vendredi 6 décembre 2024

PARIS, 1801. Quand la Flûte enchantée devient les Mystères d’Isis

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ARTE : La Campagne d'Egypte de BonapartePARIS, 1801. A l’heure du retour de la campagne d’Egypte, grâce à laquelle le général Bonaparte se taille une solide réputation de génie militaire, civilisateur et triomphateur, soit un Alexandre moderne, Paris cultive un nouveau goût qui met en avant l’Egypte et ses mystères raffinés. L’orient s’invite ainsi dans l’Hexagone, à l’heure du néoclassicisme romantique… En musique, l’Egypte croise le destin de deux compositeurs qui nous paraissent emblématiques. Henri Joseph Rigel est bien connu des lecteurs de classiquenews : c’est lui qui entre le baroque tardif et le pré classicisme à l’époque des lumières ose des alliances de timbres audacieux comme composer pour la première fois pour le clavecin et le pianoforte, nouvelle équation sonore et miracle esthétique révélés récemment (octobre 2016 à Rio de Janeiro, Brésil) par le duo Bruno Procopio et Natalia Valentin… VOIR NOTRE VIDEO EXCLUSIVE RIGEL : SONATE POUR CLAVECIN ET PIANOFORTE

 

 

 

Le fils de Henri Joseph, Henri Jean Rigel, né le 11 mai 1772 à Paris et mort le 16 décembre 1852 à Abbeville, est lui aussi compositeur.Musicien d’origine Souabe, pianiste et compositeur actif, Henri Jean . Il rejoint d’abord l’école royale de chant, puis enseigne ensuite au Conservatoire, dès sa création, en 1795.
Il fait partie de l’expédition d’Égypte, et  donnera deux opéras comiques au Caire en 1801. En 1805, Napoléon le nomme pianiste de la musique particulière de l’Empereur, et Louis XVIII le confirma dans cette fonction.Pédagogue célèbre et recherché, Henri Jean Rigel compte dans sa classe César Franck parmi ses élèves.

 

 

 

De Vienne, 1791 à Paris, 1801
DE LA FLUTE ENCHANTEE DE MOZART AUX MYSTERES D’ISIS

 

 

Schinkel, décor FLute enchantee mozart 1815Créé et particulièrement applaudie en 1791 à Vienne, Die Zauberflöte / la flûte enchantée ne sera entendue à Paris que 10 ans plus tard, dans une adaptation française. Pour satisfaire au goût de la France nouvellement bonapartiste, romantique et ayant réalisé sa campagne d’Égypte alors très récemment (1798-1801), il est décidé de Re écrire tous les textes, revoir l’ordre des airs, je ne emprunter de nouveaux à d’autres opéras de MOZART dont Don Giovanni, et les tessitures sont modifiées selon l’idée que l’on se fait en 1801) des personnages.

Le Théâtre de la République et des Arts (future Académie impériale de Musique) exige l’usage du français, des récitatifs accompagnés et des ballets. Sous le pilotage de Ludwig Wenzel Lachnith , les autorités françaises approfondissent leur propre conception du théâtre Mozartien selon le goût dominant au sein des élites, ce Retour d’Égypte qui stigmatise une première vague passionnelle pour les mystères de la t’inquiète égyptienne.

Né à Prague en 1746, Lachnith vient à Paris en 1773 pour se perfectionner dans le jeu du cor. Il étudie ensuite la composition auprès de François-André Danican Philidor, tout en enseignant le clavecin. Ayant quitté Paris pendant la terreur de 1790, il revient en France en 1801 à l’Opéra comme « instructeur » et amorce ce travail de réécriture de La flûte enchantée rebaptisée Les Mystères d’Isis.

Fuyant Paris encore en 1802, il y revient définitivement en 1806. Il s’éteint en 1820, laissant 24 symphonies, 3 concertos (pour cor), trois ouvrages lyriques, deux autres pastiches / assemblage (les oratorios de Saul, La Chute de Jéricho), de la musique de chambre, une méthode de forte-piano.

