samedi 14 juin 2025

Le Lac des cygnes

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Le Lac des Cygnes. Arte, le 29 décembre 2013 : 16h puis 16h55… Le docu puis le spectacle version Noureev (Ballet intégral, Opéra de Paris 2005). Arte dédie une pleine soirée au chef d’oeuvre chorégraphique de Tchaïkovski.

 

 

 

lac_cygnes_tchaikovski

 

 

 

16h : le docu
lac_cygnes_tchaikovskiTous les chorégraphes les plus inspirés se sont appropriés le ballet de Tchaïkovski, Le Lac des cygnes. Créée en 1895, la partition et l’imaginaire visuel que permet la beauté de la musique inspirent chorégraphes sur scène, mais aussi réalisateur et créatifs au cinéma et jusque dans la publicité. Rufold Noureev, Matthew Bourne, Mats ek, Johan Neumeier, Charles Jude, et Dada Masilo (sudafricaine) ont chacun leur propre vision du Lac et ses cygnes romantiques, véritable feu d’artifice du ballet classique tardif.  (Documenntaire. Réalisation : Chloé Perlemuter, France 2013).

 

 

 

16h55 : le spectacle, le ballet intégral version Rudolf Noureev (1984)
Le lac des cygnes, version Rudolf Noureev.
Le lac des cygnes : Noureev et TchaÏkovski

Rudolf NoureevRudolf Noureev aborde comme chorégraphe Le Lac des cygnes de Tchaïkovski dès 1964 pour l’Opéra de Vienne : il connaît en profondeur l’action du ballet tragique car il y a déjà dansé et le rôle du prince Siegfried et celui de son ennemi, la manipulateur Rohtbart. Une expérience complète qui s’avèrera salvatrice pour le Ballet parisien que le Tartare renouvelle à Paris pour l’Opéra vingt ans plus tard dans les années 1980. Auparavant, dans la Cour Carrée du Louvre, en 1973, Noureev danse le rôle de Siegfried, prince noir et maudit, impuissant et rêveur (un  Louis II de Bavière déjà avant la vision de Neumeier), mais dans la chorégraphie traditionnelle de Vladimir Bourmeister et Marius Petipa : une lecture ultra classique que Noureev retrouvera à Paris à l’époque Liebermann et qu’il renouvellera avec la sienne propre ainsi au début des années 1980.
La relation de Noureev et de TchaÏkovski opère comme une lien naturel d’âme à âme ; c’est la raison pour laquelle le danseur chorégraphe aime passionnément réécrire des ballets sur la musique de son confrère romantique ; Pour Manfred et son action ciblant l’inceste (Paris, 1979), Noureev inspiré par Byron choisit encore l’univers symphonique et tourmenté de Piotr Illiytch. Même choix musical pour The Tempest d’après Shakespeare (Londres, 1982), où se taillant la part belle dans le rôle de Prospero, Noureev remodèle avec faste et intériorité la dramaturgie shakespearienne rehaussée encore par Tchaïkovski.

noureev_fonteyn_lac_cygnes_1965Pour le Ballet de l’Opéra de Paris, Noureev réécrit Le Lac des cygnes qui fait la part belle aux tableaux collectifs (dont la totalité du corps féminin sur scène, guirlande blanche et magique quand tous les cygnes sont sur scène), mais aussi à l’équilibre de chaque rôle dont évidemment les personnages masculins, redéployés. Ainsi pour les 20 ans du prince Siegfried, épris d’Odette (figure blanche) qu’il entend libérer de sa malédiction car elle a été changée en cygne. Mais parmi les prétendantes choisies par sa mère, se révèle la perfide Odile (la noire) qui a pris les traits d’Odette grâce aux manipulations de l’infâme Rothbart … Le stratagème et la tromperie ont fonctionné : Siegfried demande en mariage Odile. Le génie de Noureev (nommé en 1982 directeur de la danse à l’Opéra de paris) fait paraître chaque épisode avec Odette comme autant d’épisodes d’un rêve et d’un idéal amoureux inaccessible. Noureev a dansé le rôle de Siegfried, être ardent et insatisfait, emblème du désir romantique, dès juillet 1973 dans la Cour Carrée du Louvre (ballet de Vladimir Bourmeister), avec la troupe de l’Opéra de Paris, accompagné à ses côtés de la danseuse débutante alors Ghislaine Thesmar…  Production enregistrée à l’Opéra de Paris en 2005.
Dans cette version, la danseuse étoile incarnant Odette est aussi Odile : c’est un défi pour l’interprète que d’exprimer chacun des visages de la femme présente ; instance manipulatrice et séduisante d’Odile ; pure icône amoureuse pour Odile. La noire, la blanche … Agnès Letestu transfigure cette double présence avec la grâce et l’intelligence qui la caractérise. Un accomplissement au sommet de sa carrière.  L’écriture de Noureev si habile et esthétisante, favorisant la crédibilité du jeu de chaque danseur, le talent des danseurs parisiens font de cette production de 2005, un must absolu.
cygnes_lac_noureev_tchaikovskiChorégraphie de Rudolf Noureev d’après Marius Petipa et Lev Ivanov. Vello Pähn, direction. Avec les Etoiles et le Corps de Ballet de l’Opéra de Paris. Agnès Letestu (Odette/Odile), José Martinez (Siegfried), Karl Paquette (Rothbart) …

