jeudi 28 mars 2024

Modest Moussorsgki: Khovanshchina (Boder, 2007) 2 dvd Opus Arte

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Les opéras de Moussorsgki sont politiques. Comme dans Boris, il s’agit d’exposer d’un côté, la naïveté superstitieuse des masses soumises, leur désir d’un père et d’un guide pacifiste et protecteur; de l’autre, l’opportunisme des cliques sans scrupules menées par de petits caporaux, habiles à exploiter et manipuler la crédulité et l’espoir des peuples, pour ne servir que leur intérêt individuel. L’histoire a ses cycles, celui-là reste le principal scénario de l’histoire russe: nation asservie, nourrie d’espoir, désireuse de liberté mais contradictoirement prête à suivre le premier messie autoproclamé. La Khovanshchina met en scène une galerie de personnages haut en couleur: les Khovansky, père et fils (qui sèment la terreur à Moscou, grâce à leur horde policière Streltsy), le prince Golitsyn (fin politique proeuropéen qui a supprimé les sièges des boyards), le prêtre orthodoxe, illuminé et moralisateur, Dosifei, instance récurrente qui rappelle que l’église ne doit pas être écartée dans le partage du pouvoir… Chacun tire la couverture pour conserver ou renforcer son autorité. Enfin, surgit, bras du destin, le sombre Shaklovity, qui dénonce la machination des Khovansky pour s’emparer du pouvoir (d’où le titre « Khovanshchina« ). Dans cette arène haineuse et violente, où les femmes sont soumises, qu’il s’agisse de Marfa, prophétesse humiliée ou Emma, luthérienne qui échappe de justesse au viol par Khovansky fils, le metteur en scène Stein Winge souligne, dans une vision actualisée sans outrance ni décalages gadget, les rapports de sadisme, la volonté d’aliénation que les individus exercent les uns sur les autres: scène de la lettre où Shaklovity dicte au sbire vénal et peureux, la dénonciation de la Khoventchina, la capture d’Emma par Andreï Khovansky qui profite de sa prise pour tenter de la violer…

Nous sommes au coeur d’une société chaotique et barbare, cruelle et inhumaine, proie des loups qui se dévorent pour l’inféoder à leur désir. Le Liceu nous a déjà montré la mesure d’une production parfaitement réussie, traitant des mêmes sujets politiques, des mêmes rapports de société (solitude et angoisse des hommes de pouvoir, masses asservies et crédules, soldats de Dieu admonestant, policiers ou miliciens crapuleux, pervertis…): le légendaire Boris Godounov (octobre 2004, avec une autre équipe fosse/scène, également en provenance du Liceu). Ici, la tension, l’intelligence théâtrale, la cohérence des engagements vocaux, en dépit de la complexité de l’intrigue et des enchaînements des épisodes, relèvent le défi. Il est coutume de démonter l’opéra par ses faiblesses apparentes. Comparé à Boris, Khovanshchina serait déséquilibré. Rien de tel: la production de mai 2007 montre comment Moussorsgki éblouit par son sens de la fresque épique et des individualités, douloureuses ou manipulatrices. Créé en 1886 à Saint-Pétersbourg,après le décès du compositeur (1881), Khovanshchina est une oeuvre majeure, s’appuyant sur un orchestre somptueux (l’ouverture dont le souffle historique et poétique réconcilie grandeur et tendresse), et des choeurs, comme toujours, omniprésents.

Saluons l’unité de la distribution du Liceu, et ses degrés de perversité que savent trouver les chanteurs: animale et brutale (Andreï Khovansky: Vladimir Galouzine. Le ténor troque ses rôles habituels de héros romantique possédé tel Hermann dans La Dame de Pique qui reste « son  » rôle de prédilection, pour un tout autre état psychologique, lâche et retors. Lire notre critique du dvd TDK, La Dame de Pique de Tchaïkovski avec Vladimir Galouzine); perversité plus fine et politique du prince Vasily Golitsyn (Robert Brubaker, sophistiqué, calculateur et tout autant angoissé, ivre de pouvoir et d’idéalisme faussement patriotique), perversité immédiate enfin de Khovansky père (Vladimir Ognovenko) qui affirme une belle et égale présence d’acteur.

Côté chanteuse, le niveau ne faiblit pas, en particulier avec la Marfa d’Elena Zaremba, alto sombre et affûté qui dans le tableau de la prédiction à Golitsyn (Acte II) est particulièrement convaincante.

Dans la fosse, le chef Michael Boder conduit ses troupes avec le sens de l’action, dès l’ouverture, toute la scène est happée par les forces irrésistibles du destin. La scène a bien rendez vous avec l’histoire, et le cynisme de l’action, la perversité à l’oeuvre brossent un tableau glaçant et captivant.

Modest Moussorgski (1839-1881): Khovanshchina, 1886. Version Chostakovitch. Avec Ivan Khovansky, Vladimir Ognovenko. Andreï Khovansky, Vladimir Galouzine. Prince Vasily Golitsyn, Robert Brubaker. Shaklovity, Nikolaï Putilin. Dosifei, Vladimir Vaneev. Marfa, Elena Zaremba. Scribe, Graham Clark. Emma, Nataliya Tymchanko… Choeur et orchestre symphonique du Grand Théâtre Liceu de Barcelone. Direction: Michael Boder. Mise en scène: Stein Winge. Réalisation: Angel Luis Ramirez

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