vendredi 19 avril 2024

Mozart. Les Noces de Figaro : partition des Lumières, opéra des femmes ?

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Mozart / Da Ponte : modernité des Noces de Figaro. En pleine période dite des Lumières, au moment où Paris et la Cour de Versailles sous l’impulsion de Marie-Antoinette vivent leurs heures artistiques les plus glorieuses, Mozart et Da Ponte conçoivent en 1786, Les Noces de Figaro. Premier volet d’une trilogie exemplaire dans l’histoire de l’opéra, qui est l’enfant d’une collaboration à quatre mains aux apports irrésistibles, l’ouvrage poursuit sa carrirèe sur les scènes du monde entier : c’est que sa musique berce l’âme et son livret, excite l’esprit par leur justesse combinée, accordée, idéalement associée. Un mariage parfait ? Figaro et Suzanne, c’est le couple de l’avenir : celui des héros de la révolution. En eux coule pur, le sang de la justice et de la liberté, les valeurs indépassables de l’esprit des Lumières qui devait produire la déclaration universelle des droits de l’homme. C’est dire. Suivons pas à pas, à travers chaque acte, les thèmes que les deux acteurs modernes défendent. En somme, voici l’œuvre d’un Mozart libertaire et moderne, soucieux de dénoncer les excès de son époque pour l’avènement de la société idéale : celle des hommes égaux, justes, responsables, respectueux. Mais où le pouvoir du désir ne serait-il pas l’élément le plus dangereux ?

 

 

 

Mozart : Les Noces de Figaro. L'opéra des femmes ?

 

 

Le couple des Lumières

Et pourtant, sa claire conscience ne peut empêcher aussi de constater l’oubli des hommes à ce qu’ils doivent être : la folie, le désir, l’agitation ont tôt fait de ruiner tout équilibre, et l’on sent bien qu’au terme de cette aventure lyrique, c’est le dieu théâtre qui triomphe : sa flamme et son flux incontrôlable, sa tentation perpétuelle du chaos.

 

 

 

Acte I : Les serviteurs se rebiffent. Figaro découvre que Le Comte ne cesse de harceler sexuellement sa future épouse, Suzanne. C’est l’enjeu de la première scène et du duo entre les deux serviteurs : Mozart et Da Ponte militent donc pour l’égalité de tous et dénoncent le droit de cuissage (droit du seigneur sur ses servantes) que veut appliquer le Comte, leur maître. Contre leur émancipation et leur union, se dressent ensuite le couple des intrigants : la vieille Marcelline et le docteur Bartolo venus se venger de Figaro… Puis quand surgit Cherubino, c’est Cupidon qui s’invite au banquet social : plus de serviteurs ni de maîtres, l’amour vainc tout et rend égaux tous devant la force du désir. Ainsi si le Comte s’éprend de Suzanne, si le jeune Cherubino  dévore des yeux la Comtesse, c’est dans la fable, pour mieux souligner le pouvoir de l’amour. En espérant baillonner l’attrait de ce Cupidon dangeureux à sa cour, le Comte l’envoie dans l’un de ses régiments, sur un autre front, hors des antichambres du château.

Acte II : Piéger le Comte. L’un des airs les plus mélancoliques et sombres de Mozart (« Porgi amor » : La Comtesse y exprime ses illusions et ses rêves perdus, quand jeune fille, Rosina, elle était aimée du Comte) ouvre le II. Pour se venger du Comte libidineux, Figaro propose de le piéger, dénoncer son inconstance déloyale, le surprendre en séducteur éhonté de Suzanne. Sommet de ce jeu de dupes, le trio « Susanna or via sortite ! », entre le Comte, la Comtesse et Suzanne), une scène qui exploite au mieux le déroulement dramatique conçu par Beaumarchais dans sa pièce originelle : à son terme, le duo des femmes triomphent car le Comte doit reconnaître sa violence tyrannique et présenter ses excuses. Mais rebondissement contre le couple Figaro et Suzanne, le trio des intrigants, Marcelline et Bartolo rejoint par Basilio (sublime rôle de ténor comico héroïque) reparaît exigeant que Figaro honore ses promesses (et épouse la vieille Marcelline!). La confusion qui conclut le II, est une synthèse de tous les ensembles buffas d’une trépidante vitalité.

Acte III. Le procès de Figaro a lieu. Rebondissement : Marcelline qui devait l’épouser illico devant le juge Curzio, reconnaît en Figaro son propre fils, qu’elle eut avec…. Bartolo. La Comtesse et Suzanne plus remontées que jamais, rédige la lettre dans laquelle Suzanne donne rendez vous le soir même au Comte (pour le piéger et dénoncer sa déloyauté devant tous). Le Comte réceptionne le billet et s’en réjouit.

L’Acte IV s’ouvre avec un nouveau solo féminin (Les Noces sont bien l’opéra des femmes) : sublime air de déploration tendre de Barbarina qui pleure de ne pouvoir retrouver l’épingle qu’elle devait remettre à Suzanne (« L’ho perduta »). Profond et allusivement très juste, l’opéra dévoile aussi l’amertume et le désarroi de ses héros : ainsi Figaro qui même s’il sait le piège tendu au Comte, doute un moment de la sincérité de Suzanne (superbe récitatif et l’air qui suit : « Tutto è dispoto »… « Aprite un po’ quegl’occhi… »). L’ouvrage de Mozart est ainsi ponctué de miroitement psychique d’une infinie vérité dont la sincérité nous touche particulièrement. La nuit est propice aux travestissements et troubles de toute sorte : chacun croyant voir ce qu’il redoutait, redouble de rage amère à peine voilée (La Comtesse habillée en Suzanne est courtisée par Chérubin) : Suzanne, déguisée en Comtesse est abordée par Le Comte. Puis Figaro démasquant Suzanne en Comtesse, la courtise sans ménagement au grand dam du Comte qui surgit et criant au scandale face à son épouse indigne, s’agenouille finalement… reconnaissant sous le voile,… Suzanne qu’il venait de courtisée. La Comtesse obtient alors le pardon du Comte, à défaut de la promesse de son amour. Car le lendemain, tout ce qui vient d’être rétabli ne va-t-il pas se défaire à nouveau ? L’inconstance règne dans le cœur des hommes…

Remarque : Rosina, Suzanna, même génération. la tradition héritée du XIXè remodèle (dénature) les rapports entre les personnages a contrario des tessitures d’origine. Soulignons dans la partition voulue par Mozart, la gemmélité des timbres des deux sopranos : la Comtesse et Suzanne. Les deux rôles doivent en réalité être chantés par deux voix claires, peut-être plus sombre pour Suzanne. Epousée adolescente par Almavivva, Rosina devenue Comtesse est à peine plus âgée que sa camériste, Suzanne.

 

 

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