C’est le grand retour d’une légende du piano à Paris… Pianiste légendaire, il l’est assurément ; Ivo Pogorelich affirme un tempérament hors normes et un regard affûté sur le clavier, l’histoire du piano, le répertoire et le métier de musicien… En alliant raffinement, expressivité et virtuosité technique de premier plan, le pianiste qui revient à Paris pour un récital événement, captive par son intransigeance artistique, une indépendance farouche, assumée qui porte un idéal esthétique et poétique particulièrement personnel et original.
Ivo Pogorelich à Paris
Nouveau regard sur Chopin, 20 ans après
Sa virtuosité est au service d’un onirisme crépitant dont la tradition remonte à Beethoven et Liszt, compositeurs qu’il joue régulièrement, et eux-même pianistes réputés. A la Philharmonie de Paris, Ivo Pogorelich joue un compositeur qui a marqué sa carrière (et ses débuts retentissants, en particulier son élimination du Concours Chopin de Varsovie 1980, à 22 ans, au 2è tour, provoquant la démission de Martha Argerich, membre du jury d’alors), Frédéric Chopin. L’interprète en a démontré une compréhension naturelle et profonde qui exprime élans, espoirs, aspirations éperdues, contradictions de l’âme, conquête de l’infini,…
Regard statuaire, froid voire hautain, le pianiste croate sexagénaire pourrait laisser penser qu’il est un artiste hyper cérébral et plutot contrôlé. Au contraire, son jeu est libre et flexible. S’il étire les tempi, au point de déstructurer parfois certaines œuvres sacrées, c’est pour mieux en exprimer la secrète beauté structurelle, l’équilibre essentiel de polyphonies où chaque partie compte et chante. Voilà pourquoi le barde inspiré qui « ose » relire certaine indication italienne pourtant autographe [comme « allegro moderato »] en propose une nouvelle lecture, souvent très pertinente ;
Voilà pourquoi avec raison, « Pogo » l’inclassable dévoile du Schumann chez Sibelius ; surtout du Schubert chez Chopin. Au point de fasciner l’auditoire, certes déjà acquis mais qui n’est jamais sorti du concert, déçu. Loin de là.
À Paris, « Pogo » joue certaines pièces de son dernier album Chopin édité en 2022 (le 5è album dédié au compositeur polonais), et qui marque son retour à Chopin, plus de 20 ans après ses premiers enregistrements. Le musicien a sélectionné quelques pièces des années 1840, la dernière décennie de la vie du maître polonais : les Nocturnes op. 48 no. 1 et op. 62 n° 2, la Fantaisie op. 49 et sa troisième et dernière Sonate pour piano, op. 58.
Il en découle une relation plus intime encore avec Chopin, cultivée dans l’approfondissement des contrastes, des élans et vertiges intérieurs (timbres polis, souplesse rythmique, Tempi libres mais justes et soignés…). De Chopin, Pogorelich s’intéresse surtout au peintre de l’âme humaine : « Chopin lance une invitation ouverte à pénétrer la psychologie humaine. C’est une invitation spécifique à rechercher et à explorer continuellement toutes les possibilités que le piano a à offrir. C’est un processus sans fin, et il continuera à défier les nouvelles générations d’artistes. » – Portrait d’Ivo Pogorelich © Bernard Martinez
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Le 7 novembre 2023, 20h
Récital CHOPIN,
Ivo Pogorelich, piano
+ d’infos concert
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sur le site de l’organisateur Piano 4 étoiles :
https://www.piano4etoiles.fr/production/ivo-pogorelich/
sur le site de La Philharmonie de Paris :
https://philharmoniedeparis.fr/fr/activite/recital-piano/26110-ivo-pogorelich
PROGRAMME DU CONCERT à la Philharmonie
Chopin :
Polonaise-fantaisie op.61,
Sonate n° 3, opus 58 (*)
Fantaisie op. 49,
Berceuse op. 57,
Barcarolle op. 60
(*) Egalement au programme de son dernier cd Chopin, paru en 2022
(Sony classical)
CRITIQUE CD (album chroniqué en février 2022)
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CD, CHOPIN. Ivo Pogorelich, piano. Sonate n°3, Nocturnes… (Autriche, sept 2021 – 1 cd SONY classical) – Âpre et contrasté, volontiers dans la rupture et la syncope, le chemin dès l’Allegro initial impose le tempérament impétueux du formidable pianiste qu’est Ivo Pogorelich. Le choix du programme déjà est en soi une réaffirmation ambitieuse : la claire expression d’une détermination qui voudrait comme en « finir » avec Chopin. Moins avec le compositeur (tant l’interprète a à nous dire à son sujet et tant il reste très inspiré par l’écriture chopinienne), que vis à vis de ses détracteurs qui lui opposeraient toujours cette soi disante inadéquation entre son jeu (trop viril et carré) et la musique du Polonais (trop délicate et féminine) ; évincé du Concours Chopin de Varsovie 1980, au point de provoquer le départ parmi le jury de Martha Argerich, scandalisée (après qu’elle ait parlé d’un « génie » du clavier), Ivo le magnifique nous revient ici dans les crépitements impérieux d’un caractère bien trempé.
