jeudi 28 mars 2024

LIVRES, compte rendu critique. Lettres et musique : l’Alchimie fantastique. La musique dans les récits fantastiques du Romantisme français (1830-1850). Textes rassemblés, annotés et présentés par Stéphane Lelièvre. Editions Aedam Musicae

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LIVRES, compte rendu critique. Lettres et musique : l’Alchimie fantastique. La musique dans les récits fantastiques du Romantisme français (1830-1850). Textes rassemblés, annotés et présentés par Stéphane Lelièvre. Editions Aedam Musicae. Dans le sillon du modèle pour tous, l’Allemand E.T.A. Hoffmann (1776-1822), -le romantisme en littérature n’est-il pas venu d’Outre-Rhin, depuis Goethe?-, voici un premier choix d’auteurs français inspirés par le fantastique, où la musique tient une place motrice dans la construction narrative. Un fantastique musical naît dans la littérature française entre 1830 et 1850 :  » Le fantastique appelle l’élément musical, tout comme la musique impose la tonalité fantastique, cette union féconde permettant l’avènement d’un genre particulier : le récit fantastico-musical « , rappelle Stéphane Lelièvre qui a rassemblé, annoté, et présente l’ensemble des textes.

lettres et musique alchimie fantastique stéphane lelievre editions aedam musicae critique presentation classiquenews juillet 2015Outre ses écrits, la figure artistique, prométhéenne d’E.T.A. Hoffmann, « musicien, dessinateur, décorateur et écrivain, auteur des Fantaisies dans la manière de Callot, des Contes Nocturnes ou du Chat Murr » fascine tout un courant de la littérature française (- comme Mary Shelley dans le cas du Charles Rabou, dans son excellent portrait d’artiste : Tobias Guarnerius de 1832). Les auteurs conçoivent la musique, expérience sociale ou pratique personnelle comme l’immersion dans un monde surréel où des forces mystérieuses soumettent les âmes vulnérables jusqu’à leur mort : fascination, possession, … le diable paraît naturellement dans cet échiquier trouble où les acteurs manipulateurs avancent masqués. Les textes relèvent de ce fantastique qui mêle réalité et rêve, jaillissement d’une psyché méconnue, amour et mort, où à l’énoncé musical (les deux notes) surgissent les gouttes d’un sang contraint d’être versé. La vie coule et se consume à mesure que l’acte musical s’accomplit… et tout idéal artistique en particulier musical ne peut s’expliquer que par l’intervention non divine mais… diabolique. Le fantastique noir règne ainsi sans partage dans une esthétique littéraire et poétique particulièrement féconde en rebondissements dramatiques (c’est aussi le genre qui inspire les pages les plus saisissantes ici réunies). La possession des âmes reste  le but suprême d’un pouvoir tout entier dédié à la barbarie sourde et silencieusement destructrice. Dès lors, Les Contes d’Hoffmann semblent être sur la scène lyrique, l’accomplissement de cette riche tradition (la frêle Antonia invitée à chanter jusqu’à la mort en un rituel macabre et sublime à la fois,  est préfigurée ici dans l’admirable conte de Frédéric Mab, « Les Cygnes chantent en mourant« , l’un des textes les plus complets et les plus fascinants du courant littéraire). Le lecteur pourra y goûter certaines nouvelles peu connues de Sand ou de Dumas. Bien sûr les connaisseurs, savent l’apport d’un Nerval, Gautier, surtout de Balzac dont les 3 nouvelles sur la musique – Gambara, Zambellina, Massimila Doni, de 1837/1838, incarnent un triptyque exemplaire, un absolu inégalable.

