Livres, critique. Jean-Claude Menou : Le voyage-exil de Liszt et Marie d’Agoult en Italie, 1837-1839 (Actes Sud). Pendant 2 années (1837-1839), le jeune virtuose du piano, Franz Liszt et sa nouvelle compagne la Comtesse Marie d’Agoult, son aînée scandaleuse, convolent avec l’insouciance de jeunes amants enivrés. Ils partent faire leur tour d’Italie : lac majeur et lac de Côme, Milan son Duomo, et la chartreuses de Pavie, Brescia, Vérone et bien sûr Venise : Liszt s’enthousiasme comme peu avant lui sur les peintres et les œuvres artistiques ainsi découvertes. Raphaël lui inspire lo Sposalizio (Les noces de la Vierge), Véronèse et Leonard, surtout Titien et ses vertiges chromatiques. A Florence, le pianiste a la passion de Michel-Ange (et sa Pensée) ; puis à Rome, chacun s’intéresse à ce qui l’inspire, en particulier non les églises baroques mais les traces spectaculaires d’une Antiquité éternelle. Ils retrouvent le directeur de l’Académie de France : Monsieur Ingres (qui fera leur portrait et qui jouera son violon avec le célèbre pianiste). Mais rien ne dépasse le sentiment éprouvé avec Sainte-Beuve, en visitant les vestiges du domaine impérial d’Hadrien à Tivoli : les cyprès et la lumière du soir de la Villa Adriana comme l’on disait alors, inspireront alors Liszt devenu abbé, près de 40 ans plus tard (1877 : Jeux d’eaux à la Villa d’Este…). Naples fut envisagée mais jamais atteinte.
1837-1839: le duo scandaleux Liszt / d’Agoult visite l’Italie patrimoniale et culturelle…
Liszt : « vagabond infatigable », amoureux des arts
Entre temps (mai 1839), Marie accouche de Daniel, frère de Cosima née avant lui… Car la matière de ce formidable témoignage vient en partie du journal de d’Agoult, femme de caractère et de tempérament (mariée à Charles d’Agoult, elle a tout quitté pour suivre son jeune amant, bouleversant l’ordre bourgeois et sacrifiant la respectabilité de son rang). C’est aussi une féministe engagée que la liaison avec Liszt aiguille peu à peu, dévoilant une sensibilité ardente, celle de l’amoureuse passionnée, celle de la femme ayant ses convictions (nombreuses et ardemment défendues). De sorte qu’au fil de la lecture et des témoignages sur les émotions vécues sur le motif, se précisent des divergences entre les deux voyageurs qui augurent de leur séparation à venir. Liszt semble avoir été aussi léger et insouciant, « enfantin » ou éternel adolescent que Marie était responsable donc exigeante…Il est vrai qu’ils n’avaient pas le même âge. Ainsi à Venise, Marie « n’est que fiel. Et Liszt, enthousiasme ». Il prendra le premier prétexte pour la laisser mariner dans son jus… puis revenir à elle, avec la première énergie.
Le lecteur de ce fabuleux voyage culturel découvre le choc des goûts et des sensibilités, dont surtout celle de Liszt, l’un des rares pianistes et compositeurs qui eut sur la peinture et l’art en général de véritables affinités, puisant dans l’émerveillement ressenti, la source de ses inspirations musicales. « Raphael et Michel-Ange me faisaient mieux comprendre Mozart et Beethoven », écrit il en frère de tous les artistes, en humaniste ouvert, curieux et généreux. L’auteur s’appuyant sur une recherche livresque et touristique spécifique (il précise avoir effectué 7 voyages sur le terrain!) offre ce monde imaginaire, hautement artistique, qui compose les paysages intérieurs et intimes de Franz Liszt. C’est aussi un guide particulier que l’amateur italophile pourra pratiquer in situ… sur les traces de Franz et Marie. Passionnant. Et donc naturellement CLIC de classiquenews.
Livres, critique. Jean-Claude Menou : Le voyage-exil de Franz Liszt et Marie d’Agoult en Italie (Actes Sud). ISBN 978 2 330 04808 2. Parution : avril 2015.