samedi 20 avril 2024

Paris. Théâtre des Champs Elysées, le 20 décembre 2012. Haendel: le Messie. Topi Lehtipuu, Sandrine Piau… Choeur de chambre Les Eléments. Joël Suhubiette, direction. Ensemble Matheus. Jean-Christophe Spinosi, dir

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L’Ensemble Matheus vient au Théâtre des Champs Elysées pour un concert d’avant fin du monde et avant Noël, plein de charme et de théâtralité. Il est accompagné par le Chœur de chambre Les Eléments pour un concert unique de l’oratorio de Georg Friedrich Haendel « le Messie », crée à Dublin en 1742.

Haendel, l ‘ « anglais » d’origine allemande le plus italien de la première moitié du 18e siècle, est en fait un des rares compositeurs baroques à ne jamais être tombé dans l’obscurité. Né en Allemagne en 1685, citoyen britannique en 1727, le musicien est une célébrité européenne; l’énorme popularité de sa musique ne s’est jamais démentie. Le trio immaculé de la Première école viennoise du classicisme musical, Haydn, Mozart, Beethoven, éprouvait pour lui la plus grande estime. Ils ont tous étudié sa musique et se sont servis d’elle d’une façon ou d’une autre pour leurs propres compositions. Beethoven le considérait comme le plus grand musicien de l’histoire de la musique. Si ces 42 opéras ont dû attendre le 20e siècle pour connaître la gloire, ses oratorios ont effectivement assuré sa permanence dans la vie musicale après sa mort et jusqu’à nos jours. Dans ce sens, le Messie est sans doute l’oratorio le plus joué sur la planète ; son chœur « Alléluia » est devenu le cliché chrétien international par excellence et véritable pièce populaire de la musique classique en générale.


Le Messie : ferveur et ardeur en temps de crise

Le Chœur de chambre Les Eléments sous la direction de Joël Suhubiette est glorieux et resplendissant. Il est aussi sombre et ténébreux quand le livret de Newburg Hamilton inspiré de la bible le requiert. Les sopranos cristallines et aériennes sont en parfaite harmonie avec les basses charmantes, quelque peu vaudevillesques. Les ténors offrent une interprétation tout-à-fait correcte … qui manque cependant de brio et de caractère. A l’opposé des alti (dont 3 contre-ténors), qui, eux, sont les véritables vedettes du Chœur, par la beauté de leur expression. Joël Suhubiette montre que son ensemble d’un éclatant talent est à l’aise dans le dialogue comme dans le contrepoint, dans les hymnes comme dans les chants populaires allemands. Le public est très enthousiasmé par sa prestation … seul bémol, un « Alléluia » un peu trop prudent voire incertain en comparaison avec la ferveur et le vivacité qui émanent des autres mouvements, d’une moindre popularité.

Les quatre solistes sont ravissants et semblent partager avec le public comme avec l’orchestre un certain amour pour la musique de Haendel: ils en révèlent l’éblouissante beauté. Le ténor mozartien Topi Lehtipuu (excellent Tom Rakewell dans The Rake’s Progress de Stravinsky à Glyndebourne) à une voix d’une très belle couleur, ses quelques ornements vocaux sont réussis et d’une légèreté attendrissante. S’il ne participe pas beaucoup dans l’oratorio, sa prestation est pourtant très belle et son expression d’un magnétisme et d’une chaleur inattendus. L’interprétation du contre-ténor canadien David DQ Lee va crescendo. Il fait preuve d’agilité vocale, d’une certaine théâtralité, et l’effort conscient qu’il fait comme son approche très intellectuelle des notes, sont manifestes. Il arrive heureusement à se laisser emporter par le sentiment de la musique dans l’air « He was despised » notamment pendant le da capo dont la ferveur n’avait pas percé jusque là.

Sandrine Piau à la chance d’avoir le plus grand nombre d’airs et nous sommes sans aucun doute chanceux de pouvoir en profiter. La cantatrice projette parfaitement sa très expressive voix de soprano; elle a un contrôle exquis des virtuoses passages de coloratura. Sa voix est cristalline et sa performance pleine de cœur, touchant le sublime.

C’est pourtant la basse Florian Boesch qui inspire le plus grand nombre d’applaudissements au long du concert. Sa voix colossale est agile, triomphale, profonde, brillante… toujours impressionnante. Son registre grave est velouté, il gère glorieusement ses difficiles passages de coloratura et fait preuve d’un souffle inextinguible, se montrant maître dans l’art du chiaroscuro vocal. Pendant son air avec trompette obligata « The trumpet shall sound » à la fin du spectacle, il éclipse même le solo de trompette lui-même pourtant époustouflant…

L’Ensemble Matheus sous la baguette animée de son fondateur Jean-Christophe Spinosi est l’accompagnateur idéal des chanteurs. Ce soir, il utilise une version de la partition orchestrale qu’il pense proche de l’original haendélien: effectifs réduits (absence des cuivres sauf deux trompettes qui apparaissent de façon fugace pendant les trois parties, pas de flûtes ni de clarinettes…). Dès la symphonie d’ouverture, l’orchestre envoûte par sa spirituelle, sentimentale dans son expression, intellectuelle dans la science du contrepoint. Les cordes formidables sous la direction de Spinosi sont splendides, agitées, aux modulations ensorcelantes et aussi pleines de nuances. Pendant l’ «Alléluia » timide du chœur, c’est l’orchestre qui brille davantage et qui transmet le plus ce bonheur solaire propre à la tonalité du morceau (ré majeur). Jean-Christophe Spinosi dans une charmante candeur invite le public à chanter avec le chœur pendant le bis, l’ « Alléluia», bien évidemment.

Voilà bien un concert de fin du monde dont nous sortons avec la certitude qu’il y a encore de longues années de vie à conquérir; notre foi en la musique en sort décuplée : elle est toujours ardente malgré ces périodes d’athéisme artistique et de crises budgétaires.

Paris. Théâtre des Champs Elysées, le 20 décembre 2012. Haendel: le Messie. Topi Lehtipuu, Sandrine Piau… Choeur de chambre Les Eléments. Joël Suhubiette, direction. Ensemble Matheus. Jean-Christophe Spinosi, direction.

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