En réalité, préambule qui monte tout en tension, les deux Nocturnes et la Fantaisie initiaux, préparent à l’accomplissement de la Sonate n°3 qui saisit par son fini et le travail sur les nuances, l’architecture, les tempi et le rubato. Une pièce maîtresse qui concentre toutes les qualités du pianiste serbe.
Habité, contrasté, jamais neutre…
un Chopin de haute lutte
Ivo Pogorelich,
le retour de l’enfant terrible
Le premier Allegro est frappant par sa carrure préalable, pour mieux installer et faire chanter le premier air, d’une évanescence profonde, sereine et superbement suggestive dans un faux abandon. Pogorelich séduit par son sens du scintillement qui accuse chaque accent, et produit les vertiges harmoniques basculant dans l’urgence d’une intériorité éperdue, bellinienne mais terriblement insatisfaite. Cette insatisfaction porte tout l’édifice. Jamais neutre pleinement investi, toujours crépitant.
Son Chopin n’est ni lunaire et crépusculaire, ni alangui édulcoré, ou rien que chantant. A contrario de bien des conceptions plus mélodiques, Pogo accuse l’architecture et la structure en tension, les rapports de force, le jeu des tensions, le chant d’une énergie qui se cherche, … et se réalise dans une opposition permanente et très ouvragée des contrastes.
Rien n’est jamais posé, inéluctable ; prévisible. Ivo Pogorelich nous porte vers cette fragilité de l’instant qui en s’appuyant sur les champs des possibles, permet le surgissement capricieux, fantaisiste, libre de la psyché ; la célébration de l’humeur plutôt que la construction d’une forme déductible : le Scherzo en cela, par ses frémissements schumanniens, est d’une respiration supérieure ; l’expression d’une incandescence vécue sur le vif.
Le Largo élargit encore la conscience dans les champs et les contrechamps, travaillant les infinis lointains avec une sensibilité picturale.
Pogorelich construit tout un monde souterrain, liquide, bellinien, aux contrastes nuancés, dont la palette est capable de teintes et demi teintes d’une infime couleur. Entre renoncement et espérance. Bluffant.
Enfin le Finale noté « presto non tanto » s’approprie une filiation directe avec la volonté beethovénienne, et cette carrure toujours proclamée, sans mollesse, rien que dans l’affirmation d’une énergie capable de recréer le monde par son tempo et sa digitalité crépitante. Ce Finale, exulte, mordant et tendre à la fois, a toutes les audaces d’une intelligence virtuose qui réunit le geste et la pensée, le cœur et le courage. Somptueux retour d’Ivo au clavier. CLIC de CLASSIQUENEWS.
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CD, CHOPIN. Ivo Pogorelich, piano. Sonate n°3 (Autriche, sept 2021). 1 cd SONY classical – durée : 1h – Parution annoncée le 18 février 2022. PLUS D’INFOS : https://www.sonyclassical.com/releases/releases-details/chopin