Événement lyrique de mars 2024 : l’Opéra de Massy présente une création pour soprano et ensemble instrumental d’après l’œuvre théâtrale « Und » d’Howard Barker. Proche de la forme épurée, intense de la Voix Humaine de Poulenc et Cocteau, le drame lyrique de Daniel D’Adamo met en scène une seule chanteuse, aux prises avec les tourments amoureux, quand le désir et l’attraction se jouent de la raison… Elle est seule et celui qui se fait attendre, toujours hors scène, mais présent. Jusqu’à l’obsession.
Und attend quelqu’un. Il est en retard. Elle est suspendue à ce temps hors du temps. La cloche sonne. Est-ce lui ? S’agit-il d’une histoire d’amour ou d’un combat à mort ? Und habite l’attente par le langage, tandis qu’au dehors le monde se fait de plus en plus oppressant, … surgissent alors ses contradictions les plus intimes et radicales.
Und est une symphonie en solo, un monologue où chacun des mots se répercute et résonne dans la partition. L’écriture poétique et brutale d’Howard Barker, la musique puissante de Daniel D’Adamo, tracent le parcours suspendu, à la fois irréel et magnétique d’une femme qui se transforme ; à la fois victime et instigatrice, elle interroge, analyse, provoque, … Daniel D’Adamo tisse une matière sonore adapté à ce parlé-chant dont il relance continument l’intranquillité, la fragilité, le déséquilibre… Aimer, c’est se détruire ou se (re)construire ? C’est aussi, en filigrane, l’histoire d’une des plus grandes tragédies contemporaines qui se prépare à entrer dans le Mythe. Photo : © J Jung
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CRÉATION : Und de Daniel d’Adamo
Julie Delille / TM+
[Monodrame contemporain – création]
1 représentation à l’Opéra de Massy
Vendredi 1er mars 2024 – 20h
Réservations directement sur le site de l’opéra de Massy :
https://billetterie.opera-massy.com/selection/event/date?productId=10228662242331>mStepTracking=true
Informations :
https://www.opera-massy.com/fr/und.html?cmp_id=77&news_id=1008&vID=3
DURÉE : 1h15 sans entracte
TARIFS : Cat.1 normal 20€ | massicois 15€ / Cat. 2 normal 15€ | massicois 11€ / Cat. 3 normal 11€ | massicois 8€ / -18 ans : -50% | étudiants : 10€
Julie Delille, extrait de la note d’intention :
Und est une femme qui attend
Entité, figure ou … Immobile,
Debout, au milieu d’un désastre.
Und est une réponse en forme de question
Obscurité, absurdité et arbitraire peuplent son monde
d’infra-vie, d’outre-tombe, d’imperceptibles mouvements.
Barker ébauche et dessine les contours d’une figure féminine enfermée
Victime ou tortionnaire : prisonnière de sa propre situation
Und se débat et ce faisant, resserre les liens qui l’entravent.
(…)
La parole-chant qui se déploie alors dans l’espace est ce qui survit, l’art est ce qui reste. Comme le mythe reste dans les mémoires.
Daniel D’Adamo – A propos de la musique de Und :
Und est seule sur scène.
Ce et ceux qui l’entoure(nt) ne sont présents que par le son, par la musique. Elle peut se faire amant, lieu, destin : elle est le dehors.
Mais le son est aussi le dedans : il s’incarne dans sa voix, dans sa relation à l’invisible, dans son mystère, dans les états qu’elle traverse.
La musique est à la fois accompagnement et menace : le péril est sonore.
Entendre Und signifie entrer dans un rythme fait de densités frénétiques et d’espacements extrêmement fragiles. Un va et vient, un balancement entre deux états de sa parole-chant.
Le flux sonore de Barker est terrifiant. Il constitue l’axe de la musique de Und : rythme, mécanicité, textures menaçantes, circularités obsessionnelles, parfois à peine un son fragile et minuscule, suivi de…
Comme la ligne imaginaire qu’Und semble parcourir éternellement, le fil musical se tend entre l’irréel et le réel, la vie et la mort, en équilibre transitoire et fragile traversant les mondes.
