Peu avant le centenaire 2012 de Massenet, cette production vient à poings nommés nous rappeler combien Jules Massenet est tout autant psychologique et fin que passionné et juste (voir le duo entre Cendrillon et son père au III). Ce que l’on tient pour de l’emphase est une incompréhension de son style qui à l’heure de la Belle Epoque, défend une sensibilité sincère. Toute l’attention des interprètes doit servir ce principe esthétique. Sans quoi, l’on tombe comme souvent dans un kitsch préhollywoodien … qui dénature le sens et la couleur de l’opéra français.
conte néo baroque
Après Grisélidis, Cendrillon (1899) est un très subtil jeu de pastiche, une maîtrise stylistique où l’éclectisme et ce goût du néo propre à la Belle Epoque, nourrissent et colorent la texture musicale: avec son librettiste Henri Cain, féru d’histoire et peintre très documenté, Massenet, alors célébrissime multiplie les compositions avec une aisance assez déconcertante.
Les deux auteurs réécrivent le conte de Perrault et changent déjà les noms des acteurs. Le père, assez absent Pandolfe, cite l’Arnolphe de Molière. Mme de la Haltière, la marâtre de Cendrillon, par laquelle le drame paraît et le destin se précipite en conséquence chante à la Lully; le ballet historique Grand Siècle (comme dans celui de Manon) au II met en scène 6 entrées conclues par un rigaudon royal… La Fée qui fournit la pantoufle de verre, synthétise l’art colorature français avec une subtilité qui rappelle là encore Manon… mais pour autant, l’écriture de Massenet sait aussi être direct, franche, concrète dans des tournures musicales et littéraires sans apprêts. Le soin de la prosodie, le souci de la langue font aussi la réussite de ce petit opéra de chambre, ciselé comme une miniature néobaroque, néo XVIIIème siècle.
Ici les choeurs, l’orchestre dirigé par Bertrand de Billy savent préserver la délicatesse (les teintes wagnériennes sont comme filigranées, – accents tristanesques de la fin du III-, et jamais « poussées », atteignant un souffle dramatique qui ne manque pas de passion: les instruments produisent de très beaux instants suspendus, arrêtant l’action, apportant un atmosphérisme musical très réussi. Ouf!
Jean-Philippe Lafont, las, n’a plus la souplesse vocale d’autant; et les tics qui compensent des dérapages fréquents finissent par agacer. Le Prince qui attend l’amour… d’Alice Coote est un peu carré, rustaud… style impropre pour une icône romantique idéale. Il souligne aussi le manque d’intelligibilité de la majorité des chanteurs, français compris.
Seule Lucette/Cendrillon (Joyce DiDonato) tient le cap, jusqu’à la fin avec une finesse et une subtilité d’intonation qui laisse rêveur: couleurs diaphanes de ses pianissimi… La rossinienne habitée fait ici une très convaincante jeune femme, figure sensible mais aussi active, alliant rêve, réalité, accomplissement avec beaucoup de caractère et d’évidence.
Laurent Pelly sans être percutant ni décalé (heureusement) préserve surtout la part de rêve (l’arbre des fées) dans une réalisation sans fausse note ni réelle faute de goût.
Jules Massenet: Cendrillon. Joyce DiDonato (Cendrillon), Alice Coote (Prince Charmant), Eglise Gutiérrez (Fée Marraine), Ewa Podles (Madame de la Haltère), Jean-Philippe Lafont (Pandolfe), Madeleine Pierard (Noémie), Kai Rüütel (Dorothée), Jeremy White (Le Roi). Royal Opera Chorus, Orchestra of the Royal Opera House, Betrand de Billy, direction. Laurent Pelly (mise en scène). Enregistré en juillet 2011 au Royal Opera House, Covent Garden, de Londres. 2 dvd Virgin classics. Réf.: 60250995. Illustrations: Joyce DiDonato dans le rôle de Lucette/Cendrillon (DR)