vendredi 19 avril 2024

ENTRETIEN avec Léo Marillier, à propos de la 8è édition du Festival INVENTIO 2023 …

A lire aussi

 

En Seine-et-Marne, le Festival Inventio rayonne dans les sites patrimoniaux du territoire, partant à la rencontre de tous les publics. La musique imprime à chaque écoute son empreinte sans pourtant tout dévoiler de son activité profonde. A chaque nouvelle exécution, se révèle son propre dévoilement. Le titre de l’édition 2023 « Portée de la musique », indique cette faculté de l’impression et du renouvellement. Le Festival Inventio souligne le pouvoir fascinant de la musique, son emprise à l’écoute qui touche et envoûte, à chaque réalisation, différemment… Son directeur le violoniste Léo Marillier (membre du Quatuor Diotima) précise les enjeux d’une nouvelle programmation passionnante. Pour en réaliser chaque jalon, Léo Marillier invite des « artistes-explorateurs »… qui dans l’intention du concert, font naître des questions sur le sens de leur geste : « désir ? Puissance ? Manque ? « … La création du spectacle « Une nuit avec Faust » (22 juin), temps fort 2023, conçu par le bouillonnant directeur, en rappelant la place (privilégiée) des partitions nouvelles, interroge la question existentielle que pose le mythe fixé par Goethe, « hanté par la finitude et notre déchéance », devons-nous, chacun, s’enivrer dans l’oubli des plaisirs ou en acceptant la mort, réaliser une existence d’autant plus éthique, morale, responsable ? De toute évidence, Inventio, porté, façonné par son directeur qui est aussi compositeur, est un festival laboratoire hors normes ; il interroge le monde, l’art, les artistes, les publics. De quoi réinventer et réenchanter l’espace social et politique qui en ont bien besoin. Grand entretien avec Léo Marillier pour classiquenews.

 

 

 

LIRE aussi notre présentation générale du Festival INVENTIO 2023 : « Portée de la musique » – du 13 avril au 23 septembre 2023 :
https://www.classiquenews.com/paris-et-77-8eme-festival-inventio-du-13-avril-au-23-septembre-2023-leo-marillier-portee-de-la-musique/

________________________________________________

 

Photo : © Franck Jaillard

 

 

CLASSIQUENEWS : En choisissant la thématique générale « Portée de la musique » pour fédérer l’édition 2023, qu’avez-vous souhaité mettre en avant ?

LÉO MARILLIER : Le choix du thème est probablement d’abord inconscient de ma part en vertu ou à cause des crises successives depuis 2020, traversées par notre société et par chaque individu qui la compose.
Je constate également que plus je fréquente la musique, plus je constate qu’elle laisse sa marque en moi, en nous. Si une musique donnait tout son sens au bout d’une écoute, aucune pièce ne serait rejouée. Ce serait juste un puzzle qu’on assemblerait une fois. Une fois tamisé par la sensation, que reste-t-il du filtre de ce passage dans notre mémoire ? Etre capable de chanter une musique après écoute prouve-t-il qu’on a accédé à son sens ou à son phénomène? Comprend-on l’âme de l’œuvre ou en a-t-on assimilé simplement la surface ?

 

 

Comprend-on l’âme de l’œuvre
ou en a-t-on assimilé simplement la surface ?

