Hommage à Thérèse et au Paris des années 1890… En rappelant la place centrale de la pianiste Thérèse Roger, liée au destin de 3 compositeurs français parmi les plus essentiels : Debussy, Fauré, Chausson, la pianiste Christine Fonlupt éclaire la musique pour piano française autour de 1890. Comment écrire après Wagner, et non d’après Wagner ? La question inspire Debussy pour des pièces qui revisitent le passé hexagonal, inaugure ainsi un nouvel ordre musical qui inspire à son tour Chausson (« Quelques Danses » opus 26 (1896). Fauré dédie à Thérèse Roger l’un de ses cycles les plus développés et les moins connus, révélé ici : « Thème et Variations ». Enjeux, explications.
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CLASSIQUENEWS : En quoi la Suite Bergamasque de Debussy vous fascine-t-elle depuis toujours ?
CHRISTINE FONLUPT : La suite Bergamasque m’a toujours fascinée, je me retrouve enfant, écoutant ces pièces dont le son sortait des disques vinyles de mes parents qui écoutaient toujours Debussy, et me créant des histoires magiques sur ces notes envoûtantes et comme sorties d’un autre temps, d’un autre monde.
CLASSIQUENEWS : De quelle façon Chausson leur rend-t-il hommage dans ses Quelques danses opus 26 ?
CHRISTINE FONLUPT : Chausson et Debussy, une intense histoire d’amitié et d’admiration mutuelle qui se solde par une rupture en 1894 à cause de l’affaire Thérèse Roger, personnage central de mon album. Chausson n’hésitera pas à aider financièrement Debussy à plusieurs reprises quand celui-ci manquera d’argent. En écrivant ces Quelques Danses en 1896, après leur brouille, Chausson s’inscrit dans un retour aux suites de Danses dans le style baroque, mouvement initié par Debussy avec la Suite Bergamasque, publiée la même année en 1896 (Mais aussi Fauré avec sa Pavane et le Cantique de Jean Racine). Chausson se libère peu à peu du côté romantique de son écriture influencée par César Franck (le Concert op 21) pour simplifier son discours et le colorer avec de nouvelles approches harmoniques.
Comme chez Debussy et son évocation du Clair de lune, inspiré du fameux poème de Verlaine, « Les Quelques danses de Chausson expriment avec un charme particulièrement prenant tout ce que ce rêve du passé peut receler de nostalgie »
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5698317q/f132.image (Collectif, Aperçu d’un catalogue historique de l’œuvre française de piano, Montauban, Académie des sciences, belles-lettres et arts de Tarn-et-Garonne, 1913).
Debussy rendra hommage à titre posthume à son ancien ami (Ils ne se réconcilieront jamais car Chausson va mourir en 1899 d’un accident de vélo) en écrivant en 1903 sur les « Quelques Danses » : « On doit les aimer toutes, ces danses ; pourtant, je dirai ma particulière dévotion pour la Sarabande. Pourquoi faut-il que l’émotion qu’elle me donne s’augmente douloureusement du sentiment qu’il n’est plus parmi nous, qu’on ne reverra non plus la bonté bienveillante et sûre de son sourire ».
CLASSIQUENEWS : Vous dévoilez une partition peu connue de Fauré, de surcroît l’une des plus développées au piano, son « Thème et variations »opus 75 (1895)? Que révèle-t-elle de Fauré et quels en sont les défis pour l’interprète ?
CHRISTINE FONLUPT : J’ai choisi le Thème et Variations de Fauré tout d’abord en raison de sa dédicataire, la même Thérèse Roger évoquée plus haut, mais aussi par l’émotion que me procure cette oeuvre : J’ai toujours été très sensible à ce thème un peu austère et presque funèbre et pourtant grandiose? Puis s’enchaînent les variations : la première qui pour moi évoque la phrase de violon solo du Sanctus dans le Requiem, l’emphase généreuse et puissante de la 4e, la beauté pure et suspendue dans le temps de la variation 9. Fauré, malgré la contrainte liée à la forme, réussit un bel exploit de palettes sonores riches et inspirantes, chaque variation étant comme une pièce à part entière avec son univers bien précis, qui peut être tour à tour solennel, recueilli, mais également exubérant, voire avec une certaine virtuosité. La difficulté d’exécution vient de l’écriture très concise et très différente de chaque variation, mettant en lumière des modes de jeu très variés, une grande précision des plans sonores, des registres, comme dans une partition pour orgue, à tout cela on ajoute une véritable ligne de tension, rythmique et harmonique, qui se répète et se lie, variations après variations. C’est une oeuvre très physique !