Jules Janin, Théophile de Ferrière, Frédéric Mab…

Joyaux oubliés de la littérature fantastico-musicale

CLIC_macaron_2014Heureusement ou opportunément, le compilateur pour les éditions Aedam Musicae opère un tout autre choix en révélant des écritures tout aussi inspirées mais de créateurs oubliés. Ici et là, se dessine en préfiguration à la proposition à venir de Wagner, la place même de l’artiste dans la société : un artiste forcément à part, décalé, dont la mine extérieure et l’incongruité physique rappellent la différence suspecte, forcément d’origine diabolique comme la maîtrise pourtant fascinante de son art : évidemment L’Homme vert de Jules Janin prend une valeur singulière. Le texte s’inscrit idéalement dans la réalité de son temps convoquant pour célébrer l’inspiration miraculeuse du facteur d’orgue, et Fux, Hasse, et CPE Bach et même Gluck ! La force de cette nouvelle courte qui domine toutes les autres, tient aussi au superbe profil du créateur musicien isolé, absent, mystérieux, solitaire et à la définition même de l’art que l’écrivain immensément doué développe ici.
Outre leurs qualités oniriques véritablement captivantes par un imaginaire imprévu, la plupart des textes précisent aussi le portrait de la société et du goût d’une époque qui a passé la Révolution et l’idéal impérial de Napoléon… de l’ivresse des Lumières au noir ténébreux fantastique. Pour certains, il s’agit d’énièmes diableries divertissantes, variations sur le thème fantastique et semi terrifiant pour épater la galerie au début de la Monarchie de juillet ; pour d’autres comme Janin, il s’agit de joyaux littéraires à relire d’urgence.

Des auteurs méconnus sont dévoilés dans la force et la puissance de leurs évocations ténues entre fantastique et lyrisme musical à l’Opéra ou dans les cercles plus intimes des salons de musique, fréquentés par la bonne société bourgeoise avide de reconnaissance : y paraissent en filigrane, soutiens de leurs constructions narratives riches en images et perspectives poétiques : Mozart bien sûr (lui-même adulé par Hoffmann), mais aussi « Emmanuel Bach », le jeune Haydn…, Weber et tant d’autres qui synthétisent toute une pensée et un climat intensément poétique, associés aux peintres Rembrandt, Dürer, … : ainsi sont réestimés Samuel-Henry Berthoud, Raymond Brucker, Théophile de Ferrière, Frédéric Mab, Jules Janin dont le superbe récit L’Homme vert de 1834, absolument incontournable), de découvrir certains textes peu connus d’auteurs célèbres (Histoire du rêveur et Carl de George Sand), de relire des textes fameux mais dans leur version originelle : à l’époque de leur publication en revue, avant la parution en volumes (La Cafetière de Théophile Gautier, La Femme au collier de velours d’Alexandre Dumas).
Dans L’Alchimie fantastique, les 15 récits courts ou nouvelles, sont tous précédés d’une introduction qui analyse sujets et enjeux esthétiques, précisant leur interaction avec le contexte et la vie de l’auteur. Ainsi 8 textes illustrent « Aux frontières du fantastique« , et 3, les deux autres nuances thématisées : « le Fantastique noir » et « la Damnation des nouveaux Faust« . Florilège incontournable, de surcroît pour chaque auteur, magnifiquement éditorialisé, parfois complété par un choix iconographique très juste, comme en couverture Le songe de Tartini de Boilly de 1824 : illustration emblématique de l’assimilation du violoniste inspiré par le diable… La présentation, le choix des récits, la qualité et la pertinence des commentaires d’introduction et d’analyse (dont une remarquable préface contextualisante) accréditent l’intérêt de la présente publication.

A suivre aux éditions Aedam Musicae, d’autres ouvrages annoncés d’ici fin 2015 dans la collection XIXè-XXème siècles :
– Etudier, enseigner et composer à la Schola Cantorum (1896-1960)
– Castille Blaize (1784-1857) et la vie musicale en France
– En écoutant Chopin
– Paul Dukas : écrits sur la musique
– Ricardo Viñes : Journal 1887-1915
Prochainement critiqués sous forme d’articles développés dans le mag livres, cd, dvd de classiquenews.com

LIVRES, compte rendu critique. Lettres et musique : l’Alchimie fantastique. La musique dans les récits fantastiques du Romantisme français (1830-1850). Textes rassemblés, annotés et présentés par Stéphane Lelièvre. Editions Aedam Musicae, Colection  » Musiques-XIX-XXe siècles « . Nombre de pages : 376 pages – Format : 18 x 24 cm (ép. 3 cm) – Dépot légal : Juin 2015 – Cotage : AEM-145 – ISBN : 978-2-919046-11-9 – sur le site des éditions Aedam Musicae : disponibilité / en stock, envoi immédiat
Prix indicatif : 40 euros.

 

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