Le thème « Portée de la musique » porte cette ambiguïté l’édition. Si la musique ne s’adressait qu’aux sens, la musique se résumerait à un opium. A l’inverse, si la musique était pure signification, accessible immédiatement et si de ce fait elle s’ancrait dans la mémoire, il n’y aurait pas non plus besoin d’écouter plus d’une fois une musique pour la résoudre. Les deux extrémités de ce curseur produisent curieusement le même résultat. Et c’est précisément l’équivoque sensation / sens que chaque œuvre porte qui la rend passionnante et fréquentable.
Portée de la musique, c’est mettre en avant le pouvoir, la puissance de la musique. Quand Bartók écrit « Mikrokosmos » – qui sera interprété pendant le Festival INVENTIO par le duo de guitares Kappes- Ramond à la Galleria Continua Les Moulins -, il est résolument pionnier en compilant pendant des années toutes les œuvres de tradition orale d’Europe centrale. Avec ce relevé, le compositeur élève le local à l’universel, et brave son époque innervée par le culte de l’innovation et une modernité parfois ignorante de ses racines. La sonate pour violoncelle de Kodaly (qui sera jouée le 2 juillet par Emmanuel Acurero au Château de Flamboin) est plus clairement un acte de résistance contre l’empire austro-hongrois. Au-delà d’être une œuvre écrite pendant la guerre en 1915, l’œuvre de Kodaly reprend des codes musicaux de la tradition germanique et les balkanise. Le compositeur s’empare du violoncelle aux sonorités chaudes et le malmène pour en faire un instrument fougueux, rugueux. L’image d’Epinal du violoncelle, mélancolique ou chevaleresque en est bousculée. Schubert – que nous croiserons à plusieurs reprises pendant le festival – est de plus en plus hanté à la fin de sa vie par ses tentatives d’écrire de la musique «convaincante»autrement que comme Beethoven l’a fait. Littéralement obsédées par la figure de Beethoven, ses œuvres inachevées s’expliquent ainsi : l’alliage entre le monde intérieur de Schubert et les demandes formelles de la musique instrumentale, se solde par des échecs. Schubert échappe à la confrontation avec le lied auquel Beethoven ne s’est pas arrêté mais va au front avec les sonates pour piano auxquelles nous rendrons hommage lors du concert de clôture de l’édition 2023 avec David Saudubray. Au moment de la publication de son quatuor avec piano – joué à l’église Notre-Dame de Bannost-Villegagnon le 9 juin – Brahms formule une étrange requête auprès de son éditeur ; il s’agit d’insérer sur la couverture de la partition la représentation d’un homme qui se met un pistolet sur la tempe. Comment expliquer la violence d’une telle illustration ? Le quatuor avec piano, comme toute pièce de Brahms, est relié à ses déboires sentimentaux avec Clara Schumann. Mais le cocon sentimental et thérapeutique du début de l’œuvre trouve sa résolution dans un élan humaniste avec un choral de Bach final qui éclaire le tourment biographique. Cette narration à l’intérieur de l’œuvre se dédouble dans les deux versions de l’œuvre (rappelons-le écrite sur 20 ans !) dont nous bénéficions. La première version en do dièse mineur est plus amère, plus difficile. La deuxième en do mineur, est moins tendue, plus apaisée. Nous jouerons donc, Orlando Bass, Arthur Heuel, Tess Joly et moi-même, ces deux versions, encadrant le concert ; cette initiative et expérience pour sensibiliser le public à l’impact de la tonalité sur la présence et le mouvement vers la lumière, démontrant le pouvoir expressif et affectif des tonalités est, je pense, inédite au cours du même concert.
La résistance d’une œuvre se perçoit sans nul doute avant d’être comprise. Mais la partie du sens porteuse de la résistance tantôt personnelle et biographique, politique et sociétale, idéologique s’estompe-t-elle avec le temps au profit d’un chatoiement sensoriel ?
Nous nous intéresserons également au fil de l’édition à l’intention, à la perspective de celui qui crée : désir ? Puissance ? Manque ?
Dans les notes de programme, chaque pièce du festival plutôt que d’être pièce de musée, exhibée, est mise en regard par rapport aux autres et justifiée dans le fait qu’on la joue aujourd’hui. Notre volonté : mieux faire comprendre le parcours unique et la genèse des œuvres choisies – et leur portée, soit le rapport entre ce qui a motivé leur création et la part de cette motivation qui survit jusqu’à aujourd’hui.

 

 

Photo : © Aurélien Melior

 

 

CLASSIQUENEWS : Quelles formations musicales et quels profils artistiques avez-vous sélectionnés pour cette nouvelle programmation ?

