vendredi 29 mars 2024

Les Musicades 2009. 20 ème édition. Beethoven: Quatuors Lyon, du 24 au 30 septembre 2009

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20 èmes Musicades de Lyon
Intégrale des Quatuors de Beethoven
Du 24 au 30 septembre 2009

La très importante session de musique de chambre lyonnaise revient pour son 20e anniversaire avec une programmation passionnante, rarement donnée : l’intégrale des Quatuors à cordes de Beethoven, confiée au Quatuor Auryn. En 6 concerts dans l’acoustiquement parfaite Salle Molière, c’est l’occasion unique de suivre un événement au sens véritable du terme, pour une rentrée automnale intelligente et synthétique.

Marlboro sur Rhône
Enfin les Musicades… revenues dans leur esprit de synthèse, et de pari sur l’intelligence, l’ardeur, le goût musiciens d’un public lui-même exigeant. « Vingt ans après », aurait fait titrer par la presse l’irrésistible Alexandre Dumas, mais ce n’est pas vraiment le genre du battage médiatique dans le « cher et vieux pays » des Musicades, tel que l’ont créé, fait découvrir et aimer les fondateurs de cette institution lyonnaise… qui ressemble si peu à l’Institutionnel – renommons-les pourtant dès le début : Marie-Jo et Jean-Frédéric Schmitt . Admiration pour le lointain Marlboro ? C’est bien en référence à ce moment américain unique en musique de chambre que les Musicades avaient voulu à partir de 1989 non pas copier, mais s’aventurer avec moyens du bord des fleuves dans un ensemble de travail , de rencontres et de concerts qui a rapidement fait autorité. Le violoniste de légende Félix Galimir, « marlboroïste » fondateur avec Rudolf Serkin et le Quatuor Busch, fut d’ailleurs l’un des prestigieux « parrains » (très intervenant) des Musicades. Pour que « la musique de chambre avec ses effectifs réduits, son expression intime d’émotions intraduisibles en termes symphoniques… rassemble et favorise l’échange », il fallait l’audace et la durée. Car il s’agit aussi des Jeunes : leur donner l’occasion de jouer avec leurs aînés, d’être pendant la session, en bons Wilhelm Meister goethéens, dans leurs… semaines « d’apprentissage et de formation », pour mieux ensuite affronter les circuits de la professionnalisation. Les uns et les autres n’étaient pas n’importe qui : outre Félix Galimir, il y a eu entre autres Joseph Silverstein, Siegmund Nissel (du Quatuor Amadeus), Rocco Filippini, Jean-Claude Pennetier, Christian Ivaldi, Alain Meunier, Ana Chumachenko… Et chez les jeunes dont le talent a tôt fait oublier qu’ils durent…commencer, ou « diversifier » : Isabelle Faust, Jean-Guihen Queyras, Ofelia Sala, Anne Buter, Pablo Schatzman, ou ainsi qu’on le rappelle avec fierté, un certain Pierre-Laurent Aimard quand il n’était que…catalogué Intercontemporain, et qu’on mit « à contre-emploi dans un sublime quintette de Mozart »…. Répétitions publiques et classes de maîtres ouvertes au public, rencontres, débats, échanges complétaient le dispositif, dont les concerts « n’étaient que la partie émergée de l’iceberg ». Ce qui n’a jamais empêché les Musicades d’aller aussi « en avant » de la chronologie : bien des œuvres du XXe ont été données en création mondiale ( Ballif, Fourès, Suzanne Giraud) ou française (Xenakis, Hindemith, Widmann, Bacri)…

Les Auryn
Il y eut à la fin des années 90… des difficultés, puis une sorte de traversée d’un relatif désert, pendant laquelle cependant les fondateurs-organisateurs ne renoncèrent jamais. Des partenariats et lieux d’accueil ont joué les relais : CNSMD (qui « à la belle époque » furent les hôtes généreux de chaque session, mais que des problèmes de calendrier – « la rentrée ! « – contraignirent à un repli), Musée des Beaux-Arts, Auditorium de Villefranche, Sémaphore d’Irigny, Embarcadère de Lyon, Société de Musique de Chambre. Et la Salle Molière, orgueil acoustique lyonnais, est resté – sous la tutelle de la Municipalité – le havre de grâce des concerts, tandis que la Région Rhône-Alpes entrait dans le jeu de l’aide, et Radio-France – « depuis toujours » pour l’enregistrement et la diffusion des concerts. Une direction artistique – évidemment autour de Marie-Jo et J.Frédéric Schmitt – a renouvelé les implications : le flûtiste José-Daniel Castellon, la pianiste Teresa Llacuna, le clarinettiste François Sauzeau, la violoniste Marie Charvet, le violoncelliste Francis Gouton. Des formules ont été trouvées avec des Mairies (Sathonay-Camp), des Centres Sociaux, des écoles, des entreprises pour organiser des manifestations en écho. Et voici donc sur une presque-semaine, le Monument bâti en 2009 à la fin septembre, en 6 concerts d’une rare densité, qui à soi seul fait événement dans le petit et grand monde de la musique européenne chambriste. Du jamais entendu entre Rhône et Saône ? Pas depuis un demi-siècle, en tout cas : cette intégrale des Quatuors à cordes beethovéniens est confiée à un ensemble très internationalement reconnu, les Auryn, qui furent jeune quatuor… il y a plus de 25 ans, et dont la carrière – au concert ; au disque, notamment chez TACET – est saluée depuis longtemps par les publics et la critique.

