D’où vient la magie du Festival de Menton ? Comment le parvis de la Basilique Saint-Michel Archange est-il devenu ce haut lieu musical à la fois esthétique et acoustique, absolument saisissant ? Comment à chaque édition produire l’exceptionnel et favoriser la surprise et les découvertes ? PAUL-EMMANUEL THOMAS, directeur artistique de la manifestation provençale, nous dévoile une partie du mystère, d’autant plus qu’actuellement se précise une période charnière où il devient essentiel de savoir comment renouveler l’expérience du concert… La réussite de chaque édition tient au respect d’une équation spécifique, liée à l’esprit du lieu, celle du spectaculaire et de l’intime, en accord ténu avec l’Histoire du Festival, l’un des plus anciens de France.
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Grand portrait de Paul-Emmanuel Thomas (C) Patrick Varotto
Concert de Lucie Horsch sur le parvis de la basilique Saint-Michel Archange © classiquenews
CLASSIQUENEWS : Quels sont les éléments de la programmation de cette édition qui prolongent les éditions précédentes ?
PAUL-EMMANUEL THOMAS : Sur le temps long, des particularités essentielles se sont imposées ; d’abord une configuration spatiale atypique qui est celle du parvis Saint-Michel ; elle privilégie et empêche certains formats de concerts. Par exemple une symphonie de Brahms ne conviendrait pas au lieu ; les effectifs notamment de cordes ne pourraient pas prendre place, au regard de l’exiguïté du plateau. Or le parvis de la Basilique Saint-Michel Archange demeure la scène principale et constitue l’ADN très profond du Festival de Menton, même si nous investissons à présent d’autres sites ; mais le parvis continue d’être le cœur du Festival : sa configuration favorise la proximité entre la scène et le public, les artistes et les festivaliers ; l’espace en plein air y présente une acoustique remarquable qui permet de saisir chaque nuance, chaque détail infime. Et je rappelle souvent aux artistes qu’ils peuvent oser des pianissimi extrêmes : ils sont captés par le public sans entrave. Chaque auditeur retient sa respiration, tend l’oreille… Le phénomène est exceptionnel ; cet écrin bâti met à disposition une salle ouverte, de surcroît d’une beauté saisissante avec cette vue plongeante sur la baie de Menton et au loin, la côte italienne. Chaque concert, sous la voûte étoilée compose ainsi un moment magique qui marque durablement le spectateur. Par ailleurs, si nous veillons à atténuer toute nuisance sonore, nous restons dans le cœur de ville ; le lieu n’est pas totalement aseptisé ni réservé en huis clos à quelques privilégiés ; a contrario pendant le concert, les murmures de la ville participent au spectacle : les gens qui vivent dans les immeubles tout autour, les vacanciers ou les résidents qui sont sur la plage au bas du parvis… Tout cela contribue à la magie du Festival de Menton. Tout cela le rend vivant et singulier.
D’année en année s’est construit un certain type de programmation, et aussi une certaine famille d’artistes. Le caractère de l’architecture à la fois grandiose et intime imprime aussi sa marque ; il appelle des interprètes à la fois généreux et à fort tempérament, sans effet de manches ni paillettes ; dont l’authenticité s’accorde immédiatement à l’esprit du lieu.
Le récital de FAZIL SAY correspond à cette attente et à cette équation ; son programme, sa présence réactivent les seuls en scène que Liszt à mis à l’honneur au XIXè, à la fois comme interprète et comme compositeur, avec cette virtuosité contrastée, surprenante, capable d’emporter le public dans une aventure musicale totale.
© Ville de Menton
CLASSIQUENEWS : Y-a-t-il des nouveautés en 2024 ?
PAUL-EMMANUEL THOMAS : En accord avec le souhait du Maire de Menton, le Festival a investi de nouveaux lieux, en particulier le haut des vallées de la ville de Menton, d’où notre « festival Off » qui propose d’autres activités situées hors du littoral et qui s’adresse aux habitants des quartiers plus éloignés de la côte et du front de mer. Le festival doit favoriser au maximum la cohabitation la plus harmonieuse possible entre tous les habitants du territoire, quelque que soit sa relation avec le Festival ; qu’il s’agisse des mélomanes purs qui par amour de la musique classique assistent à tous les concerts ; qu’il s’agisse aussi des spectateurs pour lesquels le festival appartient depuis toujours au patrimoine de Menton… Cette mixité nous encourage et nous porte vers plus d’ouverture ; il faut décloisonner la culture et la rendre la plus accessible possible pour tous.
Par ailleurs, programmer un festival, c’est concilier le goût du public, les attentes des artistes, avec l’attrait des découvertes. Je veille à programmer de jeunes musiciens sur la scène du Parvis car ce sont eux qui vont écrire l’histoire de la musique de demain. D’autant plus s’agissant d’interprètes qui cassent les préjugés et créent la surprise.
