vendredi 8 novembre 2024

Lassus: motets. La chambre musicale d’AlbertL’Echelle (1 cd Paraty)

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Réunis autour des deux fondateurs et chanteurs de l’Ensemble, Caroline Marçot et Charles Barbier, les solistes de L’Echelle (3 chanteurs et 2 à 3 instrumentistes) savent s’immerger dans le tissu polyphonique, ciselant cet art du contrepoint où toutes les parties sont égales et que Roland de Lassus (1532-1594), pensée musicale synthétique et universaliste au XVIème, a porté à un point d’excellence. La sélection des pièces est d’autant plus pertinente qu’elle souligne la finesse d’une écriture vocale (et instrumentale) exigeante et idéaliste, surtout, sur le plan du caractère, elle renseigne sur un désir d’approfondissement et une quête spirituelle non dénuée parfois d’inquiétude comme d’accents sincères, surtout sur le tard, aux portes de la mort quand dans la dernière partie de sa vie, Lassus l’européen se fixe à Munich, au service de la Cour des Ducs de Bavière, comme ténor et aussi compositeur. La Chambre d’Albert le Magnifique incarne alors l’une des chapelles les plus prestigieuses d’Europe, phare artistique à l’époque des guerres de religion. Lassus écrit en particulier pour les fils d’Albert, Ferdinand, Ernest, surtout le plus jeune, Guillaume.

En cela c’est un Roland/Orlando intimiste auquel cet album courageux rend hommage: pièces courtes en petits effectifs, séquences purement instrumentales insistent sur le génie Lassiste en 1577, en particulier dans les 12 duos en latin, interprétés ici pour la première fois dans leur intégralité. On ne boudera pas non plus son plaisir à l’écoute des pièces complémentaires dont la diversité (trios, pièces à 4 et 5 voix, diversement distribuées aux chanteurs ou aux instrumentistes), la haute vivacité elle aussi expressive et même poétique donne la mesure du génie lassiste: extension et nouvelles résonances du O bone Jesu à 3; surtout concentration extatique et rayonnante du Regina coeli à 5… qui révèle encore la maestria architecturée d’un Lassus, orfèvres des équilibres. Le visuel de couverture (montre de forme tambour de fabrication munichoise, 2ème moitié du XVIè siècle) le rappelle opportunément: sa musique se fait miroir d’une perfection à l’échelle du cosmos. La course des planètes et leur rondeur divine inspire à Lassus, une musique flamboyante et raffinée qui ne pouvait que plaire à la vanité des Grands de son époque. Mais, apport plus subtile encore, le geste interprétatif de L’Echelle défend un contenu autrement captivant où c’est l’humaine prière et l’incarnation palpitante qui suscitent l’adhésion.

Lassus le Magnifique

Les musiciens du nouvel ensemble L’Echelle regroupe les fleurons de la nouvelle génération d’interprètes, passionnés, engagés, audacieux aussi: prêts pour un premier disque à relever le défi de partitions parmi les plus virtuoses de la Renaissance. Leurs concerts à Paris (Invalides) ont montré aussi une attitude nouvelle vis à vis du public qui inscrit chant et jeu instrumental dans un rapport dynamique avec l’espace et le public.

Le soin des chanteurs dans la clarté articulée des figures et procédés de l’écriture apporte d’évidents bénéfices en particulier dans la recherche prosodique : l’éloquence des voix, leur flexibilité naturelle et franche, souvent en imitation ou en répétition, montrent combien Lassus ouvrage chaque figure contrapuntique en fonction du sens des mots; mélodie et polyphonie nourrissent les écarts et vertiges du geste vocal, l’investissent aussi d’une portée dramatique et théâtral; écoutez l’ampleur du n°6: une vivante scène riche en effets expressifs proches de l’hypotypose. C’est tout l’engagement d’un collectif à l’écoute de chaque partie qui assure la conviction de l’interprétation et en produit aussi l’extrême séduction (délices éthérés à 3 voix d’in pace in idipsum).

Le répertoire abordé est difficile, souvent austère à force d’application excessive: L’Echelle surclasse tout ce que nous connaissons jusque là; les chanteurs transportent l’acte de piété en souffle intense et lumineux, miroir d’une pensée musicale et surtout humaine, exceptionnelle. A la fin de sa vie, Lassus le catholique dépasse la simple question religieuse: en filigrane, transpercent ici au delà de la musique, aussi formellement parfaite soit-elle, les mouvements d’un esprit épris de perfection donc de doutes.

Or la contradiction profonde que sous-tend le geste accompli de L’Echelle naît de la justesse de leur approche: sous l’excellent contrepoint, serviteur du texte, bouillonne un génie curieux, interrogatif, insatiable. Grandeur et humilité; gloire et renoncement… perfection du métier (d’un équilibre harmonique proche de l’architecture vitruvienne) et tout autant… activité insatisfaite de l’homme, où malgré les hautes lumières divines, la terreur des ténèbres toujours présents, menace. On ne saurait produire meilleure compréhension de la musique du plus grand polyphoniste de la Renaissance.


La Chambre musicale d’Albert le Magnifique. Roland de Lassus (1532-1594) : motets (duos instrumentaux et vocaux, trios vocaux et quintettes). L’Echelle. Véronique Bourin (cantus), Lambert Colson, cornets. Sandie Griot, sacqueboute ténor. Emmanuel Vigneron, dulcianes. Caroline Marçot, Charles Barbier, chant (altus, ténor) direction. CD événement de la rentrée 2011: parution annoncée le 14 septembre 2011.
L’Echelle en vidéo
L’Echelle aux Invalides. Premières
images de notre grand reportage autour des concerts de l’Ensemble
L’Echelle aux Invalides. Le 14 mai 2011, pour la nuit des musées, les
chanteurs et instrumentistes de l’Echelle font dialoguer les armures
princières de l’Exposition « Sous l’égide de Mars », avec les musiques
sacrées et profanes de la Renaissance signées Lassus, Lejeune, Goudimel,
Monteverdi, Schütz… Expérience festive et recréative entre musique et
exposition
Roland de Lassus par l’ensemble L’Echelle. Le jeune ensemble L’Echelle renouvelle notre connaissance
de l’écriture de Lassus grâce à une approche interprétative neuve et
exigeante: Charles Barbier et Caroline Marçot, directeurs artistiques de
la formation vocale et instrumentale présentent leur démarche et
expliquent la singularité artistique de l’Echelle. Grand reportage vidéo
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