Lambert, D’Ambruys
Quinault, Lafontaine
Les Arts Florissants
William Christie, direction
Libérés des contraintes de l’étiquette, les nobles et amateurs lettrés se retrouvent dans la délectation d’une discipline très élaborée, expression d’une haute éducation, d’un esprit cultivé, d’un besoin de mondanité choisie. Ainsi, la bienséance et la galanterie règnent dans les cercles de Mme de Rambouillet, Melle de Scudéry, de la comtesse de la Suze : chacune s’ingénie à varier les plaisirs offerts à leurs invités. L’air de cour y tient une place privilégiée : miniature poétique chantée à voix seule, en duos, trios, accompagnées du luth ou de tout autre instrument chambriste (clavecin, théorbe, viole…), la pratique est aisée.
A partir de 1650, l’air sérieux supplante l’air de cour : en une ou deux strophes, pour voix et luth, ou théorbe, clavecin, viole, l’air sérieux chante les vertiges, délices et souffrances qu’inflige amour. Exactement comme la poésie galante à la même période. A l’opposé de l’échelle expressive, il trouve son corollaire dans l’air à boire, plus familier, burlesque, et tout autant délirant, réclamant les mêmes effectifs. L’engouement pour le genre est tel que tous les poètes de l’heure veillent à écrire un sizain, ou un quatrain de chanson, apte à être mis en musique.
Le Mercure Galant dès 1674 publie nombre d’airs sérieux et à boire, diffusant les noms et les manières de compositeurs devenus célèbres : Michel Lambert (1610-1696) qui fut maître de la musique de la chambre du Roi à partir de 1660, Sébastien Le Camus, Bénigne de Bacilly, Marc-Antoine Charpentier, Joseph Chabanceau de La Barre, Honoré d’Ambruys…
Même codifié, l’art de l’air français laisse à l’interprète contemporain une grande liberté interprétative, à la fois dans le choix des cadences, de la restitution du continuo, de la réalisation des ornements, dans l’art ténu et si subtil d’une déclamation claire et puissante, flexible et vivante…
Bill, interprète des bois enchantés
Le concert des Arts Florissants suit la sélection opérée par William Christie à partir du recueil d’airs, publié par Michel Lambert chez Ballard en 1689. Ainsi s’impose aujourd’hui à nous, le chant » à la lamberte « , saisissant par son sens de la prononciation, de la déclamation, de l’expression et donc de l’improvisation… autant de qualités qui s’exposent plus particulièrement dans les doubles (reprises de la première strophe où la virtuosité et la fantaisie du chanteur sont sollicitées… et attendues).
Langueur et pleurs, prière et invocation souvent douloureuse … : Amour ici affecte, inflige, blesse … les vertiges du sentiments inspirent en particulier les poètes Quinault, de la Sablière, Lauvergne, Bouchardeau… surtout La Fontaine, poète de Vaux le Vicomte dont le fameux poème des Amours de Psyché et Cupidon (air » Tout l’univers obéit à l’amour … »)… Lambert imagine les musiques enchanteresses (amoureuses ?) que Cupidon en son palais, destine à sa future maîtresse Psyché : sonorités exquises et suspendues (voix et luths) enivrant les cœurs envoûtés. Le compositeur exprime l’ivresse des sens qui emporte le coeur de la belle Psyché (comme si Orphée et Amphion les eussent conduits eux-mêmes, est-il précisé par le poète enchanteur).
Aux côtés entre autres de Lambert, se distingue l’écriture de son élève Honoré d’Ambruys, célèbre lui aussi pour son Livre d’airs (dédié à son maître et daté de 1685). Sur le poème de la Comtesse de La Suze, Le doux silence de nos bois, d’Ambruys imagine l’une des plus émouvantes illustrations des vanités amoureuses, invitation troublante à jouir de l’instant présent, à cueillir la rose à son apogée, printemps à la fois rêvé, arcadien mais unique et bientôt lointain…
Peut-on imaginer interprètes plus inspirés pour chanter la nature enchantée, celle des bergers amoureux que » Bill » et ses musiciens, lui-même créateur à Thiré (Vendée) de l’un des festivals les plus envoûtants qui soient, entre nature et musique, poésie et jardins, chant et concerts… Une Arcadie recomposée enfin accessible grâce à l’oeuvre et la volonté du plus grand chef actuel, défenseur depuis ses débuts de la magie comme de l’enchantement baroque.
Airs sérieux et à boire
Lambert, d’Ambruys
Quinault, Lafontaine
Tournée événement en 5 dates
Chapelle Saint-Martin du Méjan
Caen, le 14 décembre, 20h
Auditorium du Conservatoire CRR
programmation du théâtre de Caen hors les murs
Versailles, le 16 décembre, 20h
Opéra royal
Londres, le 19 décembre, 19h30
Wigmore Hall
Paris, le 20 décembre, 20h
Cité de la musique
Enregistré par France Musique
Illustrations : William Christie, Michel Lambert (DR) – peintures : Allégorie des arts sous le règne de Louis XIV, Réunion de musiciens par Antoine Bouys, vers 1700, Musiciens en concert par François Puget vers 1688 (DR)