La montagne et la cathédrale
Leur 1er violon, Matthias Lingelfelder, au nom de ses collègues (Jens Oppermann, 2nd violon, Stewart Eaton, alto, Andreas Arndt, violoncelle : les 4 jouent ensemble depuis 1981 ), parle des 16 (ou 17, selon intégration de la Grande Fugue) en des termes qui montrent la mesure prise : « Un énorme massif rocheux aux ravins profonds et aux sommets vertigineux, aux paysages de la plus grande beauté et de la plus âpre rudesse, tous de purs chefs-d’œuvre ». Oh oui ! Quel que soit le mode de classement adopté – les bonnes vieilles et 3 « périodes créatrices » du Maître ne peuvent-elles encore servir ?-, quel que soit le système de métaphore –ici, la Montagne ou la Cathédrale, ailleurs les édifices intérieurs ou les cercles de métamorphoses -, nous sommes en plénitude primordiale, au delà même de la seule histoire musicale. Où trouver, en tout cas, un récit aussi complet non de soi-même s’étudiant au miroir de l’autobiographie (selon le sens de Rembrandt et de ses autoportraits, ou de Rousseau et de ses Confessions), mais parcourant synthétiquement les étapes d’une Ecriture ? Ces « blocs de temps » dans la vie d’un compositeur , de façon encore plus concentrée et « abstraite »que dans les 32 Sonates ou les 9 Symphonies du Maître de Bonn et de Vienne, constituent un laboratoire de la création, de ses progrès, de son audace inouïe. Il faut aussi ne pas oublier les réticences –restons en Terre d’Euphémisme ! – que connurent ces chefs-d’œuvre, non seulement de la part d’un public « éloigné » de l’auteur, mais de proches éberlués par ce qui leur tombait sous les yeux. Il suffit, par exemple à propos du 8e (op.59/2) , d’écouter les relations confirmant la réception par certains spectateurs : « musique démente », « ramassis de notes rassemblées par un dangereux maniaque ».

Je serai compris en 1930
Et surtout d’apprendre qu’en recevant la partition qui leur est confiée, les interprètes désignés refusent, comme on dit aujourd’hui, une telle « prise de tête » : le violoniste Schuppanzigh demande si c’est « une plaisanterie », le violoncelliste Rohmberg piétine les feuillets… Beethoven, lui, ou bien continue à écrire, comme pour l’adagio de ce 8e, « en contemplant le ciel étoilé », ou bien se fâche…contre lui-même et ce qu’il juge ses concessions à l’écriture traditionnelle, ainsi en qualifiant son propre 4e Quatuor (op.18) : « C’est de la m… ! ». Et se contente d’ironiser : « Que m’importe votre sacré violon, quand l’esprit souffle en moi ! » Ou au famulus Schindler qui déclare ne pas comprendre : «Ca viendra ! » Et collectivement synthétique: « Je n’écris pas pour vous, j’écris pour le temps à venir. » Voilà qui n’est pas sans faire penser, pour nous pauvres Français si fiers de notre promptitude culturelle, à la géniale intuition temporelle de Stendhal : « Le Rouge et le Noir ? Je serai compris en 1930. »

Au fait, le « temps à venir » a-t-il tout digéré des extravagances de Beethoven, qu’il déclare désormais avoir tant aimé ? Et si on mettait un public non averti que « c’est du Beethoven » devant la Grande Fugue, que se passerait-il ? L’équivalent de ce que Beethoven disait : « Les bœufs, les ânes ! Les friandises, ils se les font servir encore une fois ! Pourquoi pas la Fugue, elle seule aurait dû être recommencée ! » Voilà qui nous renvoie à la modestie des interprètes choisis par les Musicades pour l’intégrale… Ecoutons Mathias Lingenfelder : « Je n’arrive toujours pas à comprendre comment Beethoven, à partir du dualisme de deux intervalles simples (2nde mineure, sixte, tierce) dans les op.130 à 133, crée tout un univers, un reflet de notre vie entière, comme si ce motif de quatre notes était la Théorie du Tout éternellement recherché. » En effet : dans ces opus ultimes, alternent les inclusions de l’univers sensible et mémoriel – le « Chant de reconnaissance d’un convalescent à la Divinité », dans l’op.132 -, les énigmes interface – le « es muss sein » (il le faut) de l’op.135 : philosophie du Vouloir ou commentaire farceur du refus de payer chez un commanditaire ? – et surtout l’effort de dépasser les limites, de percevoir à la fois un Ordre du Monde et ce qui sera écrit plus tard. André Boucourechliev, évoquant ici les « correspondances d’anticipation » avec Wagner ou Bartok, glorifie le Quatuor à cordes dont l’aventure beethovénienne donne le modèle : « l’esprit créateur se dépouille de tout ce qui n’est pas la vérité essentielle, il bannit l’ornement et le geste, ignore l’emphase rhétorique, reconnaît la loi de la concentration absolue…(Ici), non pas prisonnier de soi-même, emmuré en soi-même, mais suprêmement libre, et parlant au nom de tous. » Aux spectateurs-Musicades-2009 de s’en montrer dignes !

20ème anniversaire des Musicades, du 24 au 30 septembre 2009. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Intégrale des 17 Quatuors à cordes. Lyon, Salle Molière (18 quai de Bondy, Lyon-5e) . Jeudi 24, vendredi 25, samedi 26, lundi 28, mardi 29, mercredi 30 septembre, à 20h30. Information et réservation : T. 04 72 00 20 98 ; www.musicades.com

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