LÉO MARILLIER : J’ai souhaité choisir et donner à entendre des musiciens-explorateurs. Des interprètes qui envisagent la préparation d’une œuvre comme un processus d’ouverture, qui laissent s’exprimer une sensibilité mobile et renouvelée par rapport à la pièce. J’aime que les musiciens jouent à assembler certains programmes éclectiques.
Les formations musicales, plutôt intimes, donnent à entendre des instruments souvent complémentaires. Ainsi le duo accordéon / guitare de Bastien Pouillès et Benoît Segui qui s’inscrit dans une histoire courte d’à peine un siècle, est par essence une formation résistante aux attentes acoustiques du public. D’autres formations comme le théorbe / viole de gambe /clavecin de l’Ensemble Barbaroco, le duo de guitares, le trio à cordes que Pierre Strauch, Laurent Camatte et moi-même formons, au contraire, explorent le potentiel de la gémellité instrumentale et portent à l’oreille des différences subtiles de sonorité, engageant le public sur le chemin de la nuance. Le festival INVENTIO propose aussi la traversée de l’imaginaire d’un seul instrument avec le récital pour piano et le récital pour violoncelle. On pourrait penser que le quatuor avec piano est un fleuron de l’héritage romantique mais son hybridité rend l’équilibre entre les voix, fébrile, voire volcanique.

 

 

 

Photo : © Franck Jaillard

 

CLASSIQUENEWS : Comment cette édition 2023 s’inscrit-elle dans le sillon des précédentes ?


LÉO MARILLIER : Depuis 2020 avec l’édition « Ecouter voir » et en 2021 avec « Notes de voyage », je m’attache à faire circuler l’accès à la musique à travers également d’autres medias que le concert : cinéma, théâtre, expositions, ateliers… Démarche inspirée par une conviction personnelle qui me semble constituer aussi un levier d’intérêt puissant pour le public. La musique est reliée aux autres arts bien entendu et surtout la musique dans son frottement au visuel, au kinesthésique, au texte se compare, se pare … Ainsi, le cinéma est né en réaction à la peinture et à la photographie – « movie » – mais pour grandir il a eu besoin du sonore pour créer de la narration au-delà des images et des dialogues. Au mois de mai, je partagerai avec le public des scènes emblématiques de films – empruntés au patrimoine des années 1920 et 1980 : Murnau, Keaton, Gance, Kubrick, Tarkovski, Blier. – pour accompagner ce débat : « Le cinéma peut-il être musical ? ». Le cinéma du fait de sa palette, de sa construction propose un objet poli ; le concert, du fait de ses qualités évanescentes, fait appel à des capacités de notre attention, de notre jugement moins contrôlables, plus subjectives évidemment, peut-être plus profondes. Le festival propose de faire exister la musique en-dehors de l’espace imaginaire personnel qu’est le concert – même si la place de ce format reste prépondérante. En tous cas, je suis convaincu que les expériences pluridisciplinaires soit consolident le rôle mystérieux de la musique dans nos vies, soit rapprochent la musique d’une expérience esthétique plus tangible. « Se servir » de la musique ne la dénature pas ; c’est au contraire une preuve de sa force si elle arrive à s’infiltrer dans tant de situations.
L’édition 2023 accorde par ailleurs une place grandissante aux instruments soumis encore à des a priori – je pense notamment à la guitare ou l’accordéon. Quand l’attente est brisée, l’expérience impose la curiosité. Nous accueillerons notamment cette année une création pour duo de guitares de Jean-Pascal Chaigne, une autre pour accordéon et guitare de Sylvain Griotto
Et dans la continuité des autres éditions depuis 2016, je favorise dans les programmes l’alternance entre pépites anciennes et contemporaines, œuvres moins connues et grand répertoire, – car tout peut arriver dans une petite œuvre, et tout arrive dans une grande.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : La place accordée à la création est une constante d’édition en édition. Parlez-nous de votre nouveau spectacle dédié à la figure de Faust (Une nuit avec Faust, les 22 et 24 juin)? Comment s’inscrit-elle par rapport à la création 2022 où vous interrogiez l’Ulysse de Joyce?


