samedi 20 avril 2024

Piotr Ilyitch Tchaïkovski: Eugène Onéguine. Mattei, Salzbourg 2007 (2 dvd Deutsche Grammophon)

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Regard désenchanté

La vision est cynique et mordante, comme « déromantisée ». Sur
la scène salzbourgeoise 2007, Oneguine est un Don Juan à la sexualité
gavée, sans désir, hautain, désimpliqué, dans une société corrompue
jusqu’à la moelle. Les tableaux collectif, pieds dans l’eau (le navire
coule) dont celui entre autres du bal (acte II), précisent la peinture
d’une communauté avilie, à la dérive, soumise aux pires habitudes
mafieuses, à ses petits arrangements détestables qui ont pollué tout
l’ancien système communiste. Aucune place pour l’idéal romantique… De
fait, la production nous offre l’une des meilleures compréhensions de
l’œuvre de Tchaïkovski d’après Pouchkine : sa vision noire, désabusée,
définitivement meurtrie par le poison de l’amertume, du défaitisme, de
l’impuissance : de la galopante lâcheté.

L’apport de Claus Guth sur la scène de Salzbourg avait montré ses attraits, en particulier dans une production des Noces à présent mémorable (Netrebko, Röchmann, Harnoncourt, 1 dvd Deutsche Grammophon)
: réalisme acide à la Ibsen, tension fantastique des scènes, solitudes
éprouvées des caractères… Même lecture âpre voire cynique, réaliste
voire clinique. Andrea Breth suit le sillon de son aîné et offre
d’Onéguine, un regard passablement désenchanté qui se concentre du côté
des deux protagonistes, Tatiana, l’amoureuse romantique d’une loyauté
indéfectible, Onéguine, loup solitaire, libertin impérial. La violence
des sentiments s’oppose à la dureté des individualités : comme Onéguine
dont elle fut amoureuse l’écarta sans douceur alors qu’elle lui avait
écrit une lettre enflammée, Tatiana, devenue princesse Grémine, se
refuse à Onéguine quand celui-ci, à la fin de l’action, lui déclare sa
flamme irrépressible et tourmentée. Amour en décalage. Ce désaccord
temporel fonde la tragédie de l’œuvre. Sa lecture noire, désespérée,
amère. Tchaïkovski a parfaitement suivi la trame progressive de
Pouchkine.

Saluons dans le rôle titre, l’impeccable Peter Mattei
: hier, Don Giovanni de grande classe, animal, carnassier et déjà
libertin ; aujourd’hui, diseur et acteur de premier ordre, fouillant
avec une subtilité inouïe, les replis d’une âme aussi sensible
qu’écorchée. A ses côtés, aucune fausse note : ni de ses partenaires,
dont l’excellent Lensky de Joseph Kaiser, encore moins de la fosse où
règne l’impérial Barenboim, esprit soucieux de clarté dramaturgique et
de souffle tragique. Excellente version !

Piotr Ilyitch Tchaïkovsky (1840-1893): Eugène Onéguine. Avec
Peter Mattei (Onéguine), Anna Samuil (Tatiana), Renée Morloc (Larina),
Joseph Kaiser (Lensky), Ferrucio Furlanetto (Prince Gremin)…
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor, Wiener Philharmoniker.
Daniel Barenboim, direction. Andrea Breth, mise en scène. Réalisation;
Brian Large

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