LIVRES. Gluck par Julien Tiersot (Bleu Nuit éditeur). Comme Rameau dans les années 1730 à 1750 réforme l’opéra par son génie spectaculaire et sensible, ouvrant la voie aux compositeurs de la fin XVIIIè, Christoph Willibald Gluck (1714-1787) fait de même : étranger à Paris comme ses compétiteurs, Piccinni et Sacchini, le Chevalier sexagénaire, – qui fut maître de musique à Vienne de la princesse Marie-Antoinette future Reine de France, devient son champion à Paris et à Versailles, au début des années 1770 à 60 ans, insufflant à la scène française, à partir de ses succès viennois recyclés, une régénération en profondeur. Plus jamais l’opéra français ne sera le même : après les créations très applaudies d’Iphigénie en Aulide, d’Orphée et Eurydice, d’Armide, il aura gagné grâce à Gluck, intensité dramatique, vraisemblance vocale, cohérence théâtrale. Gluck fut contre la soit disante machine superfétatoire et trop « artificielle » de Rameau le savant, le héros de… Rousseau, évangéliste d’une bible musicale nouvelle qui appelait à plus de simplicité, de clarté, de mesure, de vérité.
Pour les 300 ans de la naissance de Gluck en 2014, Bleu Nuit éditeur réédite ici le texte déjà ancien de Julien Tiersot publié en 1910 chez Alcan. L’amateur y retrouve les séquences majeures d’une carrière faite pour le théâtre dont le souci de la vérité scénique modifie en profondeur le langage de l’opéra. Le connaisseur relit un texte senti et maître de son sujet. La réussite de Gluck tient à ce qu’il a retrouvé la langue antique en l’acclimatant au goût moderne. Même Piccinni arrivé à Paris en 1776 – pourtant invité pour piquer la suprématie du Germanique, ne peut totalement effacer le génie qui triomphe légitimement : le Napolitain écrasé par un si redoutable auteur dont on voulait faire un rival à abattre, se met à faire du …. Gluck. Les partisans d’une querelle Gluck contre Sacchini en on eut pour leurs frais.
Le Chevalier revient enfin à Paris pour un nouveau chef d’oeuvre : Armide, créé en 1777 affirmant que le vrai dessein de Gluck à Paris était bien de renouveler le sublime héroïque et tragique de l’opéra français hérité de Lully. L’Armide de Gluck rejoint le sublime pathétique et terrifiant du Lully d’Alceste ou d’Atys : l’opéra égale le théâtre ; Gluck, Racine et Corneille, faisant de la scène lyrique le seul et vrai théâtre des passions humaines. La fière enchanteresse s’y montre possédée par l’amour irrépressible qu’elle éprouve pour le beau Renaud. Démunie, blessée car Renaud ne l’aime pas, Armide s’abîme par dépit dans la haine impuissante et destructrice : elle quitte la scène en fin d’ouvrage jurant de se venger. … l’opéra appelle une suite comme les scénarios de nos actuels blockbusters au cinéma. Pour l’heure Gluck allait encore composer Iphigénie en Tauride dont la création à Paris en 1779 suscita un nouveau succès plus important encore que sa première Iphigénie (même s’il y recycle nombre d’airs anciens….) Au-delà des événements et des intrigues d’une époque qui aima surtout les cabales et les chocs spectaculaires (Rameau a fait les frais de joutes et polémiques d’une rare violence), le profil de Gluck s’impose à nous : celui d’un auteur exigeant, intransigeant sur les temps de répétitions, imposant ses choix vocaux ; sa seule préoccupation : le drame. Son éloquence claire et sublime comme un bas relief antique. 300 ans après sa naissance, Gluck inspire et passionne toujours. Le texte que réédite et que complète Bleu Nuit éditeur n’a rien perdu de sa justesse.
Christoph Willibald Gluck par Julien Tiersot. Collection Horizons n°42, Bleu Nuit éditeur. 176 pages. 20 x 14 cm, broché. ISBN 978-2-35884-041-5. EAN 9782358840415. Prix de vente au public (TTC) : 20 €