LÉO MARILLIER : Ulysse de Joyce et Faust m’accompagnent depuis plusieurs années : Ulysse depuis 2016, date de ma première lecture du roman, coup de foudre immédiat suivi de nombreuses tentatives pour me l’approprier : défi de la traduction de l’anglais vers le français (que je tente, soyons fou… j’en ai pour 10 ans… au moins) et effectivement la fantaisie théâtrale « L’Autre Ulysse » commise l’an dernier. Je tenais à célébrer Ulysse à ma manière, en hommage à la publication du centenaire du roman ; car, surtout, il interroge la liberté, l’exil, la jeunesse, l’ivresse du savoir. Les deux spectacles sont vraiment des refontes complètes, des fantaisies à partir de leur matériau d’origine.
En tant que musicien, je dois ma première rencontre avec Faust à 14 ans grâce à la pièce de genre Faust Fantaisie de Wieniawski, illustration brillante et acrobatique des joutes des éliminatoires de concours, point de passage obligé de la formation des virtuoses. Passionné d’arrangements et de transcriptions qui constituent pour moi la meilleure façon de pénétrer une œuvre musicale, j’ai consacré mon premier disque à l’enregistrement de fantaisies d’opéra. Plus de dix ans après, j’ai décidé à plonger dans le matériau de ce mythe d’une telle richesse qu’il se doit d’être amarré sans tabou à différents champs artistiques, espérant que le spectacle « Une nuit avec Faust : œuvres musicales, apparitions théâtrales et autres diableries » livrera quelques-uns des secrets, des ambiguïtés qui définissent Faust ; résolument pluridisciplinaire, le spectacle rogne la frontière entre le sens et le sensible.
Fasciné par la portée de la vérité, Faust pose une problématique tellement actuelle – faut-il vivre au jour le jour de plaisirs, sans horizons, ou bien être plombé par sa propre conscience, hanté par la finitude, l’inéluctabilité de la déchéance ? Quelle est la portée de Faust aujourd’hui – que dit-il des choix, des diables, des salvateurs, de l’homme et de la femme aujourd’hui ? Ce mythe du tourment de l’homme s’égare-t-il ou garde-t-il sa part d’éternité ? Le spectacle propose une trajectoire originale des visions qu’il a inspirées.

Mais comment peut-on bousculer et honorer à la fois des sources légendaires et répondre à la multiplicité du sens du mythe sans tomber dans l’emphase romantique, gothique, apocalyptique, tout en mettant en valeur la qualité des œuvres littéraires et musicales qui en sont le fruit, dans un seul et même spectacle ?

 

 

Création 2023
 » Une nuit avec Faust  » 
concert théâtral et chorégraphique

L’enjeu est de taille. Je remercie au passage Patrick Melior pour sa précieuse contribution à l’adaptation des textes de Goethe. Musiciens et acteurs, armés de notes et de mots, refont le chemin, créent de nouveaux agencements, de nouvelles passerelles, et tentent de dévoiler chacune des œuvres fascinées par Faust dans sa singularité. Dans la conception de ce « concert théâtral et chorégraphique », œuvres musicales et poésie dramatique sont mêlées pour une sorte de voyage initiatique, imprévisible et mouvementé, à l’instar des aventures de Faust. D’un langage à l’autre, les visions se superposent et se ramifient : cette plongée dans le mythe devient tour à tour ou simultanément, divertissement, quête spirituelle, réflexion critique, et toujours terrain d’expérimentation. Terrain d’expérimentation mené avec le Théâtre du Voyageur et mon merveilleux complice au piano, Orlando Bass sur lequel nous avançons avec en tête une obsession: s’emparer sans tabou des textes d’origine pour prouver le côté invincible de l’inspiration de Faust.
Je reprendrai si vous le voulez bien quelques mots de Chantal Mélior, metteure en scène géniale qui m’accompagne dans ce projet pour évoquer le spectacle : « Comme le docteur Faust, nous nous donnerons un peu au diable de la scène et aux apparences, au spectacle, au plaisir, au jeu, à la farce, au mélodrame, au cabaret berlinois, et à la danse… mais encore à la tragédie, et à la poésie. Il s’agit bien de faire écho à la multiplicité des sources par une diversité de registres, de formes et de traitements de l’espace.
Ici, le théâtre se glisse dans les interstices comme le diable… La mise en scène se fera mise en présence(s): formes, fantastiques et réalistes, fantomatiques, métamorphoses, apparitions, disparitions, visions, personnages seuls ou en chœur, surgissements d’une image, d’une parole, d’une danse, d’un silence, tous enfantés par l’esprit de la musique selon l’expression chère à Nietzsche). L’approche des textes sera variable selon leur nature et leur dynamique : ils seront incarnés, rythmés, ou donnés à entendre, sans oublier une courte apparition subliminale de Marguerite se désespérant dans la langue de Goethe. Les contraintes liées à la place centrale dévolue aux musiciens et au piano contribueront aussi à créer une géographie particulière. L’espace de jeu des acteurs évoluera en marge du plateau ou se mêlera parfois aux musiciens pour en faire d’autres acteurs. Nous travaillerons sur les perspectives, les lignes horizontales et verticales, sur les cadrages pour délimiter des ilots, sur les manières de se mouvoir et de se fondre, en jouant sur les changements d’échelle, notamment avec des marionnettes (on dit que Goethe a pris goût au théâtre en assistant à un spectacle de marionnettes).

