mardi 19 mars 2024

Livres, compte rendu critique. CHARLES E. IVES : Essais avant une sonate, et autres textes (Editions Contrechamps)

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ives charles livres review compte rendu classiquenewsLivres, compte rendu critique. CHARLES E. IVES : Essais avant une sonate, et autres textes (Editions Contrechamps). CHARLES IVES (1874-1954) PAR LUI-MÊME s’expose sincèrement, puissamment en commentant l’écriture des compositeurs qui l’ont inspiré, comme Emerson, entre autres, – père à Boston (Massachusetts) du courant romantique propre aux années 1830, les « Transcendentalistes ». En rééditant principalement ses Essais avant avant une Sonate (ouvrage déjà publié en français en 1986), les éditions Contrechamps à Genève apportent la preuve d’une amère réalité : trente années ont passé (depuis 1986), sans qu’aucune tendance ni recherche forte en France, n’ait manifestement dévoilé l’immense génie du père de la musique moderne américaine. Le livre répare une aberration criante qui montre combien en Europe, tout au moins en France, on continue de faire peu cas de la modernité américaine, depuis ses origines, c’est à dire depuis l’oeuvre fondatrice, visionnaire de Charles E. Ives.
Voilà pourquoi il était opportun de rééditer (en juin 2016) un texte fondateur de la pensée ivesienne, d’autant plus précieux et pertinent que l’éditeur a considérablement éclairci et enrichi le corpus ainsi traduit (nombreuses notes de pages et élucidation des références émaillant le texte originel) : Ives comme c’est le cas de ses manuscrits musicaux, accumule, empile, exprime dans une prose généreuse, souvent complexe à force d’être riche et curieuse, ses idées, commentaires, aphorismes, réflexions, formules très personnelles… sur l’acte même de composer, de créer, d’être, de vivre. Son engagement moral est intense et radical : écrire – composer ou rédiger un essai-, renvoie à une même exigence : témoigner de ce qui est perçu, compris, saisi. De ce creuset bouillonnant, surgit bien souvent une vérité profonde et poétique qui toujours distingue son oeuvre et tout son esprit hors de la manière, dans le caractère.
Sa Sonate a été composé entre 1910 et 1919, soit simultanément à la première guerre ; intitulée Concord, – publiée à compte d’auteur en 1920-, il est évident que le compositeur l’inscrit sciemment dans le contexte géopolitique d’alors. D’abord conçu comme une préface à sa Sonate – première oeuvre qui le fit connaître, le texte des Essais devient par ses développements divers, une somme indépendante comprenant intercalés entre le Prologue et l’Épilogue, quatre chapitres dédiés chacun à Emerson, Hawthorne, Les Alcott, Thoreau (chacun correspond aux quatre mouvements de la Sonate). Car davantage qu’un texte centré sur son œuvre et sur les sources d’inspiration, il s’agit d’un vaste manifeste personnel, d’ordre philosophique, esthétique, social, voire sociétal, d’une vision plus large que celle strictement musicale. C’est bien là l’apport principal du texte : dévoiler la pensée d’un compositeur sur son œuvre et sur le monde (l’éditeur souligne combien à la page 119, par exemple, le portrait d’un politique américain centré sur la manière, n’est pas sans rappeler un certain candidat républicain, actuel prétendant à l’élection présidentielle…).
Compléments à cette réédition enrichie de nouveaux commentaires et parfaitement introduite (préface : « Ives, l’œuvre ouverte » par Philippe Albèra), 3 autres textes précisent encore la pensée mobile, affûtée d’un créateur soucieux de sens et plutôt critique sur la notion même de développement formel : « La musique et son futur », « Quelques impressions en quarts de ton », « Memos » qui explicite plus précisément la genèse et les enjeux de la Sonate Concord (extraits, 1932).

ives-charles-03Rares, les textes accessibles (ou rendus tels comme c’est le cas de cette réédition recontextualisée et bien problématisée) ; la prose de Ives est sans concession, précise, explicative et argumentée, d’une diversité parfois ahurissante, dont la formulation si personnelle (usage des parenthèses ou des guillemets par exemple, faisant accroire à une véritable citation…) a rendu la traduction délicate. De sorte que le texte publié est en soit, même très respectueux du sens ivesien, un véritable commentaire et aussi une explicitation réalisée avec pertinence et réussite sur la formidable inventivité d’un compositeur libre. Le désordre apparent est la première porte d’entrée d’une œuvre multiple, en métamorphose, qui paraît insaisissable ; en réalité, comme c’est le cas de Pierre Boulez (dont le même éditeur a publié une édition tout autant réfléchie, de « Pli selon pli, Entretien et étude »), le geste du compositeur fondateur aux Amériques, reflète précisément l’évolution d’une pensée constamment mobile qui reprend, réécrit, enrichit, sculpte chaque partition sans jamais fixer un état définitif… On sait la difficulté émise par le jeune Elliot Carter, un temps proche de Ives, qui s’était proposé de mettre au propre un corpus laissé brut…

 

 

 

CLIC_macaron_2014Pièce maîtresse de la publication, Essais avant une Sonate / Essays before a Sonata, éclaire la pensée du musicien quadragénaire, qui vient de fonder sa propre compagnie d’assurances (1907), et a composé pendant ses heures libres, ses pièces les plus originales, porteuses d’une modernité fondée essentiellement sur l’usage inédit de la polyrythmie et de la polytonalité : Variations sur America (1891), Symphonies n°2,3 et 4 (composées entre 1897 et 1916), sans omettre évidemment le sublime Central Park in the dark (1898-1907). Il faut certes écouter la musique d’Ives en concert ou au disque ; il faut aussi lire l’auteur dans le texte, revenir comme ici, à sa source multiple, fécondante, passionnante, polémique et très juste.

 

 

Livres, compte rendu critique. CHARLES E. IVES : Essais avant une sonate, et autres textes. Collectif. Préface de Philippe Albèra. Parution juin 2016. Editions Contrechamps (Genève). 207 pages. ISBN : 978 2 940068 49 4. Prix indicatif : 18 €. CLIC de CLASSIQUENEWS de septembre 2016.

 

 

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