samedi 7 décembre 2024

Les opéras de Rachmaninov : Aleko, Le Chevalier Ladre… Dossier spécial

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decca-rachmaninov-the-complete-works-box-coffret-32-cd-ashkenazy-jarviDossier. Les opéras de Serge Rachmaninov.  A l’occasion de la parution chez Decca d’un coffret de 32 cd (Rachmaninov : the complete works, l’intégrale, Decca 32 cd, octobre 2014) regroupant tout l’œuvre du compositeur russe,  toujours si mésestimé, classiquenews réouvre le débat du génie incompris, porteur d’authentique chefs d’oeuvres dont ses 4 opéras, diversement livrés, certains incomplets dont Monna Vanna (seul subsiste le matériel du premier acte). D’Aleko et du Chevalier ladre à Francesca da Rimini, les opéras de Rachmaninov n’ont rien de ce post classicisme artificiel et sentimental, mais plutôt souligne le crépitement d’un auteur fasciné par les climats hallucinés et fantastiques, ceux exacerbés qui dans un style millimétré, retenu, pudique – proche de sa nature profonde- éclairent et révèlent la psyché secrète et souterraine des protagonistes…

 

Aleko, 1893

Decca : l'intégrale Rachma !Aboutissement de son apprentissage au Conservatoire de Moscou, le jeune Rachmaninov doit composer un opéra d’après Pouchkine. Illivre la partition scintillante d’Aleko, d’un raffinement orchestral déjà sûr, égal des opéras les plus réussis de Tchaikovski, avec une science des transitions mélodiques et des climats, entre élégie poétique, ivresse sensuelle et vertiges amers rarement aussi bien enchaînés. En seulement 17 jours et suivant l’encouragement admiratif d’Arensky son professeur, Rachmaninov achève Alenko qui lui permet de remporter la grande médaille d’or, récompense prestigieuse qu’il récolte avec un an d’avance : c’est dire la précocité de son génie lyrique. Malgré l’enthousiasme immédiat de Tchaikovski dès la première à Moscou, Alenko sera ensuite rejeté par son auteur qui le trouvait trop italianisant.

Proche de son sujet, immersion dans le monde tziganes où la liberté fait loi, Rachmaninov inspiré par un milieu d’une sensualité farouche, à la fois sauvage et brutale mais étincelante par ses accents orientalisants, favorise tout au long des 13 numéros de l’ouvrage,  une succession de danses caractérisées, énergiquement associées, de choeurs très recueillis et présents, un orchestre déjà flamboyant qui annonce celui du Chevalier Ladre de 1906. Fidèle à son sens des contrastes, le jeune auteur fait succéder amples pages symphoniques et chorales à l’atmosphérisme envoûtant et duos d’amour entre les époux, d’un abandon extatique. Parmi les pages les plus abouties qui dépasse un simple exercice scolaire, citons la Cavatine pour voix de basse (que rendit célèbre Chaliapine, d’un feu irrésistible plein d’espérance et de désir inassouvi) ou la scène du berceau. e souvenant de Boris de Moussorsgki, la scène tragique s’achève sur un sublime chœur de compassion et de recueillement salvateur auquel répond les remords du jeune homme sur un rythme de marche grimaçante et languissante, avant que les bois ne marque la fin, à peine martelée, furtivement. La maturité dont fait preuve alors Rachmaninov est saisissante.

Synopsis

Carmen russe ? La passion rend fou… D’après Les Tziganes de Pouchkine, Alenko est un jeune homme que la vie de Bohème séduit irrésistiblement au point qu’il décide de vivre parmi les Tziganes. Surtout auprès de la belle Zemfira dont les infidélités le mène à la folie : possédé, Aleko tue la jeune femme, sirène fascinante et inaccessible, avant d’être rejeté par le clan qui l’avait accueilli. Le trame de l’action et la caractérisation des protagonistes rappelle évidemment Carmen de Bizet (1875), mais alors que le français se concentre sur le duo mezzo-soprano/ténor (Carmen, José), Rachmaninov choisit le timbre de baryton pour son héros tiraillé et bientôt meurtrier.

