Le chapiteau abrite jusqu’à 1.200 places. Chacun y goûte les délices
multiples d’un grand concert symphonique. Parmi les festivaliers les
plus fidèles, beaucoup de locaux, venant de Lyon et de Grenoble, mais
aussi des Britanniques, premiers berlioziens de coeur et dont la colonie
d’admirateurs se retrouve chaque été à La Côte.
Notre premier concert rappelle la présence des orchestres pendant le
festival: incroyable renversement… quand Berlioz qui n’a probablement
jamais organisé ni dirigé de musiciens dans son pays natal, inspire
aujourd’hui tout un cycle orchestral, évoquant non sans raison quel
symphoniste de génie, visionnaire et expérimental, il demeure.
Symphonisme visionnaire au château Louis XI
Le programme est une parfaite illustration du visuel de l’affiche
officielle abordant l’équation magique d’un romantisme absolu, sans
limite, sauvage et même brutal par ses arêtes expérimentales: « Berlioz,
Liszt et le diable ». Liszt (année du bicentenaire oblige) et Berlioz
sont donc les deux figures de ce programme au contenu visionnaire.
Du premier, Les Siècles et François-Xavier Roth jouent la Dante Symphonie (1857),
triptyque vertigineux, convoquant le souffle d’une fresque de
Michel-Ange à la spiritualité wagnérienne. D’ailleurs, l’oeuvre est
dédiée à l’auteur de Parsifal: elle en annonce les éthers et les cimes
flottantes, ce merveilleux ascensionnel auquel aspire Liszt, apôtre d’une
nouvelle musique. Mais auparavant il faut traverser les cercles
mouvementés et agités des Enfers, puis du Purgatoire, suivre les
paysages terrifiants conçus par Dante: abîmes et abysses, vagues et
pointes sardoniques, magma barbare que la très riche palette dynamique
et l’engagement sans contraintes du chef exprime sans emphase.
C’est même le propre de l’orchestre Les Siècles sur instruments
d’époque: soutenir l’intensité d’une sonorité franche et claire sans
sacrifier la saveur des timbres restitués. De la puissance et de la
transparence: c’est une esthétique nouvelle au service des oeuvres
romantiques (voilà aussi pourquoi, la formation et son chef sont
régulièrement les invités du Palazzetto Bru Zane Centre de Musique
Romantique Française à Venise: l’Orchestre a déjà « recréer »: la cantate
Velléda de Dukas, contribuer à la redécouverte de partitions oubliées
comme La procession nocturne d’Henri Rabaud de 1899).
Travail d’orfèvre, d’une précision jamais mécanique, auquel François Xavier Roth
apporte une souplesse constante. Sans omettre la
profondeur: d’une oeuvre cathédrale qui doit décoller et atteindre les
cimes dont nous avons parlées (comme l’ouverture de Lohengrin).
Et pour coller à cette rencontre des arts, -(visible au Musée Berlioz
grâce aux oeuvres de Fantin-Latour, plasticien transcripteur des oeuvres de Berlioz exposition Fantin-Latour interprète Berlioz, jusqu’au 31 décembre 2011)-, François Xavier Roth
ajoute l’apport de l’image projetée: aquarelles et dessins sur le thème
de l’Enfer de Dante. Le trait incisif et l’imaginaire fantastique de
William Blake conviennent idéalement au Liszt démiurge, recréateur à la
croisée des arts. Pour articuler le texte du Magnificat final, le
concours du choeur préparé par Nicole Corti apporte la couleur vocale nécessaire pour que s’incarne cette aspiration transcendante à la pureté.
Autre perle symphonique associant instruments et choeur, l’opus à trois facettes : Tristia (1848),
qui malgré un apparent éclectisme formel, n’en conserve pas moins la
même main et le même caractère d’un épisode à l’autre: cette sensibilité
visionnaire et expérimentale d’un Berlioz qui dévore les grands auteurs
épiques (comme auparavant, en première partie, Liszt revisitait Dante),
se réalise d’après Shakespeare: évoquant Hamlet (Marche funèbre), une
méditation religieuse (la relation avec Liszt est encore plus
renforcée); surtout, la mort d’Ophélie, mélodie parmi les plus
parfaites d’Hector: chantée ici, dans sa version pour choeur et
orchestre. L’articulation et les modulations accentuées du texte sont
maîtrisées par un choeur toujours vivant et fusionné à l’orchestre. Si
la Dante Symphonie récapitule des Enfers à la lumière, toute la vie
musicale et spirituelle de Liszt, Tristia confirme l’audace d’un Berlioz
qui réinvente les formes du concert symphonique.