LIVRE, critique. Jérôme Bastianelli : La vraie vie de Vinteuil (Grasset). A rebours de la prose poétique énigmatique voire trouble et tout du moins souvent ambivalente de Proust, voici lumineuse, précise et très documentée, la biographie du compositeur Georges Vinteuil, soit l’un des meilleurs représentants de la musique française au XIXè, à l’époque du romantisme français à l’épreuve de Wagner, pendant le Second Empire et après la défaite de 1870… De la fiction sublime de Marcel, l’auteur déduit un texte dont le contenu atteint l’exactitude de la réalité. Il aurait donc réellement vécu ce Vinteuil, personnage à peine esquissé chez son premier géniteur, Proust ? Ici, Georges Vinteuil ressuscité est surtout l’ami de César Franck avec lequel il partage une communauté de valeurs et de goûts ; leur style est d’ailleurs si proches qu’ils en seraient quasi interchangeables (comme Picasso et Braque, dans leur période cubiste de 1911-1912). Ici, dans l’admiration pour l’écriture wagnérienne et en particulier l’accord de Tristan, Vinteuil compose en 1861 sa fameuse Sonate « pour piano et violon » (notez bien l’ordre des deux instruments ainsi présentés).
C’est l’enfant miraculeux d’un précurseur génial… Vinteuil serait ainsi le premier à inaugurer une vague salvatrice pour notre musique de chambre, avant Fauré, D’Indy, Franck, Dubois… ce bien avant la création de la fameuse Société nationale de musique, née après la défaite de 1870.
Dans le souvenir de Wagner, dans l’influence de Franck et aussi d’Alexis de Castillon dont la figure revient plusieurs fois dans le récit biographique, Georges Vinteuil écrit donc sa Sonate miraculeuse, celle qui occupe une place centrale dans A la recherche du temps perdu ; sa petite phrase (musicale) dans le premier mouvement Andante, cristallise ce phénomène de remémoration immédiate qui électrise véritablement le héros de Proust, Swann. Ainsi est enfin élucidée, l’énigme musicale la plus fascinante de la littérature française.
Si la prose permet d’en témoigner, la musique réalise le mécanisme physique et organique qui permet au sujet d’éprouver ce vertige décisif, entre révélation et extase.
L’auteur qui préside l’association des Amis de Marcel Proust connaît l’œuvre et la vie de Marcel comme personne ; il peut donc croiser les chemins biographiques, intégrer dans la biographie de Georges, les éléments et citations d’A la recherche du temps perdu : ainsi, quand Vinteuil et Franck assistent aux fameux concerts dirigés par Wagner, ils éprouvent exactement en un effet de miroir, de la fiction à la réalité du récit biographique, ce choc que Swann ressent à l’écoute de la fameuse Sonate de Vinteuil.
Si « Proust n’a pas tout su », l’auteur de ce premier roman restitue à l’un de ses personnages clés, une épaisseur fictionnelle aussi vraie que nature. Devenue un mythe musical et littéraire, la Sonate de Vinteuil méritait évidemment cette naissance et cette identité crédibles, enfin restituées.
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LIVRE, critique. Jérôme Bastianelli : La vraie vie de Vinteuil (Grasset). Parution : janvier 2019. 272 pages – EAN : 9782246817291 / Editions Grasset – collection « Le courage ».
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