vendredi 29 mars 2024

Marc-Antoine Charpentier: Leçons de Ténèbres (Kossenko, 2010)1 cd Alpha

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On l’a dit simple, dépouillée, si humble… comme l’antithèse du fastueux Lully: la musique de Charpentier excelle pourtant à l’époque de Louis XIV, opérant comme nul autre une profonde et lumineuse synthèse entre sensualité italienne et suprême élégance française: tendresse et mesure.
Les Lamentations offrent le plus raffiné des travaux sur la musique sacrée, atteignant un idéal rhétorique dont l’accentuation sert au plus près le texte pour en projeter l’éloquence suprême. Ecouter par exemple la destruction des remparts de Sion dans la Leçon pour le Jeudi Saint… le vide d’un grand silence dit tout simplement et avec intensité, le vertige qui succède à la catastrophe. Jérémie invite ici à la foi, à la révélation et à la délivrance; chaque pause prend un sens volontaire (indiqué par Charpentier sur les sources).
Les interprètes réussissent à exprimer la souple progression des vers mis en musique, sachant dans les Trois Leçons de Ténèbres, souligner l’architecture d’une pensée musicale experte en options expressives; ainsi, dans la Leçon du Venderedi, le brillant contraste alterné entre le grand choeur des cordes et le petit choeur des flûtes…


Raffinements austères de Charpentier

Le programme est très bien composé: préludes instrumentaux pour commencer, balancement entre nostalgie et caresse fervente; puis solo à voce sola (motet pour voix seule « Pour plusieurs martyrs, » délicatement et sobrement articulé et projeté par la basse taille Stephan MacLeod: belle articulation donc beau fini éloquent; et aussi legato et phrasés à l’envi.
L’Antienne qui précède directement les Leçons enchaînées en fin de programme, met en relief les qualités d’engagement sonore des instrumentistes avec des flûtes, hautbois et bassons parfaitement calibrés et idéalement fusionnés aux cordes. De cette Antienne, jaillit le miracle de la chapelle versaillaise, ce parfum irrésistible, entre grandeur et sincérité.
A l’heure des nouveaux interprètes de Charpentier (voyez les Correspondances de Sébastien Daucé), la lecture défendue par Alexis Kossenko frappe par sa gravité, sa simplicité sans apprêts, un art dénué de toute démonstration, qui touche à l’essentiel orant, comme à la clarté agissante du texte magnifiquement projeté par le soliste; la gestion des silences, ces fameux espaces où s’engouffre et se déploie le mystère, ajoute au crédit de l’interprétation; de la voix de Stephan MacLeod, se dresse la prière d’un Jérémie traversé par le souffle de la croyance et de la certitude (à ne pas confondre avec le Jérôme peint par Caravage en couverture, choix déroutant de ce fait); les instruments portés par la flexibilité intelligible du chanteur, cisèlent sans emphase ni maniérisme toutes les nuances de la partition; une musique qui comme le souligne Alexis Kossenko dans sa très intéressante présentation, est d’une complexité dynamique ahurissante et à l’écoute, d’une justesse coulante surprenante: le comble de l’art qui se dissimule en atteignant la vérité et le naturel.

La pudeur et la tendresse dont sont capables les instrumentistes de l’ensemble Arte dei Suonatori, ne sacrifiant jamais l’éloquence pour le beau son, enveloppent toute la lecture, dont la douceur des flûtes entre autres concentre les effets. Le verbe est moteur et principalement mis en relief: en cela Stephan MacLeod se montre très convaincant mais son intonation toujours parfaitement calibrée, fusionnée à la maîtrise des instruments, restitue aux trois Leçons, en particulier celle pour le Vendredi, ce caractère d’extase progressive, d’accomplissement; l’alternance du grand et du petit choeur, très bien spatialisée au regard de la voix conductrice assure ce balancement vers la certitude et la sérénité finale. Lecture magistrale qui confirme les affinités du chef et flûtiste Alexis Kossenko avec la subtilité parfois évanescente et si captivante d’un Charpentier touché ici par la Grâce.

Marc-Antoine Charpentier: Leçons de Ténèbres. Stephan MacLeod, basse taille. Arte di Suonatori. Alexis Kossenko, direction. Enregistrement réalisé en août 2011.
1 cd Alpha réf.: alpha 185. Durée: 1h05mn.

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