Livres. La Habanera de Carmen par Hervé Lacombe et Christine Rodriguez (Fayard). Le romantisme à l’opéra a longtemps imposer sur le planches la figure sacrifiée de la femme immolée, fille, épouse, jeune mariée dévoilée, abandonnée, sans victoire sinon la dignité blessée d’une victime toujours trahie ou répudiée. De Lucia à Violetta, sans omettre Norma ou Jenufa… les compositeurs inspirés par les écrivains ont offert de sublimes portraits de femmes détruites. Or surgit en France, l’alternative sublime conçue par Bizet et sa Carmen (et si admirés par Nietzsche maudissant alors les vapeurs culpabilisantes de Wagner) : une lionne, indépendante et forte, enfin maîtresse de son destin ; une femme qui d’abord s’impose par son corps, une sensualité lascive inimaginable alors, inédite, scandaleuse : libre. C’est ce corps en son déhanchement chorégraphie qu’analysent scrupuleusement les auteurs, soulignant la force d’une image devenue légendaire : Carmen c’est l’icône de la féminité enfin libérée et conquérante. Le génie de Bizet est d’avoir ciselé l’une des musiques les plus envoûtantes : la Habanera, entrée inoubliable de la cigarière, est devenue légitimement un tube universel qui concentre et cultive le mystère féminin.
Carmen : aux origines du mythe
De Mérimée à Bizet, Carmen et sa chanson sont devenues source d’inspiration pour bon nombre de chanteurs du XXè et XXIè siècles : un succès actuel jamais atténué. Les chanteurs de variétés européens, américains et même asiatiques, le rock underground, le cinéma, nombre de séries télévisées américaines, maintes publicités – fascinent depuis cent quarante ans un public bien plus vaste que celui qui se passionne pour l’art lyrique ?
Hervé Lacombe et Christine Rodriguez démêlent l’écheveau des influences et des sources diverses de la mélodie entêtante : « l’amour est enfant de Bohème… tu crois l’éviter, il te tient… ». De Cuba à Paris, ils dévoilent les composantes de ce chant de sirène postromantique, synthèse orientalisante de tous les fantasmes érotiques d’une époque qui brilla par son hypocrisie puritaine. « Le voyage, le nomadisme, la danse ont à voir avec la leçon amoureuse de Carmen ». En analysant tous les enjeux d’une des scènes d’entrées à l’opéra parmi les plus impressionnantes qui soient, les auteurs interrogent et célèbrent la réussite d’une figure brûlante, corps scandaleux, dévoilé que renforce l’aplomb et la posture d’une femme dominatrice. Ce monstre magnifique, sa chanson enivrante, inoubliable, ne pouvaient trouver meilleur réquisitoire. Le texte argumenté, historique et critique, scrutant, démontant toutes les facettes d’un mythe à la construction parfaite, se montre passionnant.
Livres. La Habanera de Carmen par Hervé Lacombe et Christine Rodriguez (Fayard). EAN : 9782213682617, collection : Musique. Parution : 22/10/2014. 224 pages. Format : 120 x 185 mm. Prix public ttc : 17 €.
Hervé Lacombe est l’auteur des biographies de Bizet et de Poulenc, d’une étude sur l’opéra français au XIXe siècle et d’un essai sur la mondialisation de l’opéra au XXe siècle (Fayard). Christine Rodriguez est l’auteur de Les Passions, Du récit à l’opéra : rhétorique de la transposition dans Carmen, Mireille, Manon (Classiques Garnier).