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Aller plus loin / conférence
Ven. 1er mars à 19h, par Laurent Cuniot
(directeur musical de TM+, ensemble en résidence à l’Opéra de Massy)
critique
NOTRE CRITIQUE : LIRE notre critique complète de UND, opéra de Daniel D’Adamo d’après Howard Baker, création mondiale le 1er mars 2024 – par Alexandre Pham : https://www.classiquenews.com/critique-opera-opera-de-massy-le-1er-mars-2024-daniel-dadamo-und-creation-mondiale-gaelle-mechaly-tm-laurent-cuniot-direction-julie-delille-mise-en-scene/
entretien
ENTRETIEN avec le compositeur DANIEL D’ADAMO à propos de son nouvel opéra UND, en création à l’Opéra de Massy (mars 2024)
Daniel d’Adamo DR
CLASSIQUENEWS : Quels sont les éléments qui vous ont intéressé dans la pièce originelle et que vous avez particulièrement souhaité conserver dans votre ouvrage ?
DANIEL D’ADAMO : Parmi tous les sujets présents dans la pièce de Barker, j’ai été tout de suite attiré par ceux qui ont un rapport avec le son. Ils matérialisent la menace extérieure. Ce sont des sons de cloches, de vitres brisées, de coups sur la porte d’entrée … Autant de matières avec lesquelles générer une partie électroacoustique que je voulais diffuser autour du public et l’installer alors, dans une situation menaçante. Cette hypothèse présentait un potentiel dramaturgique puissant.
Le fait qu’il s’agisse d’un monologue a été aussi un point du texte qui m’a séduit. La possibilité de composer un opéra pour une chanteuse, une femme seule sur scène, pouvait donner à ce projet une très grande force. J’avais déjà composé un monodrame scénique et cette forme si particulière, m’attire.
Aussi, la structuration rythmique, la musique qui est déjà présente dans le texte à travers le style et la technique d’écriture de Barker, ont fonctionné pour moi comme un hameçon : j’ai tout de suite entendu le potentiel musical qui est présent dans son travail.
Puis, il y a un aspect qui est central dans UND, qui est celui de l’ambigüité et qui traverse littéralement toute la pièce. Non seulement la situation que nous présente Barker est ambiguë, mais les actions et les décisions que UND prend, le sont aussi. Elle est mise en permanence face à des contraires : l’amour et la haine, la douceur et la furie, la vie et la mort. Elle semble comme emprisonnée par des contraires, enfermée entre des situations extrêmes. Cela est produit par le contexte dans lequel elle se trouve, qui est d’une très grande violence. Barker nous met devant une situation impossible, contradictoire, catastrophique. Travailler avec des éléments contraires, opposés, présente un potentiel musical certain. Je pouvais ainsi naviguer entre la continuité et la rupture, jouer avec la stabilité et le basculement, l’expressivité et le statisme, composer le presque vide et le presque plein.
Un autre aspect important est l’utilisation que fait Barker du principe de retour. Certains thèmes du texte sont traités comme des leitmotivs qui sont systématiquement variés. Ainsi, Barker leur donne un poids particulier et renouvelle le sens qu’il projette à chaque apparition. La force qu’il déploie est alors cumulative : cette technique est une technique de composition musicale. Barker ne le sait peut-être pas, ou il ne le voit pas comme je le vois, mais il sait faire de la musique, il sait composer. Et il le fait très bien !
CLASSIQUENEWS : Quel rôle joue la musique et comment avez-vous conçu l’instrumentarium ?
DANIEL D’ADAMO : Il m’a semblé important que la musique incarne à la fois toutes les facettes de UND – ses pensées, ses hésitations, ses passions, ses résolutions, ses ambiguïtés – mais aussi le contexte dans lequel la situation se déroule.
