vendredi 29 mars 2024

Gioacchino Rossini: Le Voyage à Reims, 1825France Musique, dimanche 7 octobre 2012, 14h

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Gioacchino Rossini

Le Voyage à Reims
, 1825
France Musique
Dimanche 7 octobre 2012, 14h

Quelle meilleure version pour l’opéra officiel que Rossini écrivit pour célébrer le retour de la monarchie en France? Le délire comique, l’enchère et la surenchère vocale, mais aussi une savoureuse galerie de portraits composent l’un des opéras monarchiques à l’époque romantique parmi les plus inventifs de l’histoire du genre…
Bilan sur l’oeuvre, enjeux, genèse, approche critique de la partition créée en 1825. Facétieux Rossini à l’intuition jamais en reste d’un trait d’esprit..
souvent génial. Dans Le Voyage à Reims, le compositeur sait détourner
avec élégance, l’ennui propre à une commande officielle. Son dernier
opéra italien, qui lança aussi sa carrière parisienne donc française,
traite tout sauf le sujet principal de la commande: le sacre de Charles
X.

Une commande devenue comédie

D’un goût sûr, évitant la pompe et le cérémoniel, Rossini livre en 1825,
une paritition qui ne représente pas la gloire de la monarchie
française mais l’aborde par un biais détourné sur le mode d’une comédie
sociale savoureuse, dans un contexte dont l’imprévu crée le comique de
situation. L’opéra met en scène les péripéties d’une assemblée de gens
très exceptionnels, aristocrates, notables, diplomates… en voyage pour
le sacre du souverain français à Reims. Or ce qui ne devait être qu’un
état transitoire et passager se révèle sujet à rebondissements, et le
sujet principal de l’opéra. Le groupe d’individus synthétise toute la
bonne société des années 1820 et comme à son habitude, Rossini peint des
types forts caractérisés. A l’auberge du Lys d’or, un hôtel thermal qui
devient étape d’un séjour imprévu, se retrouvent ainsi plusieurs
tempéraments, chacun véhiculant histoire, désirs, passés complexes,
exarcerbés par la situation que dévoile l’ouvrage, à la fois comédie de
moeurs et miroir critique d’une société mixte. Une sorte de comédie
humaine, transposée sur le mode musical.

Nous devons à Claudio Abbado d’avoir ressuscité la partition que l’on
tenait pour perdue. A partir de la partition du Comte Ory (1828) qui
reprend une partie non négligeable de la parition originale du Voyage,
complétée par un corpus musical retrouvé à Vienne (correspondant à la
reprise du Voyage en 1854), il fut possible de reconstituer la partition
originelle que Rossini décidait de retirer des planches après la
quatrième représentation, suivant la création au Théâtre-Italien, le 19
juin 1825.

Galerie de portraits


A l’origine, la partition exige de l’auteur ses intenses qualités de
compositeur: il s’agit d’assoir sa réputation en France. De fait, la
partition outre sa royal destination, était destinée aux meilleurs
chanteurs de l’époque. Soit 18 solistes dont Giuditta Pasta (Corinne),
elle-même. Mais Le Voyage ne fut pas qu’une tribune à virtuoses. Rossini
échafaude un scénario et une intrigue certes spectaculaire mais aussi
vraisemblable, surtout un excellent moment de théâtre. Le librettiste
Luigi Balocchi s’inspire de Madame de Staël, royaliste reconnue, en
particulier de son roman à la mode, Corinne (détesté de Napoléon). Dans
le genre du romantisme à l’italienne, Staël raconte ses voyages
européens et son éducation sentimentale. Chaque rencontre est le sujet
d’une longue et fine description des types nationaux. Pour la création,
l’opéra comprenait un ballet final, signé Milon (maître à danser de
l’Opéra), employant 40 danseurs. La conclusion était une apothéose des
rois de France, commande oblige. Représentée devant le nouveau roi,
récemment sacré, Le Voyage fut créé à Paris, au Théâtre Italien, le 19
juin 1825, puis joué en public, les 23 puis 25 juillet devant une
audience fièvreuse et nombreuse. Une ultime représentation fut acceptée
par le compositeur, le 12 septembre 1825. Avec le recul, l’oeuvre de
Rossini échappe totalement à son prétexte historique: le compositeur y
dépeint à la façon de Balzac, la société monarchique de son temps. C’est
aussi sur le plan musical, une oeuvre sur le genre lyrique lui-même: en
offrant ainsi une scène à un collectif de chanteurs caractérisés,
Rossini semble faire la synthèse des emplois vocaux: sopranos
coloratoure, mezzo dramatique, ténors vaillants, comiques, barytons et
basses chantantes… L’oeuvre mérite assurément d’être réestimée. Elle
permet aussi, si la distribution suit les promesses de la partition, une
exceptionnelle palette de personnalités vocales.