Et comme Faust est d’abord un récit fabuleux d’origine populaire, quelques marionnettes deviendront des partenaires de jeu pour les acteurs qui les manipuleront à vue.
Enfin, l’ensemble des scènes, même lorsque celles-ci se présentent comme réalistes, baignent le plus souvent dans un climat onirique. Le jeu, les voix, les costumes, les marionnettes et les jeux d’ombres et de lumières – clair-obscur, brumes nordiques ou éclairage surexposé – concourront à ce voyage mystérieux ; car, Goethe l’a compris comme Nietzsche, celui qui tente de dévoiler la face cachée de l’être, ne trouve rien derrière le voile, sinon un autre voile … »
De quoi donner envie, j’espère, pour nous rejoindre le 22 juin au Théâtre du Voyageur à Asnières pour l’avant-première et le 24 juin au Musée vivant du chemin-de-fer à Longueville.

 

 

Photo : © Franck Jaillard

 

 

CLASSIQUENEWS : Vous présentez deux autres œuvres personnelles en création : « Tout refaire » le 9 sept puis en clôture « Altar », le 23 sept. Pouvez-vous nous préciser l’enjeu et le sujet de chacune d’elles ? En quoi répondent-elles aussi à la thématique 2023 ?


LÉO MARILLIER : « Tout refaire » est une pièce pour quatuor avec piano esquissée en 2019 – une pièce en forme d’essoreuse ! Beaucoup d’idées y sont brassées – et le but n’est pas leur expression, mais leur vidange. Que se passe-t-il après l’idée ? Quelle est sa portée ? Tient-elle debout ? Doit-elle être développée ? Abandonnée ? Avec un filtre de conscience minimum, et par respect pour le chaos et la révolte, j’ai privilégié un équilibre dans la pièce qui n’est pas formel mais s’appuie sur l’énergie. Comme dans toute forme d’écriture automatique, l’œuvre est impatiente, nerveuse, saturée d’idées. La saturation donne l’impression de continuité. C’est aussi une œuvre un peu à part dans ma production car elle ne fait pas référence musicale d’où son titre.
 » Altar « , suggère un autre type de portée, bien plus dérangeant. A l’origine de la pièce, il y a le « livre des Tables » de Victor Hugo, qui rassemble les comptes-rendus des séances de spiritisme auquel il participait pendant son exil anglo-normand. Œuvre complètement fantasque, à peine de la plume de Hugo, fontaine à misère personnelle, où depuis sa solitude il demande à Shakespeare « que penses- tu de moi », règle ses comptes avec Napoléon l’Aiglon, donne ses mots, ses vers, aux plus grands, s’interroge sur la question de la propriété intellectuelle (qui possède l’art, le créateur, Dieu, le lecteur ?). De cette lecture franchement déroutante, j’ai voulu écrire une pièce où les paroles, les propriétaires intellectuels se mélangent, jusqu’à former un genre de marée, de flux d’informations difficilement traçable.
La pièce sera créée par David Saudubray. « Altar », forme une sorte d’appel, de résistance contre le silence. Altar, mot anglais pour ‘autel’, invoque aussi un rapprochement avec l’Autre (alter)…. La table tournante du spiritisme, cette porte vers l’au-delà avec ses trois pieds qui craquèlent, épellent, dénoncent ou promettent a fasciné Hugo… elle a crevé les abcès suscités par trois traumatismes majeurs : politique, personnel et créatif. Le rapprochement entre la table et le piano m’est venu tout de suite à l’esprit ; autre table messagère, le piano, et ses trois pieds, ses borborygmes et confidences sonores adressés à l’audience, le vacillement, le grondement de l’instrument provoqués par l’interprète… « Le livre des Tables », production