Barker fait des choix extrêmement précis dans la manière avec laquelle il structure ses écrits. Il y développe de nombreux phénomènes qui sont liés à des processus musicaux. Barker écrit comme s’il composait, comme s’il chantait, criait, récitait, comme s’il jouait d’un instrument de musique : une batterie ou de la percussion. Son écriture est rythme, intonation et son. Cela facilite la manière de faire chanter son écriture, la manière d’entonner chaque mot prononcé par UND et de représenter musicalement la temporalité dans laquelle Barker les énonce.
Les instruments suivent et prolongent en permanence le chant de UND. L’écriture assume le sens et la résonance de ses paroles. Dans La Haine de la musique Pascal Quignard rappelle Lucrèce, qui dit que « tout lieu à écho est un temple », c’est-à-dire un espace construit pour et par la parole, par la musique et le chant, mais aussi par l’écoute. C’est de cette manière que j’ai construit l’espace musical et sonore de cet opéra, par le prolongement musical et instrumental de la voix. Les instruments ont été choisis pour pouvoir réaliser cette idée.
UND est menacée par la musique et par les sons qui viennent du monde extérieur. Pour accentuer ce danger, j’ai compris que tous les instruments de l‘ensemble devaient jouer constamment, que je ne devais pas composer des duos, trios, quatuors, etc. Mais que la présence sonore et musicale de tous les instrumentistes devait traverser tout l‘opéra.
CLASSIQUENEWS : Quelle trajectoire suit le flux musical ? Y a-t-il un point de bascule, un moment clé dans l’œuvre ?
DANIEL D’ADAMO : Comme UND le fait sur scène, la musique se dévêt au fur et à mesure que l’œuvre avance. UND se dépouille, elle perd ses vêtements, elle perd sa peau. La musique fait alors de même : elle avance lentement vers un dépouillement. Ceci se traduit à la fois par la présence de ce que j’appelle des ossements sonores, quand la musique ne garde alors que l’essentiel, ce qui reste ; et par une grande profondeur musicale, au niveau même des tessitures et des sonorités utilisées. Dans ce contexte, qui a aussi un côté terrifiant, le chant devient très expressif et à la fois doux et fragile. Cela donne un caractère très particulier au dernier tiers de l’opéra.
Le chant évolue lentement tout au long de la pièce. Le chant plus syllabique et scandé du début, qui est marqué par les ordres violents que UND donne à ses domestiques, va se transformer en un chant fait de lignes plus continues et expressives. UND reste progressivement seule, elle est abandonnée. Elle traverse lentement la scène de jardin à cour. Elle est flanquée par des chiens en grès, dont nous ne savons pas s’ils la protègent ou s’ils la menacent. Ils tracent le chemin que UND parcourra. Ce chemin est un terrain de bascule : au bout, il y a un dénouement ou un éternel recommencement. Mais UND peut aussi en permanence tomber d’un côté ou de l’autre de ce fil. Elle pourra alors être enfin protégée ou définitivement dévorée. Ce fil est tendu d’un bout à l’autre de la pièce par la musique.
L’opéra est impacté par le jeu de douze coups de cloche : ce sont les douze fois que l’amant-bourreau sonnera à la porte, ce sont aussi les douze chiens qui flanquent UND sur la scène qui sont subitement éclairés à chaque coup de cloche, ils prennent vie. Ces cloches ont des fréquences qui varient et qui structurent la musique qui les suit.
Il est aussi question de la présence constante d’un rôdeur. Lors de ma rencontre avec Howard Barker chez lui dans le sud de l’Angleterre, il m’a parlé de cette présence tournant autour de la maison de UND. L’interprétation qu’il a faite de son propre texte m’avait alors beaucoup frappé. Cette menace est souvent traduite dans la partie électroacoustique de la pièce qui, comme les cloches et autres bruits extérieurs, est diffusée autour du public : ce monde sonore doit concerner directement l’auditeur et le mettre également sous une forme de menace. Le récit de UND est notre propre récit.
CLASSIQUENEWS : De votre point de vue, la musique permet-elle de clarifier le texte, c’est à dire de donner un sens à la fin ?
