jeudi 18 avril 2024

Opéra vu à la télé. Verdi: Don Carlo (Scala, 2008) Arte, dimanche 7 décembre 2008. Braunschweig, Gatti

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Opéra

Vu à la télé

Verdi: Don Carlo

Arte, dimanche 7 décembre 2008
(en léger différé)

Vocalité terne

A Milan, Scala oblige, on ne fait jamais rien dans la simplicité. Pour la Saint-Ambroise, Saint patron de la ville, le temple de l’art lyrique italien inaugure sa nouvelle saison, en hiver, chaque 7 décembre, a contrario de tous les autres théâtres européens qui lancent leur nouveau cycle chaque mois de septembre… avec la rentrée scolaire et la reprise économique.
Avec Don Carlo, en léger différé de la Scala, Arte met donc l’accent sur une production d’autant plus attendue que l’ouvrage est l’un des plus forts dramatiquement de Verdi, parsemé d’éclairs et de confrontations, où les enjeux de pouvoir, les alliances et les influences politiques écrasent littéralement les pauvres et dérisoires aspirations individuelles.

Sur la scène scaligène, le luxe est inouï! Nous ne sommes pas dans la capitale de la mode pour rien. La beauté des costumes (conçus par Thibault van Craenenbroeck) sortis directement de meilleurs tableaux du Titien (lequel a peint et Don Carlos et le roi Philippe II) ressuscite la sobre mais raffinée cour de la Renaissance ibérique. D’ailleurs la caméra cible en plans serrés chaque détail des costumes… Car il faut bien amuser le tout Milan dont le footballer David Beckham en personne. Et faire de la soirée milanaise du 7 décembre, un rendez vous jet set et mondain particulièrement prisé. Malheureusement, ce qui se passe sur scène frôle le vide et le terne, l’ennui et la … misère vocale.
Aucun des chanteurs ne parvient à se hisser à la hauteur des personnages de l’action: chant contraint, dépassé, parfois de bonne exécution, mais d’une fadeur de ton, bien peu articulé et sans aucun frémissement ni suavité. Stuart Neil est un Carlos placide, sans nerf; Dalibor Jenis, un Posa qui ne maîtrise pas l’abattage de son texte; même l’efficace mezzo Dolora Zajick, est une Eboli qui tient toutes ses notes mais sans grâce… est ce suffisant pour l’affiche de la Scala et son ambition d’être sous le feu déclaratif de Lissner, l’une des meilleures scènes lyriques au monde?
Sauf Philippe II: Ferrucio Furlanetto campe un souverain terrifié, solitaire et soupçonneux, tendu et crispé, dans la terreur de Dieu et du Grand Inquisiteur. La misère de cet homme soumis à la loi intégriste d’un homme d’église est palpable et son duo avec le fondamentaliste demeure l’épisode le plus frappant. Pour le reste, on ne croit jamais à la délicate relation amoureuse entre l’Infant Carlo et Elisabeth de Valois (trop lisse et même usée Fiorenza Cedolins: l’interprète est bien trop mûre, et de voix et de physique pour incarner la jeune princesse française!). Ce choix paraît discutable d’autant que la mise en scène de Stéphane Braunschweig qui convoque une double action en arrière scène, comme le miroir rétrospectif d’un état d’enfance et d’insouciance perdu, voudrait s’intéresser, surtout, à la profondeur psychologique des individus. Or de finesse de caractères, l’auditeur et le spectateur restent dépossédés… face à un spectacle prétentieux, et artistiquement, bien faible. Même le jeu des acteurs reste sommaire, superficiel, renouant avec des ficelles gestuelles totalement désuètes.

Fosse féline

Tout cela aurait tourné au fiasco sans… l’orchestre et le muscle félin qu’y apporte le chef Daniele Gatti, depuis directeur musical du National de France. La mestro est la vraie star de la soirée: baguette détaillée et dramatique. Les éclairs et les solitudes extatiques des personnages sont à l’orchestre. Tout est dans la musique. Quant au spectacle, il reste indigne d’une grande maison comme La Scala. car les chanteurs verdiens existent. Il aurait fallu les trouver pour réussir et embraser vocalement dans la maison auto-proclamée du chant italien, ce chef d’oeuvre verdien.

Verdi: Don Carlo. Milan, La Scala. Jusqu’au 15 janvier 2009.
Avec Ferruccio Furlanetto/Matti Salminen (Filippo II), Stuart Neill (Don Carlo), Dalibor Jenis/Thomas Johannes Mayer (Rodrigo), Anatolij Kotscherga/Matti Salminen (Il grande inquisitore), Diogenes Randes/Gabor Bretz/Petri Lindroos (Un frate), Fiorenza Cedolins/Micaela Carosi (Elisabetta di Valois), Dolora Zajick/Anna Smirnova (La principessa d’Eboli), Carla Di Censo/Roberta Canzian* (Tebaldo), Cristiano Cremonini/Ki Hyun Kim (Conte di Lerma), Carlo Bosi/Ki Hyun Kim (Araldo reale), Irena Bespalovaite/Julia Borchert (Voce dal cielo), Filippo Bettoschi, Davide Pelissero, Ernesto Panariello, Chae Jun Lim, Alessandro Spina, Luciano Montanaro (Deputati fiamminghi). Chœur et Orchestre de la Scala de Milan, Daniele Gatti (direction musicale)
Stéphane Braunschweig (mise en scène et décors), Alexandre de Dardel (assistant aux décors), Thibault van Craenenbroeck (costumes), Marion Hewlett (lumières).

Illustration: Elisabeth et Philippe, deux individus, emportés, sacrifiés par le souffle de l’histoire (DR)

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