N’en déplaise au jaloux Berlioz, que l’idée de dénaturer ainsi son cher Mozart, hystérise au plus haut point, Les Mystères d’Isis connaissent immédiatement un immense succès à Paris, puis en province

Hector agacé témoigne :”l’arrangeur mit, à côté du nom de Mozart, son nom de crétin, son nom de profanateur, son nom de Lachnith ». Aujourd’hui les puristes rejoignent le sentiment très violent de Berlioz face à ce qui s’apparente à un jeu de massacre dénaturant la source Mozartienne. Qu’on en juge: parfois la musique air ou récitatif sont toujours bonnement déplacés, réintégrés dans un nouvel enchaînement jugé plus cohérent :ainsi  Pamina chante le premier air de la Reine de la Nuit, sans ses contre-fa mais avec un contre-ré.  Myrrène (la Reine de la Nuit version mezzo) chante un air de Vitellia extrait de La Clemenza di Tito, et un autre de Donna Anna de Don Giovanni ; ailleurs « Fin ch’han dal vino » de Don Giovanni devient un trio pour basse et sopranos ! C’est donc Mozart qu’on assassine. Mieux l’adagio de la symphonie n° 103 de Hayon inspiré un nouvel intermède introduisant l’acte IV.

 
 

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Isis, déesse protectrice et salvatrice, mère réconfortante dans la religion égyptienne : ici elle est associée à la vache Hathor, dont elle porte les cornes associées au disque solaire, symbole de résurrection finale. Isis aidé de sœur Nephtys, recouvre le corps de leur époux défunt Osiris, dépecé, morcelé par son frère l’odieux Seth. Les deux divinités protectrices assurent la reconstitution du corps défunt, le régénèrent, et lui assurent sa résurrection. Isis est donc la divinité essentielle du culte d’Osiris qui proclame la possibilité pour chacun de triompher de la mort. Sur la scène, les Mystères d’Isis de 1801 n’intègrent en rien la croyance osirienne ainsi révélée. Champollion ne déchiffrera les hiéroglyphes qu’en… 1822.

 
 

isi-et-osiris-resurrection-des-morts-classiquenewsSur le plan dramatique l’arrangeur à simplifié l’intrigue en lui retirant certains éléments originaux : exit le dragon, la flûte (!!!) , le cadenas, plus d’enfants ni de Monostatos ou d’Orateur. Les scènes s’enchaînent avec clarté mais sans surprise. Myrrène (la reine de la nuit nouvelle version) est valorisée et même rendue sympathique car elle a perdu sa fille qui a été enlevée pour éprouver Isménor (Tamino) à la demande de Zoroastre, le père décédé de ce dernier. Mieux l’entité féminine, hystérique chez Mozart (vocalises à l’appui) se réconcilie avec Zarastro et offre elle-même la main de sa fille à la fin de l’opéra. Le personnage de Mona (Papagena) est réévalué : elle chante l’air de Monostatos et reprend le duo avec Bochoris extrait des Nozze di Figaro. De façon générale, le texte de Morel de Chédeville souffre de banalités convenues. Ainsi les parisiens découvrent-ils partie du matériel musical de La Flûte enchantée de Mozart en 1801. Pas d’Isis dans la liste des personnages, mais campagne d’Egypte oblige, – et Bonaparte s’étant fait une légende et une réputation grâce à sa conquête (certes éphémère) en terre des Pharaons-, citer le nom de la déesse dans le titre du nouveau spectacle, et susciter cet imaginaire d’un exotisme antique fabuleux, était nécessaire pour attirer les foules. De fait, Les Mystères d’isis connurent un succès immédiat. Illustration : Isis, ailes déployées, protège son époux Osiris et lui assure sa résurrection finale, triomphateur de la mort (DR)

 

 

Les Mystères d’Isis, 1801
D’’après La Flûte enchantée et d’autres opéras de Wolfgang Amadeus Mozart – Arrangé par Ludwig Wenzel Lachnith
Livret d’Étienne Morel de Chédeville

 

 

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Danloux portrait de ejuen homme vers 1800 896240b980625c48b125d8722e92777aBIOGRAPHIE de l’arrangeur. Ludwig Wenzel Lachnith. Né à Prague en 1746 (soit dix ans avant Mozart), ce corniste de formation et compositeur influencé par Haydn et Pleyel s’installe en 1773 à Paris, où sa musique est jouée aux concerts de Marie-Antoinette. Après avoir traversé quelques difficultés au cours de la Terreur, il vivote dans la capitale de menus travaux pédagogiques et d’arrangements musicaux réalisés pour les théâtres parisiens. Non sans opportunisme et pour s’assurer une rentrée d’argent, il accepte d’être embauché par l’Opéra en 1801, pour adapter l’ouvrage de Mozart, La Flûte enchantée afin d’en déduire une nouvelle oeuvre dans le goût égyptien, propre aux années du retour d’Egypte. Le succès est certain puisque ses Mystères d’Isis tiennent l’affiche pendant près de trente ans : soit plus de 130 représentations jusqu’en 1827. Portrait évocatoire : Jeune homme par Danloux (vers 1800 / DR).

 

 

 

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