DANIEL D’ADAMO : Quand UND donne des ordres à des domestiques invisibles, la musique ordonne avec elle. Elle suit chacune des syllabes qu’elle prononce. Non comme un double, mais comme un amplificateur de sens : ses ordres sont projetés de manière d’autant plus forte qu’ils sont alors augmentés par les instruments. Quand UND rit ou pleure, ses rires et ses pleurs deviennent musique. La musique suit à la trace les états de UND et les matérialise. Comme elle bascule en permanence entre différents états d’âme, souvent totalement contrastants, cela se reflète dans la dynamique musicale. Cette dynamique changeante, caractérise la forme de la pièce.
Un moment terrible arrive vers la fin de l’opéra, un énorme fracas, un bruit de masse qui tente de démolir la porte de la maison et qui sonne – peut-être – la fin de UND. Mais c’est le chant sur le mot « Nous » qu’elle répète trois fois dans sa tessiture medium-grave, qui se confond volontairement dans le son de l’ensemble et qui persistera à la toute fin de la pièce : encore une porte qui s’ouvre vers de nouveaux questionnements, de nouvelles ambiguïtés si chères à Barker.
CLASSIQUENEWS : Comment se situe Und à ce moment de votre travail ? Y aura-t-il une suite, un prolongement dans cette voie ?
DANIEL D’ADAMO : UND arrive à un moment important de mon parcours où j’ai progressivement développé les matériaux et les outils qui construisent aujourd’hui mon langage musical. La pièce de Barker est une pièce très forte, mais aussi complexe dans son écriture. J’ai évoqué plus haut l’élaboration de sa forme, mais je pourrais aussi parler de sa syntaxe, qu’on doit parfois interpréter et compléter nous-mêmes lors de la lecture. Barker n’utilise pas les points ou les virgules, ne finit pas certaines phrases : il sait suggérer et provoquer en nous, lecteurs, un engagement radical. Je suis heureux d’avoir abordé ce texte exigeant et de l’avoir déplacé sur le terrain de la musique et de l’opéra.
Le travail de réflexion et d’élaboration que nous avons fait avec Julie Delille a été crucial dans le cheminement musical du texte. Julie m’a beaucoup apporté à travers son positionnement tant esthétique, que théâtral et politique face à cette pièce implacable. Est venue ensuite l’étape du travail avec Gaëlle Méchaly, pour qui j’ai en partie composé et ajusté la partie vocale en tenant compte de ses immenses qualités de chanteuse et d’artiste. Tout cela est présent dans la musique de UND.
La composition d’un opéra est le fruit d’échanges et de collaborations. Travailler en équipe est une aventure extraordinairement riche que j’aimerais pouvoir poursuivre rapidement dans le cadre d’un nouveau projet scénique, peut-être dans un format plus grand. Howard Barker m’avait parlé d’un livret d’opéra qu’il a écrit récemment. Il vient de me l’envoyer par e-mail. Je vais m’y plonger tout de suite !
Parallèlement, je vais poursuivre mes recherches sur des pièces susceptibles d’être adaptées à l’opéra. J’ai été tenté par la pièce de Bernard-Marie Koltès Combat de nègre et de chiens qui a un potentiel musical et scénique fabuleux. Tout ceci est à mûrir et à poursuivre, mais oui : j’ai besoin de pouvoir prolonger mon travail sur l’opéra.
CLASSIQUENEWS : Pourquoi ce titre ?
DANIEL D’ADAMO : L’opéra reprend le titre original de la pièce de théâtre. Je n’ai pas posé la question à Barker lui-même sur le pourquoi de son titre, qui est assez énigmatique, en effet. Il existe plusieurs interprétations à son sujet. Certains le voient comme un trait d’union entre deux mondes qui, s’ils sont fatalement liés, resteront toujours antagoniques. L’espace entre ces deux mondes est le fil que UND traverse. La question que vous posez, n’a peut-être pas de réponse. Mais la poser, se la poser, ouvre alors des voies et laisse les questionnements ouverts. Cela alimente l’ambiguïté du récit : c’est du Barker.
Propos recueillis en mars 2024