Synopsis

Dans l’Hôtel de Plombières
, rebaptisé pour des raisons royalistes lumineuses, l’Auberge du Lys d’or, plusieurs bons vivants, ayant profité des eaux thermales locales, décident de se rendre au couronnement de Charles X
qui aura lieu le lendemain (historiquement, le 29 mai 1825 à Reims). La
propriétaire de l’Hôtel, Madame Cortese, soucieuse de défendre l’image
de son établissement dont les convives en partance pourraient être
d’excellents ambassadeurs, mandate Magdaleine et Don Prudence, le
docteur de la Maison, pour qu’ils encadrent et surveillent l’armée des
serviteurs chargés d’assurer les préparatifs du voyage à Reims.
La Comtesse de Folleville, parisienne obsédée par le dernier chic,
s’inquiète de ce que sa garde robe ait été détruite dans le transport
jusqu’au Lys d’or. Le baron de Trombonok, dilettante conciliant,
s’affaire avec loyauté. Don Profondo, antiquomane, se joint à l’amiral
Alvaro qui accompagne la marquise Mélibéa, jeune veuve polonaise d’un
général italien. Le Comte de Libenskof, général russe entreprenant se
dispute les faveurs de la belle Mélibéa, et défie même en duel Alvaro.
Paraît alors, en véritable prophétesse pacifiste, la poétesse romaine,
Corinne (référence explicite à la royaliste Madame de Staël) qui
improvise, selon l’antique tradition des poétesses grecques, comme à son
habitude, une ode de fraternité… (« Arpa gentil« ….). Accompagnée de sa harpe, l’inspirée s’affirme telle un nouvel Orphée féminin…


Pendant que chacun espère le venue des chevaux pour transporter la fière
troupe, Madame Cortèse observe Lord Sidney, rongé par un amour non
déclaré pour la belle et impressionnante Corinne laquelle est
accompagnée de sa suivante, une déliceuse grecque, Délia que la troupe
réconforte car elle s’inquiète de l’évolution de la guerre des grecs
pour leur liberté. Corinne doit aussi supporter la cour insistante que
lui fait Belfiore, Casanova caricatural pour lequel la belle poètesse ne
serait qu’un trophée de plus, dans une liste déjà longue de proies
européennes. Don Profondo qui en pince aussi pour Corinne, tente de se
distinguer en traçant le portrait des convices présents selon les objets
de valeurs qu’ils transportent (« Medaglie incomparabili »…).
Nouvelle terrible: les convives voyageurs apprennent qu’il ne reste
aucun cheval disponible pour les mener à bon port, jusqu’à Reims. Ils ne
pourront donc pas assister au Sacre de Charles X. Chacun décide de
prendre la diligence quotidienne pour regagner Paris dès le lendemain
matin: la ville s’apprête à fêter le souverain, après son sacre rémois.
Mais, souhaitant célébrer coûte que coûte l’événement royal, tous
organisent une fête le soir même au Lys d’or… Mais la querelle
qu’oppose Libenskof et Mélibéa assombrit le tableau. Heureusement leur
dissension s’atténue, et le duo amoureux roucoule de plus belle (duo: « D’alma celeste, oh Dio« …)


Final.
Dans les jardins de l’hôtel apprêté pour l’occasion, et
payé sur la cassette que chacun destinait aux frais du Voyage à Reims
(qui finalement n’aura pas lieu), se tient un somptueux buffet.
Musiciens et danseurs se pressent à la fête. Le Baron de Trombonok
propose de porter un toast à la famille royale: chacun s’empresse mais
dans le style de son propre pays. Dans les diverses tessitures vocales
préalablement caractérisées, Rossini expérimente les styles européens en
fonction des nationalités ainsi réunies. Corinne souligne l’événement:
la poétesse clame en l’improvisant, une nouvelle ode de son inspiration à
la gloire du nouveau monarque de France, Charles X.

CD


Claudio Abbado, 1984


Enregistré lors du Festival Rossini de Pesaro, Abbado fait des miracles
d’intelligence dansante et psychologique à la tête de l’Orchestre de
chambre d’Europe. Le maestro mêle au brio de la direction qui détaille
chaque idée rossinienne comme une pépite amusée, la cohérence de la
troupe d’individualités. La distribution est d’une tenue exceptionnelle,
articulant l’abattage rossinien avec naturel et style. Solistes: Katia
Ricciarelli (Madame Cortese), Lella Cuberli (Folleville), Melibea (Lucia
Valentini Terrani), Cecilia Gasdia (Corinna), Francisco Araiza
(Libenskof),Lord Sidney (Samuel Ramey), Don Profondo (Ruggero Raimondi),
Prague Philharmonic chorus. Chamber orchestra of Europe. Claudio
Abbado, direction. (2 cd Deutsche grammophon, récemment réédité en
juillet 2008 à l’occasion de l’anniversaire de Claudio Abbado.
Collection économique, « Grand Prix »)

Illustrations: portraits de Rossini et de Charles X (DR)

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