Le concert d’hier soir avec LUCIE HORSCH (*) est en cela emblématique. Lucie est une artiste très simple ; d’autant plus convaincante que son instrument, la flûte à bec, a plutôt « mauvaise presse » : son intelligence artistique, son humour, son espièglerie aussi détonnent, surprennent, emportent l’adhésion du public qui ne s’attendait pas à une telle performance. Pour son 2è concert, les festivaliers ont pu retrouver l’étonnante virtuosité de Lucie cette fois dans un programme totalement baroque, répertoire qui est sa langue maternelle ; le fait de l’avoir défendu en complicité avec les musiciens du Caravensérail ajoute à la pleine réussite de la soirée ; programmer c’est aussi favoriser les accords gourmands, savoir associer les talents, renforcer les affinités ; de ce point de vue, le concert de Lucie avec Bertrand Cuiller et les musiciens du Caravensérail a été totalement convaincant. (*) concert du 31 juillet 2024 – Photo : portrait de Paul-Emmanuel Thomas (C) Patrick Varotto
CLASSIQUENEWS : Avez-vous des idées de nouveaux formats de concert, pour renouveler l’expérience musicale ?
PAUL-EMMANUEL THOMAS : Nous sommes à un moment charnière où la nécessité de réinventer le concert s’impose de plus en plus ; il s’agit moins d’imaginer du nouveau pour le nouveau, que d’être à l’écoute de ce qui est en train de se passer dans le monde. L’hybridation, la fin de l’hyper-spécialisation favorisent des expériences artistiques nouvelles ; c’était le cas par exemple à la fin du concert de Lucie, qui a posé sa flûte et … chanté, un air d’opéra italien. Il faut aller au bout des possibilités humaines et créatrices, tout en évitant de reproduire à l’infini et de répéter la manière habituelle de concevoir le concert. Chaque artiste a le désir d’aller toujours plus loin, de lever le voile d’après… il faut donc l’encourager et le suivre dans ce geste créateur.
CLASSIQUENEWS : Comme chef d’orchestre, que vous apporte la direction artistique d’un festival comme celui de Menton ?
PAUL-EMMANUEL THOMAS : En réalité, je me présente comme un musicien qui concentre plusieurs vies en une seule. Je n’aime pas les étiquettes qui réduisent et enferment les gens. Je suis programmateur, directeur artistique du Festival de Menton, et tout autant chef d’orchestre ; je suis même diplômé en oléologie ; à ce titre je suis donc un dégustateur, spécialiste de la dégustation des huiles d’olive… essentiellement françaises (dont l’AOP de Nice). J’ai donc il y a quelques années repris des études à l’Université de Montpellier pour obtenir le diplôme. En réalité les expériences s’alimentent les unes avec les autres, plutôt qu’elles ne s’éloignent les unes des autres. Comme musicien, je connais les conditions essentielles pour que la magie opère. Pour l’artiste invité, il est primordial de produire la curiosité et l’envie de la rencontre avec le public pour que se réalise de sa part, au moment du concert, l’envie de générosité et de partage ; chacun espère l’instant suspendu qui nous rend plus vivant, qui nous sort du quotidien, qui nous transforme.
Propos recueillis en août 2024
La Basilique Saint-Michel Archange © classiquenews.com
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75ème Festival de MENTON, jusqu’au 12 août 2024. Toutes les infos et le détail des programmes : https://www.festival-musique-menton.fr/
Au programme des derniers concerts : NELSON GOERNER, piano (Schumann, Liszt, … sam 10 août à 21h30), Soirée Jeunes talents de la Fondation Gautier Capuçon (dim 11 août, Palais de l’Europe à 18h), clôture lundi 12 août à 21h30, Parvis de la Basilique Saint-Michel Archange avec Renaud Capuçon, violon et Guillaume Bellom, piano : Brahms, Richard Strauss, musiques de films…
CONSULTER la BROCHURE en ligne ici : https://www.calameo.com/menton/read/001905724cd42cf8b71a4
Critiques Festival de MENTON 2024
LIRE aussi notre critique du récital du pianiste FAZIL SAY, le 31 juillet 2024 : https://www.classiquenews.com/critique-festival-75eme-festival-de-menton-le-31-juillet-2024-recital-fazil-say-piano-debussy-ravel-mozart-say/
LIRE aussi notre critique du concert de LUCIE HORSCH, le 30 juillet 2024 : https://www.classiquenews.com/critique-concert-menton-le-30-juillet-2024-concert-baroque-carnaval-a-venise-lucie-horsch-flutes-le-caravenserail-bertrand-cuiller-direction/
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