spontanée d’images, de fantasmagories, d’allégories, se voile, se dévoile, se livre à la manière d’une succession de rêves, par des processus combinés de déplacement, remaniement, projection…. Ainsi composer s’appuie sur un socle mémoriel forcément lui aussi remanié, censuré, maquillé. En tous cas, il existe une porosité à un héritage musical dont je cherche à m’affranchir. Mozart, Beethoven et aussi Lachenmann, Boulez, Furrer, m’ont donné l’impulsion de composer et de me frayer un passage, la création, à travers ce legs, grâce et malgré cet héritage. Le sujet de la pièce « Altar » – L’Autre – est précisément l’assujettissement, processus fait d’ambiguïtés, de contrariétés et de richesses, où l’on gravite et progresse entre être assujetti et devenir sujet. L’impression de forme ouverte vient de la recherche volontaire de parentés entre différents matériaux harmoniques se confondant, via l’usage de la pédale, de l’agrégation presque indifférenciée d’idées musicales. La pièce glisse entre la mémoire que j’ai de certaines pièces du répertoire et ma prise sur ce dernier. Son contenu est donc en quelque sorte autobiographique.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Les concerts ont surtout lieu en mai et juin, puis en septembre … expliquez-nous en quoi cette chronologie donne un rythme et un fonctionnement particulier au Festival Inventio.

LÉO MARILLIER : Festival qui est presque une saison… En fait, ce rythme est notamment dicté par l’implantation et le rayonnement du festival. Nous déployant principalement dans des sites patrimoniaux et insolites seine-et-marnais, j’ai à cœur de faire bénéficier le public rural, par définition éloigné des centres culturels (fonctionnant quant à eux de septembre à mai) de spectacles musicaux et culturels. Mes racines natales provinoises sont à l’origine de cet ancrage territorial. Le rythme des événements est dicté par le tissu socio-culturel local. En effet, ce territoire abrite aujourd’hui une majorité de « rurbains », travaillant en semaine à Paris, rentrant donc tard le soir chez eux. Il est évident que leur vie – difficile – impose des sorties à réserver le week-end. Cet étirement des rencontres a pour avantage de créer du lien, et une attente certaine chez nos spectateurs, chaque année aux rendez- vous. Fonctionnement rendu possible grâce aux forces vives – les bénévoles – ; en effet, le festival repose sur un socle associatif courageux et tellement dévoué.

Propos recueillis en avril 2023

 

 

Photo : © Franck Jaillard

 

__________

TOUTES LES INFOS sur le site du FESTIVAL INVENTIO 2023 ici :
https://www.inventio-music.com/programmation-festival-2023/?utm_source=sendinblue&utm_campaign=lancement%20dition%202023%20festival%20INVENTIO%2013%20mars&utm_medium=email
CONTACT : [email protected] ou 01 64 01 59 29

 

 

 

 

LIRE aussi notre présentation de la 8ème édition INVENTIO 2023 :

PARIS et 77 : 8ème Festival INVENTIO : du 13 avril au 23 septembre 2023 / Léo Marillier : « Portée de la musique »

 

 

 

 

 

____________________________________

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

CRITIQUE, concert. LILLE, Nouveau Siècle, le 18 avril 2024. SIBELIUS : symphonie n°7 [1924] – BEETHOVEN : « GRAND CONCERTO » pour piano n°5 « L’Empereur » [1809]....

SUITE & FIN DU CYCLE SIBELIUS... La 7ème est un aboutissement pour Sibelius pour lequel l'acte de composition est...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img