent le vrombissement à la fois un et multiple de l’action comme ce que Cocteau écrit en témoin halluciné et captivé de l’oeuvre à sa création: les milles échos et cris d’une » savane luxuriante « . Il y a certes de la sauvagerie dans Le Sacre, mais ce qui frappe davantage encore, c’est à l’inverse de vien des commentaires ici et là relayés, le raffinement de l’instrumentation.
Chez Stravinsky II en 1960 donc à Brooklyn, les instrumentistes se montrent d’une éloquence extrême, dans un chant collectif qui n’étouffe aucune des disparités et phénomènes sonores combinés, empilés, dialogués. Cette lecture tient du miracle sonore, instrumentale, acoustique (chapeau à l’ingénieur du son capable alors de détailler et d’unir toutes les voix de l’orchestre en une constellation inouïe, à la fois accomplissement, révélation et transe : ni les notes pointées des flûtes, ni le crépitement staccato, ni les pizz des cordes ne sont fondues et noyées dans la masse rugissante…).
La version 1960 est d’autant plus percutante et actuelle qu’elle donne toute légitimité à la lecture contemporaine de François-Xavier Roth et de son orchestre Les Siècles capables en 2013 pour le Centenaire justement, de restituer l’énergie, ce feu brûlant et incandescent des instruments de l’époque (soit en 1913 au TCE, majoritairement de facture française) : comme c’est le cas du compositeur chef lui-même, Le Sacre est une œuvre symphonique dont le souffle et la magie jamais usée vient essentiellement du chant des instruments.
En 2013, le coffret Sony music et les concerts de la tournée des Siècles et François-Xavier Roth constituent le tour incontournable de l’année du Centenaire du Sacre 2013. Saluons enfin le souci éditorial de ce double coffret dans le choix des superbes photographies du chef Stravinsky à la tête de son orchestre américain.
En outre, Sony music réédite sous la forme d’un coffret plus important, 10 versions discographiques du Sacre dont évidemment les deux versions Stravinsky (1940 et 1960), regroupant des orchestres surtout anglosaxons (Boston, Philadelphia, San Francisco, Cleveland…) comptant les directions majeures de Boulez, Ozawa, Ormandy, Stokowski et Monteux, le créateur du Sacre en 1913… lire notre présentation et critique du coffret » Stravinsky : Le Sacre du printemps, 100 th Anniversary Collection, 10 références recordings » (10 cd Sony Classical, RCA red seal)…
Igor Stravinksy conducts Le Sacre du Printemps (1940 et 1960). 2 cd Columbia records – Sony classical. Couplé avec L’Oiseau de feu (1967 et 1946).