Livres. Daniel Barenboim : La musique est un tout… Voilà un opuscule que beaucoup d’artistes devraient méditer, assimiler, régulièrement consulter et interroger : leur place dans la société, la relation salvatrice de l’art et de l’engagement philosophique, sociétal à défaut d’être politique, y gagnent un manifeste qui vaut témoignage exemplaire. Il n’est pas d’équivalent en France à la personnalité transnationale du chef charismatique Daniel Barenboim aujourd’hui : une telle hauteur de vue, une telle pensée musicale et artistique se font rare et qui dans sa suite défendront les mêmes valeurs ? Humaniste engagé, en particulier au service de la réconciliation des peuples au Moyen Orient, Daniel Barenboim qui a la double nationalité (palestinienne et israélienne) s’exprime ici en textes choisis, déjà connus et publiés, mais rassemblés avec quelques autres plus récents (premier chapitre » éthique et esthétique » où l’acte musical est désormais investi d’une exigence morale). Le chef argumente sa vision de la musique, une chance pour l’humanité de sauver son destin trop marqué par la guerre, la destruction, l’incommunicabilité. En homme de paix qui a côtoyé les plus grands politiques, Daniel Barenboim précise aussi ici une manière d’idéal de vie, une formule personnelle qui s’appuyant sur l’expérience et les rencontres, brosse le (l’auto)portait d’un homme de bonne volonté, préoccupé par le sens de l’histoire et de la société, l’avenir des peuples pour lesquels l’offrande musicale pourrait s’avérer salutaire. Une forme de vivre ensemble, de penser autrement le monde qui suscite évidemment l’admiration.
Penser la musique
l’acte musical, un humanisme concret
En intitulant cet ouvrage » La musique est un tout « , Daniel Barenboim relie l’activité artistique à une pensée critique, soucieuse d’améliorer le destin des sociétés ; l’homme de lettres prend pour son compte, l’œuvre de la musique dans nos vies, en particulier dans l’histoire belliciste des Israéliens et des Palestiniens, programmés à une lente mais irrésistible autodestruction s’il n’était des espaces d’échanges et de reconnaissance comme ceux que permet la musique, en dehors du champs politique et militaire. La musique n’est pas une activité déconnectée du monde et des hommes : Daniel Barenboim en son combat admirable nous le prouve ici dans le texte.
S’il y a une solution entre palestiniens et israéliens, celle ci peut voir le jour par la culture et la musique : tel est son combat, la motivation première de son orchestre abolissant les barrières et les frontières, le West Eastern Diwan Orchestra, composé de jeunes musiciens de toutes les nationalités et toutes les confessions.
Dans » éthique et esthétique « , Barenboim précise le statut et la mission de l’interprète, au service de la musique, non de lui-même (servir la musique plutôt que se servir de la musique) ; la place active du spectateur qui rétablit le temps réel de la performance. Passionnantes les pages dédiées à Wagner et la question juive, l’hommage du chef aux habitants (de bonne volonté) de Gaza, pris en otages par les Israéliens et leur blocus abusif.
Chapitres essentiels à ce titre, le discours de Daniel Barenboim lorsqu’il reçut le prix Willy Brandt dont la personnalité politique reste un modèle à méditer réalisant cet idéal dont le chef fait son miel : « vision, stratégie, courage » ; enfin on ne saurait trop recommander la lecture du chapitre intitulé « Wagner, les Israéliens et les Palestiniens » : tout y est expliqué et finement analysé. Barenboim expose les sources de la haine des Israéliens envers les Palestiniens, remontant aux origines de l’Etat d’Israël (1948) : un état qui fut créer sans cependant chasser ni dominer un autre peuple… A cela s’ajoute la question de jouer Wagner en Israël : Barenboim sait de quoi il parle, lui qui a dirigé Prélude et Mort d’Isolde devant un parterre d’Israéliens, non sans expliquer l’enjeu et le sens de sa démarche. Avant Hitler et les camps d’extermination, Wagner était joué à Tel Aviv par des juifs. La question n’est donc pas la musique de Wagner mais l’instrumentalisation qui en est faite par les extrémistes des deux bords.
Les derniers chapitres réunissent plusieurs transcriptions de conversations entre 2008 et 2011 où Daniel Barenboim, chef lyrique à la Scala, s’exprime sur diverses œuvres : Carmen, Don Giovanni, La Walkyrie. L’épilogue examine la question du tempo et du rapport métronomique chez Verdi, conception personnelle qui révèle l’admiration tardive du maestro pour le compositeur italien (pour son Requiem principalement). Le cas Barenboim rétablit l’espace libre, plein d’espoirs et d’espérance, où la culture se fait action concrète. Que vaut l’art sans conscience ? Un divertissement sans enjeux ni consistance. Pour ceux qui pensent que l’art et la musique peuvent changer notre société, et pour tous les autres qui en doutent encore, voici une lecture incontournable. L’offrande trop rare de l’un des derniers musiciens humanistes et engagés, soucieux de l’avenir de la culture et des hommes.
Rappel biographique. Pianiste et chef d’orchestre de réputation internationale, Daniel Barenboim est directeur artistique de la Scala de Milan et chef à vie de la Staatskapelle de Berlin, après avoir dirigé entre autres l’Orchestre de Paris (de 1975 à 1989) puis l’Orchestre symphonique de Chicago (de 1991 à 2006). Il est l’auteur de La musique éveille le temps (Fayard, 2008).
Daniel Barenboim : La musique est un tout. EAN : 9782213678085. Parution : 02/04/2014. 176 pages. Format :135 x 215 mm. Prix public indicatif TTC: 15.00 €