 

 

 

 

 

Le Chevalier ladre, 1906

 

Rachmaninoff_1906Le Chevalier Ladre est créé au Théâtre Bolshoï le 24 janvier 1906 ; l’ouvrage taillé comme un diamant noir, semble exprimer au plus près la tension psychologique imaginée par Pouchkine dans sa chronique familiale, évocation noire et sombre, maudite, de la relation tragique d’un baron fortuné mais avare, et de son fils rattrapé par ses créanciers dont le Duc. L’efficacité du style lyrique de Rachmaninov s’y révèle idéale : dense, fulgurante, d’une flamboiement orchestral inouï, aussi noir et sombre voire lugubre, et même frappé par ce fantastique halluciné propre aux meilleures séquences de Tchaikovski.
Le baron est un émule d’Harpagon de Molière mais avec des éclairs de rage et de haine viscérale, Rachmaninov suivant de près le profil qu’en trace Pouchkine : une âme déchiré, aux abois, en panique, dont l’admirable monologue (grand air à l’origine écrit pour Fedor Chaliapine qui déclina la proposition de créer ce formidable personnage) éclaire les vertiges et la folie souterraine. Pas de femmes dans un univers, – comme La maison des morts de Janacek, et Billy Budd de Britten-, uniquement masculin, étouffant huit clos où la tension psychique et la violence affleurante révèle les personnalités. C’est ainsi le profil aigu, soupçonneux, un rien corrosif de l’usurier juif d’un héroïsme sadique trop heureux de contraindre une victime toute désignée qu’il soumet par l’argent.

Ayant eu le choc de Bayreuth, Rachmaninov façonne un nouvel orchestre miroitant, d’une richesse instrumentale inédite dont le raffinement exprime toutes les nuances de la psyché en effervescence : dans le fameux monologue du baron, l’orchestre s’écoule comme un torrent embrasé aux ondulations et scintillements wagénriens. Jamais trop dense, mais millimétrée, la partition révèle les grands chefs (encore rares comme Neeme Järvi qui se sont frotter au monde fascinant des opéras de Rachmaninov). Jamais bavard, ou mécanique dans l’usage de formules russes folkloriques, le style de Rachmaninov exprime l’intensité des passions humaines avec une élégance et une pudeur qui n’appartiennent qu’à son puissant génie dramatique. L’inspiration du compositeur rejoint les grandes réussites de son catalogue symphonique : Symphonie n°2, l’Île des mort, Les cloches… Le Chevalier ladre relève et du poème symphonique avec voix, et de l’épure psychologique, tant le développement du tissu orchestral comme chez Wagner suit au plus près les enjeux dramatiques et l’évolution des personnages au cours de l’action. Tout converge vers la confrontation violente, sans issue du père et du fils. La caresse inquiétante des clarinettes, la morsures plus cyniques des hautbois, le hoquet ou les éclairs ténus des bassons composent avec le flot inquiétant des cordes, une houle imprévisible et envoûtante : ils indiquent une connaissance précise des possibilités de l’orchestre en un flux halluciné continu, proche du cauchemar éveillé ou de l’accomplissement d’une inéluctable et sourde malédiction. L’introduction du grand monologue du baron dont la folie affleure, est l’une des pages orchestrales les plus réussies de Rachmaninov, comme l’air dans sa totalité, écho très original du Boris de Moussorgski dont Rachmaninov a compris le schéma introspectif qui mène le héros rongé et tiraillé par ses démons invisibles, de l’hallucination à la transe : l’écriture âpre, mordante, expressionniste y exprime la destruction mentale et les dérèglements intérieurs dont est la proie l’avare dérisoire… Le climat qui y est peint est celui d’une tragédie fantastique et désespérée. D’une énergie noire, la partition s’achève sur une série de quatre accords qui claquent comme l’interruption providentielle d’un destin foudroyé. L’effet est toujours saisissant.

Synopsis
Inspiré du Chevalier Avare de Pouchkine (1830). Le baron, avare refuse de prêter à son fils la moindre de ses richesses : Albert démuni doit emprunter toujours, en particulier au Duc. Quand une confrontation est inévitable entre le Duc, le baron et son fils, celui est violemment pris à partie par son père au bord de la folie qui l’accuse de vouloir l’assassiner… L’argent rend fou, le poison des richesses s’accomplit ici avec une violence terrifiante mais au final c’est le baron fragile psychiquement qui meurt d’une crise cardiaque…

Aleko
Opéra en un acte, sans numéro d’opus.
Livret de V. Nemirovich-Dantchenko d’après le poème de Pouchkine, Les Gitans. Composé en avril 1892 pour l’examen final du conservatoire de Moscou.
Première représentation à Moscou le 27 avril 1893 au Bolchoï sous la direction d’Altani.

Le Chevalier ladre
Opus 24, composé en 1903/1905.
Opéra en trois actes, livret d’après Pouchkine
Commencé en août 1903. Terminé en février 1904.
Première représentation à Moscou en janvier 1906 au Bolchoï sous la direction de Rachmaninov.

Francesca Da Rimini
Opus 25, composé en 1904/1905.
Opéra en deux actes avec prologue et épilogue, livret de Modest I. Tchaïkovski d’après un épisode de l’Inferno de Dante (Vème chant). 
Première représentation à Moscou en janvier 1906 au Bolchoï, sous la direction de Rachmaninov (en même temps que Le chevalier Ladre).

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