PARIS, Musée d’Orsay : DEGAS à l’Opéra, jusqu’au 19 janvier 2020. C’est l’expo phare de cette rentrée 2019 et l’accrochage à ne pas manquer pour la fin d’année et la nouvelle année 2020. Créateur atypique à l’époque des impressionnistes (il est l’ami de Manet dont il croque le profil à plusieurs reprises), Edgar Degas (1834-1917), célibataire endurci, fils de banquier, observe, analyse et réinterprète la réalité ; celle de Paris, du Second Empire à la IIIè République, réussissant là où on ne l’attend jamais. Il réussit très tôt comme portraitiste. Son dessin dans la suite d’Ingres sait condenser l’expression, la situation, l’essence d’une présence.
LA FOSSE ET LE BALLET PLUTOT QUE LA SCENE LYRIQUE… Le musée d’Orsay s’intéresse à son travail à l’Opéra de Paris. Pas une seule représentation d’un ouvrage lyrique, aucun chanteur d’opéra (pourtant le baryton vedette Jean-Baptiste FAURE lui commandera nombre de peintures sur le thème de l’opéra)… ce qui intéresse le peintre ce sont des portraits quasi instantanés de musiciens, dans la fosse de l’orchestre de l’opéra de Paris, Salle Le Peletier puis Opéra Garnier ; des moments de spectacles… toujours liés à la présence des danseuses du Ballet de l’opéra. Elles sont d’ailleurs davantage en répétitions, corps éreintés, en tension – rarement déployées, aériennes… plutôt dans une pause, après l’effort, reprenant dans des poses cassées, douloureuses, un semblant de souffle et d’élasticité.
4 clés révélées pour mieux comprendre
l’exposition DEGAS à l’OPERA…
DANSEUSES ÉREINTÉES… Il en découle nombre de tableaux et dessins fixant les traits d’instrumentistes (violoncellistes, bassonistes, et même guitariste avec dans ce cas le seul et rare portrait de son père tant aimé, mais déjà vieux et fatigué, qui encouragea toujours les efforts de fils artiste), surtout de danseuses avec tutu, éreintées donc, au comble de l’effort ; esclaves modernes d’un divertissement devenu épreuves permanentes. Rares les figures heureuses et épanouies. Même son grand portrait (le plus grand format exposé dans ce genre) de la danseuse Eugénie Fiocre, souvenir du ballet la Source, est rêveuse, absente : songe-t-elle à un autre monde que celui fatiguant voire plus, de la danse et du spectacle à l’opéra ? Il est certain qu’elle a retiré les chaussons et les pointes, pour reposer ses petits pieds fatigués. Belle image d’une jeune âme déjà éprouvée, nostalgique d’un milieu qu’elle ignore…
Car Degas, peintre audacieux, aux cadrages inédits, parfois déconcertants, mais très inspirés de la photographie (qu’il pratique), épingle une réalité tout autre ; celle des abonnés en hauts de forme, éperviers noirs, prédateurs sexuels qui dans les coulisses séduisent et monnayent les charmes des belles nymphes chorégraphiques. Tout est représenté dans ce réalisme certes esthétique mais tout autant sociologique. Même les mères des jeunes filles, jouent volontiers les entremetteuses, prêtes à tout pour extraire quelques pièces de ce rapprochement abonnés / danseuses, guère candide.
CORPS, FORMES, MATIERES… En définitive, maître de son crayon et des couleurs, Degas, contemporains et proche des impressionnistes, peint l’abstraction avant l’abstraction. Comme esthète, Degas tire ces corps vers le haut et le beau idéal : le corps de la danseuse lui rappelle l’équilibre de la plastique grecque antique. On ne saurait mieux faire du moderne dans le souvenir de l’ancien. C’est qu’il est diablement cultivé ; aimant copier les peintures du Louvre comme aucun autre avant lui… Degas s’émancipe bientôt, multiplie les techniques, libère son coup de crayon, de plus en plus sûr et synthétique, des dessins aux monotypes, jusqu’aux traits noirs sur papier calque, où l’architecture du corps préfigure les Matisse et les Mondrian à venir. En 1900, les figures ne sont plus lignes mais matière iridescentes, qui se décomposent comme par implosion à travers les couleurs « orgiaques » des pastels. C’est que le sujet intéresse autant l’artiste que la réflexion sur la forme qu’il autorise.
Ainsi pendant près de 40 années, des années 1960 au début des années 1900, Degas note, dessine tout ce qu’il voit et bouge à l’Opéra. Le théâtre est devenu sa « chambre à lui ». Un atelier, un laboratoire aux resources et réserves de motifs, infinies. Salle et scène, loges, foyer et salle de danse – sont les lieux de cette quête de la forme qui danse, dans un espace de plus en plus abstrait.
LYRICOPHILE, DEGAS divinise la jeune DANSEUSE…. Evidemment il y a explicité le goût de Degas à l’opéra (Sigurd de Reyer, applaudie 30 fois !), ceux qui l’ont introduit dans l’institution (son ami le librettiste et compositeur Halévy)… au centre de l’exposition, manifestation la plus aboutie de cette recherche d’absolu autour du thème de la danseuse, la sculpture hyperréaliste de la Petite Danseuse de 14 ans (entre 1865 / 1881) avec son vrai tutu en tulle et son ruban de satin rose dans les cheveux de bronze : en une effigie, Edgar Degas peintre et observateur devenu sculpteur, est le Pygmalion de sa propre quête : il adore son œuvre ainsi personnifiée ; il portraiture la danseuse idéale (les pieds en quatrième position), adolescente et jeune fille, (en réalité un vrai modèle qui a posé dans son atelier : Marie van Goethem) sujet de tous les regards et de tous les fantasmes d’alors : une Salomé statufiée, troublante et bouleversante. C’est de toute évidence, dans la position du corps qui reste digne et pudique, mystérieux même, un hommage du peintre à son modèle, son intégrité sanctuarisé, fière et énigmatique, divinisé, malgré la réalité crue et sexuellement infecte qui régnait alors dans les coulisses de l’Opéra de Paris. Passionnant.
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EXPOSITION : Degas à l’Opéra. Paris, Musée d’Orsay. Jusqu’au 19 janvier 2020.
Du 24 septembre au 31 décembre : du mardi au dimanche et fêtes de 9h30 à 18h, nocturne jeudi fêtes jusqu’à 21h45. Fermé le 25 décembre. ; Du 1er janvier au 19 janvier 2020 : du mardi au dimanche et fêtes de 9h30 à 18h, nocturne jeudi fêtes jusqu’à 21h45.
Musée d’Orsay
1 rue de la Légion-d’Honneur
75007 Paris
Du mardi 24 septembre 2019 au dimanche 19 janvier 2020
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