 

Notre avis.
Rudolf Noureev Le docu. Superbe documentaire signé Chloé Perlemuter et qui doit sa valeur à la richesse des illustrations visuelles où se croisent les visions multiples et très complémentaires de Charles Jude, John Neumeier, Matthew Bourne ou Rudolf Noureev sur le ballet le plus célèbre et le plus intime de Tchaïkovski. Outre la beauté inépuisable de la musique, c’est l’émergence subtile des épisodes de la vie du compositeur qui affleurent en maints endroits. John Neumeier peut même avec raison souligner la conjonction entre la figure de Siegfried, prince idéaliste, amoureux d’une illusion et de Louis II de Bavière, lui aussi porté par le même délire d’impuissance et d’esthétisme. A cela le chorégraphe d’une rare pertinence ajoute la propre vie de Tchaïkovski, existence frappée par une hypocrisie fatale, celle d’une sexualité interdite, tenue secrète mais qui dévore peu à peu l’esprit.
Oser jouer la carte de l’autobiographie sans rien sacrifier à la poésie des tableaux, voilà l’une des révélations éblouissantes du docu… et l’on comprend que Le Lac des Cygnes est loin d’être un poncif romantique vide de sens, aride en symboles, plat en imaginaire. C’est tout l’inverse.

Le film jongle d’un chorégraphe à l’autre, en suivant cependant le déroulement de l’action. D’acte en acte, on comprend comment l’amour d’Odette, le cygne blanc et pur dont est amoureux Siegfried voue à ce prince un rien trop naïf, un amour absolu, bien supérieur à son objet. Car le prince se laisse un peu trop facilement berné par Odette selon le calcul du magicien manipulateur Rothbart.
En trahissant le seul être qui pouvait le sauver, Siegfried partage avec son homonyme wagnérien, une impuissance virile qui le condamne définitivement.  Ici Siegfried se montre bien indigne de l’amour que lui porte l’aimée ; comme chez Wagner, Brunnhilde éprouve la trahison que lui inflige un héros bien peu loyal…

C’est toute la signification du final de Noureev où le prince seul sur terre tend vainement la main vers le ciel où s’élève les deux figures noires enfin triomphales, assassins du cygne blanc.

On est loin de cette tragédie psychologique dans les ballets décalés de Mats Ek (1987) où le suédois détourne l’action de son développement onirique et amer pour une farce souvent hystérique mais chromatiquement déjantée. Même surenchère chez Matthew Bourne (1995), ballet exclusivement masculin et homoérotique  où un héritier Windsor très british se laisse enfin réconforter dans les bras d’un apollon en collant après avoir essuyé les salves agressives d’une nuée d’hommes volatiles (torses nus et en boléro à plumes) dignes des Oiseaux d’Alfred Hitchcok. L’univers visuel de Bourne a été intégré dans la dernière scène du film Billy Eliott. Mais la vision est aussi sombre car le prince finit seul sur son immense lit royal, terrassé mort  après une nuit de transe et de possession fatale.

C’est bien la chorégraphie de Neumeier pourtant datée de 1976 (une précocité visionnaire) déjà qui ici se démarque largement du lot : profondeur, justesse, subtilité des parallèles Louis II/Tchaïkovski. Le cygne blanc c’est la femme idéalisée jamais  » consommée « , toujours mise à distance que le compositeur a lui-même rencontré et épousé, avec le drame que l’on sait. Même aspiration radicale au rêve, celui d’un prince au rôle étoffé dans le ballet signé Noureev en 1984 ; et pourtant la figure d’Odette n’en est pas pour autant diminuée, au contraire. « Tout le génie de Noureev, ajoute Brigitte Lefèvre, c’est d’avoir sur rendre au cygne blanc sa part féminine. Odette n’est pas seulement une figure idéale, c’est surtout une femme … « , qui souffre et palpite pendant toute la durée du ballet.

A travers la diversité des approches, Le Lac des cygnes créé en 1895, à la fin du siècle romantique doit à la complexité humaine du compositeur, sa force évocatrice, sa puissance poétique, toujours aussi vive, plus d’un siècle après sa conception.  Le propre des grands chefs d’oeuvre est leur capacité à susciter de nouvelles lectures qui n’en altèrent ni n’usent jamais l’insondable richesse sémantique et artistique. Magistral et captivant.

 

Illustration : Rudolf Noureev et Margot Fonteyn en 1965 à Vienne. Ballet de Matthew Bourne (DR)

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