CLASSIQUENEWS : Vous ajoutez 4 pièces du Debussy de 1890 : qu’apportent-elles comme éclairage sur le compositeur et son écriture ?
CHRISTINE FONLUPT : Ces premières pièces étaient importantes pour la genèse de l’écriture pianistique de Debussy. Les arabesques et la rêverie, véritables bijoux du piano, oeuvres tellement connues et jouées sont un petit clin d’oeil à mes élèves qui tous souhaitent jouer ces pièces à un moment de leur vie ! La ballade en revanche est une véritable découverte, grande oeuvre poétique, à mi-chemin entre la variation let les formes plus classiques que Debussy reprendra dans les pièces de la Suite Bergamasque. On est aussi à la croisée des chemins entre une écriture encore assez romantique, avec cependant une grande rigueur rythmique et des couleurs déjà évocatrices de pièces comme « Poissons d’or ». Cette oeuvre est aussi assez longue, 8 minutes, chose rare chez Debussy.
CLASSIQUENEWS : Que représente cet album à ce moment de votre travail artistique?
CHRISTINE FONLUPT : J’ai toujours été fascinée par cette période de la 3e République, période de progrès techniques sans précédent, l’effervescence des Grandes expositions Universelles, les personnalités comme Sarah Bernhardt, Lugné Poe, le cinéma de Georges Mélies et des frères Lumière, la fresque des Rougon Macquart, Camille et Paul Claudel… Ces dernière années, j’ai joué beaucoup de musique romantique, de Beethoven à Chopin, Brahms, mais finalement, en ce qui concerne la musique française, assez peu.
J’ai eu envie de recentrer mon travail sur la musique de cette fin de siècle, et de mettre en lumière des oeuvres encore méconnues ou en tous cas peu jouées en concert, notamment les pièces de Chausson et la Ballade de Debussy.
CLASSIQUENEWS : Dans le prolongement de ce programme autour de 1890, y a-t-il des éléments où des pistes que vous aimeriez encore approfondir ?
CHRISTINE FONLUPT : Oui bien sûr, j’aimerais beaucoup me pencher sérieusement sur les pièces de la même période notamment les pièces de Cécile Chaminade ou celles de Déodat de Séverac.
Propos recueillis en février 2024 (Photos : DR)
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Prochains concerts
27 février 2024 – 20h Auditorium Jean-Philippe Rameau, 25, rue Krüger 94100 Saint-Maur-des-Fossés
Dans le cadre de la saison d’orgue d’ Eric Lebrun « Soirée spéciale centenaire Fauré », avec les élèves pianistes du CRR et chanteurs du CNSMDP, classe de Christine Fonlupt
1er mars/2024 à 19h30, domaine St Jean de Chépy, Tullins – Sonates Françaises avec Julien Szulman (violon), sonate de Lekeu, 2e sonate de Fauré
dans le cadre Les Allées chantent
2 mars 2024 à 15h, Château, domaine de Vizille
Sonates Françaises avec Julien Szulman (violon), sonate de Lekeu, 2e sonate de Fauré
dans le cadre Les Allées chantent
03 mars 2024 à 17h, Musée Dauphinois, Grenoble
Sonates Françaises avec Julien Szulman (violon), sonate de Lekeu, 2e sonate de Fauré
dans le cadre Les Allées chantent
06/03/2024 à 12h45, Espace Bernanos , 4, rue du Havre, 75009 Paris
Sonates Françaises avec Julien Szulman (violon), sonate de Lekeu, 2e sonate de Fauré
24 mars 2024 – 17h au Vent des Arts
concert dédicace à l’issue de la sortie de l’album : Variations et Bergamasques – récital Debussy, Chausson, Fauré